Gaston Cherpillod : "Contredits"
Un nouveau Cherpillod, c'est la fête impopulaire,
la saint Gaston, l'occasion d'une nouvelle manifestation
de l'ingratitude du peuple vis-à-vis du moraliste
qui ne renonce jamais.
« J'ai des convictions... je n'en n'ai plus, des
certitudes. » dit le poète soldat. Je voudrais
laurer ce texte pour employer un mot que personne n'emploie
à part Cherpillod.
On a pu dire (comment ?) que sa langue débordait
son propos. Sa langue est la musique de son propos, n'est-il
pas le Bertrand de Born du pays de Vaud ?
Il reprend de minces épisodes de sa vie, qui sont
comme miettes de madeleine, fermentent dans l'encrier et
point de départ, noyau, pépin, souvent d'une
explicitation, d'un développement qui voit sa vision
du monde se déployer l'espace de six ou sept pages,
constituant les quinze épisodes de ces contredits
roboratifs et qui pourtant exigent du lecteur d'entrer dans
la musique.
Le poète de ces souvenirs et de ces rêves
fait surgir une interprétation, l'anecdote devient
mélodie, fugue, concert et le moraliste, le juste
accède à la royauté sainte des serviteurs
accomplis et intraitables. Tous les simulacres s'effritent,
les jeux des grands et petits bourgeois, des mesquins, de
ceux qui acceptent la langue de bois et surtout de ceux
qui disent la refuser (car qui prétendrait l'accepter
aujourd'hui, en tout cas pas ceux qui la pratiquent).C'est
là en particulier qu'intervient l'écrivain,
il crée un langage pour échapper au faux,
aux séduisant menteurs. Cherpillod écrit xyloglossie.
Cela réveille, attire l'attention sur ces faux dénonciateurs,
cela relie au grec une de nos origines, à la fabrique
de la langue, mais aussi aux humanistes qui traduisaient
leurs noms en grec et qui faisaient de nouveaux mots de
façon à éveiller. Ce que je fais est
ce que je dis, dit le poète soldat.
La prose de Cherpillod, charme en patois !, est fluide
comme l'eau d'un torrent qui rejaillit sur les rochers,
cascade, en recouvre un , en découvre un autre, va
, revient sur son cours,crée un remous, semble se
repentir, se gourer plutôt comme il dirait, accroche,
elle le fait non pas tant parce que le poète est
pêcheur et qu'il a parcouru toutes les rivière
de ce pays, explication évhémériste
dont je me défie, mais parce que la plume suit l'originalité
de la pensée, imprévue, découverte
du monde, renouvelée. Le rendu épouse les
circonvolutions des mécanismes à l'oeuvre
dans la société et ce sont le contraire des
circonlocutions habituelles qui ont pour objet de noyer
le poisson.
Le poète lui-même est à l'âge
des remous mais comme l'onde s'il regarde en arrière
c'est pour mieux creuser son filon et filer vers une vérité
toujours à découvrir. Les rivières
finissent à la mer, donc c'est leur trajet qui importe.
Ainsi Cherpillod, qui écrit d'avantage de la mort,
le fait en créant son lit et finit ainsi, tout agnostique
qu'il ait pu se proclamer, par adopter, contre sa pensée,
«l' irrationnelle sentence dont l'amour-propre de
l'intello souffre de reconnaître le bien-fondé
: on ne doit parler des morts qu'en termes de respect. »
L'ironie serait que l'on lise à l'école nouvelle
(elle le sera éternellement) tel de ces contredits
et que l'on apprenne à lire à ces collégiens,
dans ce beau, grave et drôle, livre de vie. Professeurs,
encore un effort !
On rappellera à cette occasion l'étonnant
recueil de 32 sonnets sous le titre d' « Idées
et formes fixes », paru en 2001.
La clarté dans la rigueur. Il semble que le poète
ait cherché la musique comme toujours et dans cette
forme qui ne semble jamais pesante insufflé sa force
habituelle épurée et éclatante. On
y retrouve truculence, argot, orfèvrerie et couleurs.
Qu'on en juge :
Je n'ai rencontré l'or jamais qu'au flanc des truites
L'argent que sur le dos des brochets ou des dards...
Contredits, Editions L'Age d'Homme,
2002
Pierre Yves Lador
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