Asa Lanova
Asa Lanova, La Gazelle tartare, Bernard Campiche
Editeur, 2004.
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Asa Lanova
dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.
Asa Lanova
/ La Gazelle tartare |
ISBN 2-88241-143-X
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La Gazelle tartare nest
pas à proprement parler un récit autobiographique.
Cest plutôt la narration dune recherche
intérieure qui va mener lécrivain
à sa raison de vivre et à la renaissance
dun premier amour. De retour dans la maison
de son enfance, Asa Lanova va partager avec ses lecteurs,
dans une langue somptueuse, son cheminement personnel
entre danse et littérature, entre Lausanne,
Paris et Alexandrie. Un livre superbe de franchise,
de liberté de ton et du courage de tout se
dire.
Asa
Lanova est née en Suisse. Possédée
dès lenfance par la passion de la danse,
très jeune elle se rend à Paris, où
elle travaille avec les plus grands Maîtres
russes de lépoque. Très vite engagée
comme soliste, elle devient, entre autres, la partenaire
de Maurice Béjart dans un pas de deux intitulé
Hamlet et Ophélie. Puis elle danse dans
des compagnies aussi prestigieuses que celles dYvette
Chauviré et de Raymondo de Larrain, le successeur
du marquis de Cuevas. Elle participe en outre à
des films et à des courts métrages,
en tant que danseuse et comédienne. Rentrée
en Suisse pour raison de santé, elle est bientôt
engagée à lOpéra de Zurich,
où elle incarne des rôles importants
elle sera la princesse de lHistoire
du soldat, sous la direction de Stravinski lui-même.
Ensuite, ce sera deux saisons au Grand-Théâtre
de Genève, avec, comme maître de ballet
et chorégraphe, Serge Golovine. On la dit promise
à une carrière exceptionnelle, lorsque
brusquement, et apparemment sans raison, le fil se
casse.
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Malgré les propositions brillantes qui soffrent
à elle, elle décide alors de quitter la scène
et se réfugie dans la solitude dune ferme vaudoise.
Là, elle découvre le tissage et participe
avec un succès immédiat à de nombreuses
expositions lune de ses tapisseries figure
au Musée de Moutier.
Mais le tissage lamène enfin à ce qui
lattirait depuis toujours: lécriture.
Fascinée par limage filmée, elle commence
par écrire trois dramatiques, qui seront réalisées
par la Télévision suisse romande.
Puis un premier roman voit le jour, La Dernière
Migration, aussitôt publié à Paris,
aux Éditions Régine Deforges. Parallèlement
à lécriture, elle participe à
des émissions télévisées, et,
par exception, remonte sur scène afin dincarner
le rôle principal de lopéra-ballet Tancrède
et Clorinde de Monteverdi.
Entre-temps, dautres romans ont été
édités, Crève-lAmour,
aux Éditions Acropole. Le Cur tatoué,
aux Éditions Mazarine, LÉtalon de
ténèbres aux Éditions Régine
Deforges, Le Testament dune mante religieuse,
aux Éditions de lAire.
Puis elle quitte de nouveau son pays natal pour l'Égypte,
où durant cinq ans elle vit à Alexandrie.
Cest de cet exil que va naître Le Blues dAlexandrie,
qui lui vaudra le Prix Bibliothèque pour Tous et
celui de la Fondation Régis de Courten.
Mais la nostalgie de lEurope lamène à
séjourner deux ans en Haute-Savoie, où elle
écrit son septième roman, Les Jardins de
Shalalatt, qui reprend certains personnages du Blues
dAlexandrie, à des moments différents
de leur existence.
Asa Lanova vit aujourdhui à Pully.
Asa Lanova, La Gazelle tartare, Bernard
Campiche Editeur, 2004.
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Trois
questions à Asa Lanova, par Janine Massard |
En vous lisant, on sent chez vous
un besoin d'aller au-delà de la réalité
qui s'offre à vous, comme si vous étiez en
perpétuelle cavale de vous-même. Dans quelle
mesure est-ce encore aussi impérieux, aujourd'hui
?
La fuite a toujours été
pour moi le moyen de m'évader d'une réalité
pour laquelle, enfant, puis adolescente, je ne me sentais
pas armée. Elle demeure aujourd'hui une tentation
presque permanente et que, malgré l'envol du temps,
je ne suis pas toujours à même de dominer.
C'est étroitement mêlé à une
peur de vivre les événements pourtant bénéfiques
qui s'offrent à moi, qu'ils soient du domaine affectif
ou professionnel, comme si je craignais de ne pouvoir les
assumer. Doute de soi, besoin excessif de solitude - qui
est une autre forme de fuite -, peur de n'être pas
à la hauteur? Peut-être tout cela à
la fois. Ainsi, depuis mon adolescence, ai-je refusé,
ou me suis éloignée de ce à quoi, cependant,
j'aspirais le plus intensément. Il s'ensuivait une
grande souffrance, mais aussi, une sorte de volupté
d'avoir ainsi choisi une forme de liberté. Je m'interroge
aujourd'hui encore sur ce qui est devenu une sorte d'automatisme
quasi insurmontable, tout en ayant pris conscience que j'ai
laissé échapper aussi bien ma chance dans
le domaine artistique que dans celui du cur. Il m'arrive
d'éprouver pour moi une espèce de révolte
à l'égard d'un comportement qui ressemble
à de la lâcheté, mais une lâcheté
qui, paradoxalement, m'a permis de me construire une autre
destinée que celle qui s'ouvrait à moi, souvent
brillante, et absurdement refusée. Et même
si, regardant à présent en arrière,
une blessure se rouvre au plus profond de mon cur,
j'ai la conviction que les échecs dont j'ai été
responsable pour la plupart, m'ont permis d'accéder
à une évolution qui se nourrit au dur, à
l'humble labeur qu'est pour moi l'écriture, ainsi
qu'à une quête du sacré étroitement
liée à la nature.
En relation avec la question précédente,
il y a l'impératif de la destruction, comme si vous
deviez chaque jour mourir pour renaître. Est-ce un
moyen d'aller plus haut et plus loin?
En relation étroite avec la
fuite, j'ai toujours considéré qu'il n'y a
pas d'évolution sans destruction préalable.
Il ne s'agit en aucun cas d'autodestruction, mais d'une
nécessité, pour aller plus loin, de quotidiennement
brûler ce qui est en moi, ou que je tente de créer,
afin qu'en renaisse une forme de dépassement, de
transcendance. Je ne conçois la création,
quelle qu'elle soit, sans une remise en question qui ne
peut s'accomplir sans cette destruction, de même que
la beauté, quelle qu'elle soit elle aussi, ne peut
s'acquérir sans des passages dans la disgrâce.
Comme le pire des désespoirs engendre la joie, la
destruction n'est autre que l'espèce de combustion
d'où jaillit le renouveau. Le refus de l'acquis,
des convictions sans remise en question, d'une complaisance
demeurera à jamais ma quête. Quant aux certitudes,
dans quelque domaine que ce soit, au réalisme sans
ouverture sur l'idéalisme et le rêve, ils ne
sont pour moi que stérilité, mort prématurée.
Ce qui frappe aussi c'est le constant
recours à un monde proche et invisible. Quelle est
l'importance de l'ésotérisme dans votre vie
et dans votre uvre ?
Si ce qu'on nomme la réalité
m'a toujours été étranger, le surnaturel
- qui n'est autre, en fait, qu'une extrême réalité
-, m'est familier depuis l'enfance. Savoir non seulement
regarder, mais voir ce qu'on ne peut déceler qu'en
étroite symbiose avec la nature. Parvenir à
interpréter les signes, à déceler les
avertissements de l'univers, à se fondre dans les
Forces vives qui le régissent et sont en nous à
l'état latent ou non. Ce sont ces Forces auxquelles
je me raccroche au fil des jours, celles qui, depuis toujours,
et dans les pires moments de mon existence, m'ont permis
de survivre. Je n'ai jamais cessé d'entretenir avec
ce qu'on nomme le surnaturel, des rapports permanents qui
nourrissent aussi bien mon corps que mon âme, et sont
en quelque sorte le levain de mon écriture, son essence.
C'est pourquoi je ne crois pas à la mort, mais, sous
forme de multiples métamorphoses, à une pérennité
chargée de manifestations qui, au prix d'une extrême
attention, nous relient avec le sacré. Le sacré,
omniprésent autour de nous, et dont l'interprétation
de ses signes, à la fois entretient mes doutes sur
moi-même et sur l'écriture, mais me sauve du
renoncement, de l'abdication. Dans le cri d'un oiseau -
l'oiseau étant pour moi un oracle -, le regard d'une
bête, la fausse froideur d'une pierre, l'écorce
de l'arbre qui transmet l'énergie, je trouve de quoi
surmonter cette peur de vivre qui est aussi bien la gangrène
de l'âme dont quotidiennement je suis la proie, que
la germination qui, par moments, m'accorde la grâce
de l'écriture. Détruire pour renaître,
se déchirer pour atteindre l'exaltation.
Propos recueillis par Janine Massard
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Revue
de presse |
La flamme et les cendres
LITTÉRATURE ROMANDE Dans
La gazelle tartare, Asa Lanova évoque son
existence marquée par la peur de vivre et la recherche
de l'absolu, avec un mélange détonant de verve
et de poésie.
LES FAITS A 20 ans, Maryse était
une jeune danseuse lausannoise promise au plus bel avenir.
Un premier rôle d'O phélie, avec Maurice Béjart
pour partenaire, marqua simultanément sa première
panique. Fuyant un amour naissant, fuyant la danse, elle
devint plus tard écrivain sous le nom d'Asa Lanova.
Sept livres ont abouti à ce dernier récit
d'une nouvelle profondeur, marqué par la solitude
mélancolique et le deuil, mais aussi l'humour et
quel sursaut de bonne vitalité.
La sagesse des braves gens répète
qu' on ne peut être et avoir été: que
nul n'échappe à la loi du temps qui passe
et qu' il est chimérique de croire à la jeunesse
éternelle, sauf à pactiser avec le diable.
Or, même à l'ère des oiseaux mazoutés,
il reste des poètes rêvant à l'albatros
bravant toutes les pesanteurs et des jeunes filles attendant
le prince charmant à la fenêtre de leur tour
HLM - et telle demeure la narratrice de La gazelle tartare
en dépit d'une vie plutôt mouvementée
dont témoignent, de La dernière migration
(Régine Deforges, 1977) au Testament d'une mante
religieuse (L'Aire, 1995) des livres marqués au sceau
d'un érotisme entêtant, voire torride, mais
nullement superficiel. Une constante traverse en effet les
écrits sur feuillets bleus d'Asa Lanova, et c'est
une sorte de panique frisant parfois le délire, à
base de carence affective, d'incertitude, de peur de vivre
(cette « gangrène de l'âme ») et
de terreur de n'être pas à la hauteur. Son
insomnie chronique la taraude plus que jamais au moment
où elle entreprend ce nouveau récit, dont
le déclencheur est le visionnement d'un film consacré
à Maurice Béjart et, de fil en aiguille, le
ressouvenir d'un bref amour de jeunesse qu' elle a fui comme
elle fuira bientôt la danse où on lui promettait
le plus bel avenir. Cette irruption de son passé
de jeune fille en fleur coïncide avec une confrontation
plus douloureuse, après des années éprouvantes
de dérive en Egypte et de dèche en Haute-Savoie,
avec la décrépitude de sa mère frappée
par la maladie d'Alzheimer.
Amorcé dans le jardin retrouvé
de son enfance, où son grand-père terrien
l'initia aux beautés de la nature et où reposent
les cendres de son père, le récit de La
gazelle tartare va se développer en spirales
narratives creusant alternativement dans le passé
de Maryse (son vrai nom) et rejoignant le présent
d'Asa, dans un brassage proustien où la « traque
des mots », dont la romancière a la passion
précise et parfois précieuse (le « charabia
chéri » que lui reproche gentiment son mentor,
le grand découvreur Georges Belmont, ami de Joyce),
exprime cette «Force de vie» qu' entretiennent
également la discipline ascétique de ses exercices
quotidiens à la barre et ses soins de soeur franciscaine
zoophile à sept chats flanqués d'une chienne
du désert ...
Petite fille et sorcière
L'univers d'Asa Lanova est apparemment
un vrai souk, mais c'est vers une nouvelle simplicité
dépouillée que nous conduit La gazelle
tartare, au terme d'un récit tour à tour
émouvant et burlesque, truculent à souhait
lorsqu' elle évoque un séjour de cinq ans
à Alexandrie, et très poignant par l'évocation
de la fin de sa mère. Il y a chez elle un mélange
de terrienne vaudoise et de mystique «allumée»,
de sauvageonne complice de la Vouivre et d'artiste retrouvant,
chez ces grands vivants que furent Henry Miller ou Lawrence
Durrell, la flamme pure, transfigurée par la littérature,
d'une vie de bohème où plaisirs et «
châtaignes » firent florès.
Dès le départ de son
récit, la figure magnifiée de « Satan
», ainsi qu' elle surnomme Béjart en qui elle
voit un « messager d'amour entre le monde et la Beauté
», devient l'objet d'une rêverie obsessionnelle
qu'un rendez-vous téléphonique fixe dans le
temps et l'espace. Or verra-t-on, à l'automne, Tristan
et Iseult se retrouver pour finir leur vie sur un tardif
canapé conjugal? C'est ce qu' elle s' obstine à
croire en invoquant l'« éternel retour »
et en se repassant Wagner sur son pickup. L'intéressé,
avec la tendresse des sages, lui objectera pourtant: «Je
ne puis raccorder ce qui fut à ce que nous sommes
devenus. Aussi, gardons intacte la beauté du souvenir
...».
Au demeurant, il serait mesquin de
voir en La gazelle tartare l'exploitation d'une «affaire»
susceptible de publicité. S'il est certain que la
narratrice croit vraiment qu' elle va retrouver cet amour
de jeunesse, si fugace qu' il ait été, c'est
qu' elle sait chez lui cette même Flamme inextinguible
qu' elle désespère de trouver auprès
de ses compagnons ordinaires. Avec la même candeur,
et cette crédulité un peu « barjo »
qui la fait se convertir un temps à l'islam et se
frotter à l'occultisme - on relèvera la saisissante
scène de zaar, exorcisme des femmes célébré
dans les bas-fonds d'Alexandrie -, elle ne cesse de lorgner
vers l'Infini, l'Eternel et l'Absolu, tout en gardant les
pieds sur terre avec ce bon naturel et cette fougue vitale
irriguant ses meilleures pages. C'est ainsi, au final, un
livre plein d'amour et de mélancolie, mais aussi
de courage et de drôlerie que La gazelle tartare,
où l'inaccessible (désigné par l'expression
arabe du titre) devient substance humaine et poétique
par le miracle des mots.
14.12.2004
Et si le passé habitait
notre temps présent
Retour sur une vie, un amour «satanique»
par Asa Lanova. Où il est question de Chronos.
[...] Mais comment écrire
une vie? Ce n'est pas une question de mémoire. C'est
une conception de notre individualité. Et comment
conçoit-on sa durée et sa complexité
entre souvenirs, émotions et instants précis?
Et si le temps englobait tout dans un maelström brassant
et brassant, plus loin, plus loin encore, le passé,
le présent, dans une indéfinition où
tout détermine tout? Tout est-il ainsi toujours actif
dans notre subconscient?
Ce que dit Asa Lanova, dans ce récit de vie, d'amour
perdu, retrouvé, de solitude volontaire et d'écriture
trouvée, c'est que notre accumulation détermine
infiniment nos actes, et qu'il est profitable d'en prendre
conscience. Et nous courons toujours après une unité,
une réconciliation avec soi, au-delà des blessures,
des jouissances et des déconfitures, y compris des
effondrements amoureux. Avec un désir fondamental.
Un livre qu'il ne faut pas prendre pour anecdotique, mais
comme une profonde interrogation au dieu Chronos.
Jacques Sterchi
samedi 4 décembre 2004
Page créée le: 07.01.05
Dernière mise à jour le 10.01.05
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