Elisabeth Vust : Dans
Far West/Extrême-Orient (2004), votre précédent
recueil, vous restiez " derrière la vitre "
pour décrire paysages et scènes de vie. Cette
vitre rendait toute vraie rencontre impossible. Aujourd'hui,
la rencontre est au cur de toutes les nouvelles de
Love
Philippe Testa : Far West
délivrait des scènes vues. Avec Love,
je voulais aller un peu plus à l'intérieur
de la relation. Les sentiments y sont plus explicites, et
j'ai essayé de les poser avec justesse.
Pourquoi ce titre ?
- Love : ce mot porte en lui toutes
les scènes d'amour de la culture populaire. Dans
le rock, la plupart des morceaux trouvent leur inspiration
dans l'amour, ses chagrins et déceptions : dans l'amour
qui ne marche pas. Le blues vient quasiment de là
aussi.
Vous regardez derrière
le cliché, derrière la vision idéale
de l'amour. Après le coup de foudre et la fusion
des premiers temps, lorsque le nectar a tourné au
vinaigre
- C'est le malheur qui pousse à
créer, pas le bonheur, qui est agréable à
vivre mais impossible, ou ennuyeux, à décrire
et à écrire.
L'extrait mis en quatrième
de couverture dit cette impasse de la relation homme-femme,
entre besoin de perpétuation de l'espèce et
aspiration au bonheur. Etes-vous aussi pessimiste qu'un
Schopenhauer qui pensait que le bonheur n'entre pas dans
le projet de l'amour ?
- Non, je ne suis pas aussi pessimiste,
c'est pour cela d'ailleurs qu'une ou deux des nouvelles
sont positives. Ce n'est pas parce que je ne parle pas du
bonheur que je n'y crois pas. L'amour est le sujet le plus
important, intéressant, complexe qui soit. Chacun
s'y intéresse, en parle, est concerné. C'est
un thème inépuisable et universel. Tout limiter
à une question d'hormones est forcément réducteur
: la biologie apporte un éclairage supplémentaire
sur la mathématique amoureuse, mais ne résout
rien. Heureusement.
Vous mettez dans la bouche de
vos héros des poncifs et clichés qui contrastent
avec les images de la narration
- Chaque nouvelle est centrée
sur un personnage, dont je suis dès lors le plus
proche. Je montre les autres personnages, sans les justifier,
sans pleinement les comprendre. Quant aux clichés,
je fais attention de ne pas en utiliser dans la partie descriptive,
où j'essaie de trouver des formules efficaces, des
images personnelles, originales, sans tomber non plus dans
l'excès. Ces images viennent d'elles-mêmes
: elles viennent ou ne viennent pas. Le travail est de donner
sa fluidité et son rythme au texte. Tous mes personnages
ont leur banalité, donc usent d'un langage commun.
Et c'est vrai que je cherche le contraste entre les dialogues
et la narration.
On pourrait dire que dans Far
West, vous écriviez derrière une vitre
et ici derrière un miroir que vous nous tendez ?
- Absolument. Il y a chez moi l'idée
d'aller étape par étape : décrire de
l'extérieur dans Far West, de l'intérieur
ici. Mais je ne suis pas certain d'avoir une fois envie
de passer à l'interprétation. Je préfère
les choses flottantes, lorsqu'on donne juste les clés.
Laisser de l'espace au lecteur dans le texte.
Vous mesurez la distance entre
la vie rêvée et la vie réelle, entre
les vacances idéales et celles que l'on vit aussi
- Les vacances portent le fantasme
de l'ailleurs. Far West confrontait vacances réelles
et fantasmées. Dans Love, les vacances à deux
ne se passent pas sur la même longueur d'ondes. Mais
les ratages cachent parfois des surprises.
- Vous faites à plusieurs
reprises mention du ciel, de sa magie, de la grandeur infinie
de l'univers
J'aime regarder le ciel, et au-delà.
Le ciel est un point de fuite, une évasion métaphorique
et réelle. C'est le premier psychotrope.
Comme dans votre précédent
recueil, la musique innerve Love. Chaque titre de
nouvelle est suivi d'un titre rock, punk ou blues
- La musique (surtout le rock) est
essentielle pour moi, et c'est sans doute pour cela que
je n'arrive pas à écrire en musique. Au départ,
je voulais placer la musique à l'intérieur
des nouvelles, mais je me suis vite rendu compte que c'était
complètement artificiel. Je me suis alors dit qu'elle
pouvait être en dehors de la nouvelle, en parallèle,
en illustration. J'ai choisi chaque morceau en fonction
de plusieurs paramètres : leurs paroles et leur titre
peuvent faire référence aux actions et émotions
du récit, et le style donner la tonalité.
Par exemple dans Karaoké, un morceau hyper
violent de Black Flag accompagne l'histoire d'un homme désabusé,
prêt à faire n'importe quoi, empli d'une grande
violence interne.
La musique dicte la pulsation de la nouvelle, des personnages
ou décrit l'ambiance, la situation. La question capitale
pour moi a été le choix des groupes, et cela
m'a pris du temps. Je voulais des groupes que j'estimais
importants, sans trop d'uniformité de style ni d'époque.
Lorsque je me suis rendu compte n'avoir encore retenu aucun
groupe anglais, j'ai réparé la lacune en me
demandant : "s'il ne devait rester qu'un groupe anglais,
lequel ? ". Je suis content de la réponse.
Propos recueillis par Elisabeth Vust
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