Frédéric
Pajak
Mélancolie, Paris, PUF, 2004, pp. 185
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Frédéric
Pajak dans nos pages consacrées
aux auteurs de Suisse.
Frédéric
Pajak / Mélancolie |
ISBN 2130538932
|
Frédéric PAJAK
est dessinateur et écrivain. Il a publié
de nombreux ouvrages de son oeuvre dessinée
(souvenirs, lectures et expériences mêlés)
aux Puf dans la collection Perspectives critiques,
L'immense solitude -- Chagrin d'amour -- Nervosité
générale -- Humour -- Première
partie -- Nietzsche et son père. C'est un va-et-vient
entre le passé et le présent, entre
les cauchemars d'hier et les rêveries d'aujourd'hui,
entre les amours insouciantes et l'ombre oppressante
des morts, un va-et-vient dicté par la plus
trouble des affections : la mélancolie qui
confond le malheur de vivre et la volupté de
se laisser vivre." (F. Pajak) Un livre dessiné
et écrit sur les souvenirs de sa vie.
"Qu'y a-t-il de commun entre Milan, Rome et
la modeste ville industrieuse de Morez dans la Haut-Jura,
ou Nyon sur les rives du lac Léman ? Entre
Stendhal, Renan, Léautaud, Delteil et le peintre
Malévitch ? Rien ou presque, mais tout est
dans ce presque.
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C'est un va-et-vient entre le passé
et le présent, entre les cauchemars d'hier
et les rêveries d'aujourd'hui, entre les amours
insouciantes et l'ombre oppressante des morts, un
va-et-vient dicté par la plus trouble des affections,
la mélancolie, qui confond le malheur de vivre
et la volupté de se laisser vivre. Mélancolique,
un certain Maine de Biran jouissait de se replier
sur lui-même, passant son temps à se
regarder passer. Mais la mélancolie est sans
doute plus vivace que ce dépit fataliste. Montaigne
la disait friande et il n'avait pas tort. Ce livre
en est une illustration. "
Frédéric
Pajak, dessinateur et écrivain, est
né en 1955 dans les Hauts-de-Seine. Il est
l'auteur de Réc Le bon larron (Campiche,
La Tour-de-Peilz, 1987), Martin Luther, l`inventeur
de la solitude (L`Aire, Vevey, 1997) et, aux Editions
PUF: L`immense solitude (1999, traduit en espagnol
et italien), Le chagrin d`amour (2000), Première
partie (2002), Nervosité générale
(2001), Humour (Une biographie de James
Joyce avec Yves Tenret, 2001). Il a reçu le
Prix Michel-Dentan 2000.
Frédéric
Pajak, Mélancolie, Paris, PUF, 2004, pp. 185
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7
questions à Frédéric Pajak |
Rien à faire. Frédéric
Pajak ne nous a pas répondu. Informé, il avait
accepté de répondre à nos questions.
Attendu et relancé depuis des mois, il n'a finalement
jamais répondu. Chose curieuse, il s'était
un peu plaint de ces questions, trop longues et détaillées.
Mais un livre complexe ne mérite-t-il pas des questions
fouillées et précises? Nous admettrons donc
qu'elles sont éloquentes même sans les réponses.
Nous vous les proposons telles quelles, en guise de portrait
en creux du livre, un peu par jeu, un peu parce que nous
ne voudrions pas renoncer à présenter Mélancolie
sur nos pages, un livre qui a ensorcelé la rédaction
du Culturactif. La revue de presse en bas de page fera le
reste.
La rédaction
Dans vos livres, vous faites souvent
la part belle au voyage: l'Italie est à l'honneur
de Mélancolie, bien que votre vision de ce pays ne
soit guère naïve, avec un Sud dangereux et noir,
avec Turin grise et pluvieuse. Pourquoi ce rapport d'amour
violent avec l'Italie? Le voyage est-il pour vous une sorte
de métaphore de l'écriture?
Votre livre est un voyage dans
l'espace: de l'Italie au village pommé de Morez,
de Nyon à East Oakland, le ghetto noir sur la baie
de San Francisco. Quel est votre rapport à la Suisse,
vous considérez-vous, comme tant de nos compatriotes,
comme un écrivain voyageur, ou alors comme un flâneur
à la Rousseau, à la Töpffer?
Le temps est également
une variable très importante de ce livre: le passage
du temps sur nos vies (l'éloignement de la jeunesse,
si présent dans Mélancolie), mais aussi le
sens de l'histoire, qui laisse des traces sur les paysages,
sur les peuples. En même temps vous laissez transparaître
que vous aimez les "temps suspendus",les "temps
faibles" de Depardon, l'hésitation sur un souvenir
ou un acte (l'indugio, dirait-on en italien). Quel est votre
rapport au temps, et quel est pour vous le rapport entre
temps et écriture?
La relation entre image et texte,
dans vos livres, est souvent très subtile, jamais
livrée à la simple illustration, ni à
l'écriture portée par la vision. Quel est
votre impulsion première: le dessin vient-il d'abord,
ou alors le dessin se crée-t-il à travers
ces brèves proses? La structures "narrative"
elle-même est très vive: comment élaborez-vous
le "continuo" d'un livre (en rassemblant des chapitres
disparates, en voyageant sur une ligne thématique)?
La mort est une constante, un
leitmotiv de vos livres: le dernier s'ouvre sur celle de
Luigi Tenco, pour s'achever, dans des pages bouleversantes
de douleur et de mise à nu, avec l'accident qui coûta
la vie à votre père et le suicide de votre
cousin Guy, alors que vous étiez très jeune
(mais il y a aussi le suicide de Jean-Christophe, le Christ
trotskiste, une mort marquée par le désarroi,
la fin tragique d'une époque d'engagement, d'utopie).
Pourrions-nous parler ici d'un thème premier, dont
les autres découlent (ou s'échappent)?
Dans votre écriture - visuelle
ou poétique - il y a souvent un télescopage
ininterrompu entre une réalité très
physique, souvent crue, et le monde des idées, avec
des références généralement
érudites (ici Renard, Léautaud, Leopardi,
entre autres), les grandes figures de l'esprit (jadis Pavese,
Nietzsche, Joyce). S'agit-il d'une exigence de rationalisation
(par rapport au souvenir, à l'affect, à la
folie) ou d'une sorte de procédé stylistique
(assumé)?
Votre démarche est très
éloignée de la bande dessinée (bien
que l'on trouve des points communs avec l'autobiographie
dessinée, nous pensons à Fabrice Noeud, au
collectif Ego comme X); pourtant, dans Mélancolie
nous retrouvons des références presque "mythiques"
relatives à ce genre d'écriture (Milou, la
momie Rascar Capac). Quel est votre rapport au "neuvième
art"? Et quel est votre rapport à l'art tout
court (évoqué dans ce livre à travers
la simplicité ascétique de Malevitch)?
© Le culturactif Suisse
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La
solitude de Milou (Julien Burri) |
Continuant de creuser ses
obsessions et d'opérer une fascinante rencontre du
texte et du dessin, Pajak signe l'un de ses plus beaux livres.
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Le dialogue entre dessins
et textes chez Pajak mériterait qu'on s'y
attarde: les médiums ne sont pas dans un
simple rapport d'illustration qui verrait forcément
l'un des deux prendre le pas sur l'autre ; souvent
en décalage, comme s'ils relevaient de
l'association libre, dessins et textes ne disent
pas la même chose: le sens naît de
leur confrontation.
Pajak "compose" des suites avec ses
dessins, évoquant la potentialité
du montage cinématographique; il y insère
des citations directes - copies dans la "manière
Pajak" de vignettes de " L'affaire Tournesol
" de Hergé ou de tableaux de Van Gogh
et de Malevitch. Ce collage rejoint l'usage récurrent,
du côté du texte, des citations littéraires.
Le trait peut rappeler tour à tour Rembrandt,
l'expressionnisme, la gravure (journaux et encyclopédies
illustrés du XIXème siècle),
etc., mais demeure très personnel. Le dessinateur
n'abuse plus des personnages grotesques au nez
difforme, oblong (une vraie péninsule),
les Pinocchios un peu obscènesde la veine
caricaturale et peut-être cabotine de "L'immense
solitude" (Puf, 1999).
Le "montage", l'hybridation des thèmes
et des genres atteint une complexité fascinante.
Il y a d'abord les souvenirs des voyages en Italie
qui témoignent d'un amour-haine, d'un attachement
indéfectible, poétique (" J'ai
tout aimé. Son ciel, sa mer, ses collines,
ses façades, ses gens. Et j'ai tout détesté
"). |
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Suivent les évocations de
la vie d'écrivains célèbres et des
citations de leurs uvres (Ernest Renan, Paul Léautaud,
Joseph Delteil), le portrait d'un ami, Christophe, surnommé
" Le Christ trotskiste ", la visite guidée
d'une petite ville de province, Morez, etc. Tous ces "
récits " ont pour dénominateur commun
la mélancolie. Elle est approchée par touches,
imprègne lentement le lecteur. Nous sommes loin d'une
charge haineuse et attendue, assez lassante, d'un "
Martin Luther " (L'Aire, 1997). Jusqu'à la fin,
le lecteur se demande où il atterrira : Pajak cherche-t-il
à le perdre dans des circonvolutions, tournant autour
d'un pot aux roses douloureux et intime, parlant des autres
pour ne pas parler de sa propre douleur ? Lorsqu'il aborde
la mort du père l'uvre acquière subitement
profondeur et sens. Tout le reste ressemble à une
digue bâtie pierre à pierre pour résister
au vide, au manque, apprendre à aborder la blessure,
détours pudiques aussi, pour ne pas tomber dans le
narcissisme plat.
Frédéric Pajak avait neuf ans quand il a perdu
son père dans un accident de voiture. Risquons l'éclairage
psychologie à deux sous, sans nous en satisfaire
(l'uvre évite très bien ce travers),
retenons l'impossibilité ressentie de s'attaquer
au père, intouchable, de vivre un dipe salvateur.
Le jeune Rémi, " héros " du "
Bon Larron " premier roman (non illustré) de
Pajak publié chez Bernard Campiche, en 1987, s'exclame
déjà, noyant le désespoir sous le cynisme:
" Ah, Paternel, t'as bien mouru, t'as bien lâché
tes drôles de vents, au fond de ta fosse ". Plus
de dix ans après, le premier dessin de " L'immense
solitude " représente une carcasse de voiture.
Le texte dit : " Mon père est mort, tué
dans un accident de voiture. Il avait trente-cinq ans. J'en
avais neuf ". De cette disparition vient la solitude,
de la solitude découle la mélancolie, creusée
dès " Fredi le prophète se souvient "
(publiée tardivement, Puf, 2002). L'intérêt
quasi obsessionnel de Pajak pour la figure de Nietzsche
s'éclaire: à défaut d'avoir pu liquider
son père mort, Nietzsche a " tué "
Dieu. " Un orphelin de père ne peut tuer son
père, c'est certain. Tuer un père vivant n'est
pas facile, alors comment tuer un père déjà
mort ?", " Nietzsche et son père "
(Puf, 2003).
Pajak utilise d'abord les mots des autres pour traiter son
drame intime, l'universaliser. C'est entre les lignes des
uvres et des vies de figures littéraires mythiques
qu'il apprend à lire sa propre douleur. A cinquante
ans, il semble mûr pour l'aborder en se passant d'intermédiaire,
évoquer, outre la mort du père, le suicide
d'un cousin et l'accident de son frère. Pajak vivait
à Nyon à cette époque, il dût
subir une opération de l'appendicite : " Mon
père m'avait toujours interdit de lire des bandes
dessinées ; dans ma chambre de convalescent, maman
m'apporta les aventures de Tintin et Milou, dont l'épisode
L'Affaire Tournesol se déroulait à
Nyon ". Pajak, en poète, " lève
" les correspondances : il reprend Hergé pour
évoquer la mort, par le biais d'une image qui dit
l'immense mélancolie et touche l'enfant qui demeure
en nous : le chien Milou déambule seul sur les quais,
au bord du lac Léman, son compagnon à la houppe
blonde a disparu, happé par une mort qui n'épargne
même plus les héros.
Julien Burri
(mai 2005)
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Revue
de presse |
" Ne bouge pas, Je veux finir
ce beau dessin C'est mon dessein. Je veux mourir entre tes
seins Les yeux ouverts [
]" De livre en livre,
Pajak s' approche de lui-même ; avec Mélancolie,
il serre de plus près l'essentiel qui lui échappe
encore. Ces souvenirs posés en phrases claires et
en dessins sombres tournent autour de cet insaisissable
sentiment de l'être que Pajak cerne sans relâche,
de Martin Luther en Nervosité générale
(dont sont extraits les vers ci-dessus), de Nietzsche /
Pavese en James Joyce. Le voici presque arrivé puisque
presque livré, parlant de lui, même à
travers son ami le peintre Jean Scheurer, encore plus distinctement
que dans les livres précédents. Cerner la
mélancolie, remonter à l'être d'avant
la naissance, (ressus) citer les souvenirs de jeunesse:
Pajak, qui aura 50 ans en 2005, creuse son sillon, à
chaque ligne de texte répondant un trait dans le
réseau de ses dessins hachurés comme des pointes
sèches, eaux-fortes de ce désespoir qu' il
combat en s'y abandonnant comme un lutteur se sert de la
force de l'adversaire. Car Pajak joue avec le sentiment
de la mort, inéluctable fin de son dess (e) in. Il
conjugue Eros et Thanatos, partant de sa jeunesse fin des
années soixante, il rejoint les vérités
des mythes immémoriaux. Quête partageuse, qu'
on suit avec une tendresse
mélancolique.
18.11.2004
Voici le plus personnel des récits
écrits et dessinés de Frédéric
Pajak, après trois biographies d'écrivains
consacrées depuis 1999 à Friedrich Nietzsche
et Cesare Pavese (L'Immense Solitude), Guillaume Apollinaire
(Le Chagrin d'amour) et James Joyce (Humour). La couverture
sur fond noir de Mélancolie exhibe au verso les trois
couleurs de l'Italie, pays avec lequel l'auteur dit vivre
"une éternelle lune de miel alternée
d'éternelles scènes de ménage".
On y retrouve son graphisme si inventif, ses gris subtils
et ses noirs somptueux, profonds comme des tombeaux. Entre
amours mortes et morts aimés, ces nouveaux fragments
de son autobiographie de jeunesse ont néanmoins quelque
chose de tonique dans la désespérance; comme
si, à l'image du fabuliste, tout lui était
volupté, "jusqu'au sombre plaisir d'un cur
mélancolique". [..] A l'orée de la cinquantaine,
Mélancolie parle sans avoir l'air d'y toucher de
choses essentielles, de l'insouciance et de la culpabilité,
du poids d'un cauchemar et du vertige amoureux, de l'art
et de l'âme. Le contraste est de règle, qu'il
s'agisse du texte qui fonctionne par associations d'idées,
ou de la relation entre celui-ci et le dessin, tantôt
étroite, tantôt dissociée, comme si
le dessin menait sa vie propre. Autre manière suggestive
de solliciter l'attention du lecteur, les citations placées
en tête de chaque chapitre. On aime particulièrement
celle-ci, de Swift: "Je demandais à un homme
pauvre comment il vivait; il répondit: "Comme
un savon, toujours en diminuant."" L'humour n'est
pas la moindre qualité de Pajak.
04.12.2004
Depuis L'Immense Solitude,
publié en 1999, Frédéric Pajak poursuit
sa double aventure créatrice, entre dessin et écriture.
De livre en livre, il se raconte à travers ses lectures,
ses admirations, ses rêveries aussi, autour de Turin
et de l'Italie. Mélancolie ne rompt pas le fil de
ses précédents ouvrages, mais en reprend les
thèmes et les obsessions à la manière
souple des improvisations de jazz qui peuvent réinventer
un air par glissements musicaux et variations successives.
[
] Sa mélancolie se nourrit d'histoires lues
ou entendues qui résonnent en lui comme autant de
souvenirs intimes. L'histoire de Dalida, par exemple, qui
tenta de se donner la mort à Turin, hantée
par le double suicide de Cesare Pavese et de Luigi Tenco,
l'homme qu'elle aimait. Souvenirs de femmes aimées,
de voyages, de rencontres, de ruptures que la mémoire
revisite, que l'écriture et le dessin réinventent.
Michèle
Gazier
1 janvier 2005
[
] Jusqu'à maintenant,
Frédéric Pajak était un mélancolique
retenu. Il s'autorisait des aveux discrets, incomplets,
qu'il glissait entre les pages de ses portraits consacrés
à quelques suicidés dont il a toujours feint
d'être l'ultime confident, tels Luther, Cesare Pavese
ou Primo Levi. Cette fois, il donne libre cours à
ses regrets. "Mélancolie" est un
recueil raisonné de souvenirs désordonnés.
Au seuil de la cinquantaine, Pajak, "imbibé
d'apocalypse", raconte une fois encore son premier
chagrin d'amour et la mort accidentelle de son père,
au volant d'une DS 19 blanche que, de ses mains gantées
et refusant obstinément qu'on le dépassât,
il conduisait "à tombeau ouvert".
Il évoque son attirance trouble et passionnelle pour
l'Italie, où il a écrit plusieurs de ses livres
et où il allait autrefois à bord de train
de nuit dont il était, avec quelques copains, l'un
des "couchettistes". Il promène
son spleen dans des villes tristes, revêt d'un noir
profond les façades "bleu vif ou vert pistache"
de Milan, fait l'éloge de l'innocence, en appelle
à Delteil et à Léautaud, pastiche Hergé
et Malevitch, règle ses comptes avec son enfance,
explique comment, petit-fils et fils d'artistes, il a grandi
dans l'odeur de la peinture. "Et la peinture, pour
moi, c'est le malheur et les larmes. Toute ma jeunesse est
passée sous les grandes ombres de ces peintres morts
qui ne cessent de me parler dans la nuit. Car il n'y a jamais
de morts; il n'y a que des voix. Toute peinture est recouverte
par la voix des morts. J'y vois des croix partout."
[
] De l'ensemble, on ne se lasse pas. "Mélancolie"
est un livre magnifique qui exige une lecture inédite,
ambulatoire, circulaire, on va et vient dans la mémoire
de Pajak comme si c'était la nôtre, on passe
de l'euphorie à la neurasthénie, du bonheur
au malheur de vivre, de la chanteuse Dalida à Ernest
Renan, l'auteur de "la Vie de Jésus", de
Rome à Morez, et d'Otranto à Strasbourg, où
repose son jeune père, dont l'éternel orphelin
est désormais l'aîné de quinze ans.
Il écrit pour lui, mais dessine pour deux. Frissons
Jérôme
Garcin
11 novembre 2004
[
] Le diamant noir, presque
du charbon, est extrait d'un trou du Jura nommé Morez.
A prononcer sans dire le "z", rejoignant ainsi,
dans la fantaisie française, Avoriaz, le Queraz et
autres rez-de-chaussée. A la plume et au stylo, Pajak
multiplie les coups : de griffe, de grisou, de rire aussi
quand, dans l'énumération des spécialités
industrielles de Morez, il est question, à une ligne
de distance, de brasser de la bière, "la
bière de Morez", et de produire du vitriol.
"C'est assez drôle, ceci !", aurait
déclaré Napoléon Bonaparte, de passage
à Morez le 8 mai 1800. Au même rayon de l'assassinat
considéré comme un des beaux-arts, on appréciera
qu'au musée de Morez, fatalement "petit",
"on y trouvait l'Eplucheuse de navets, un tableau
de l'école française du XVIIIe".
Ce qui intrigue, ce n'est ni le vrai ni le faux mais que
cette importante information soit écrite au passé.
Et cette exaltation du trou perdu de se conclure, après
la litanie de tout ce que Morez n'est pas ("sympa",
"super", "cool", "très chouette"...)
par un "Morez, capitale de la lunetterie, je t'aime"
qui ne se discute pas. Le papillon noir, lui, volette sur
les rives du lac Léman. Plus précisément
à Nyon, ville qui permet d'ouvrir la porte à
Tintin, quelques épisodes cruciaux de l'Affaire
Tournesol s'y déroulant, notamment une queue-de-poisson
expédiant dans le lac Léman le taxi Aronde
où ont pris place Tintin, le capitaine Haddock et
Milou que dès lors on croit noyés. Cette évocation
prend huit pages, parce que damned ! autant que damné,
le revoilà ce père mort jeune dans un accident
de voiture "alors qu'il roulait à cent soixante
à l'heure à la sortie de Paris, sur la nationale
qui mène à Strasbourg". Ce père
fantôme dont on a l'impression qu'il tient le crayon
de son fils quand, page 173, il reproduit une des vignettes
les plus terrifiantes dessinées par Hergé
: celle où on voit, ressuscitée par la foudre,
la momie de l'Inca Rascar-capac s'introduire dans la chambre
où dort Tintin pour y briser une boule de cristal
empoisonnante. Sans qu'on puisse décider, puisque
Hergé ne tranche pas, s'il s'agit là d'un
cauchemar éveillé ou d'une réalité
horrible. Et Pajak d'en finir avec cet effroi par le lèse-majesté
iconoclaste et réussie d'une aventure de Tintin racontée
en une vignette qui n'existe pas : un pauvre Milou, errant
seul sur les bords du lac Léman. Orphelin, ma foi.
Pas seulement de son enfance, de son papa, de ses parents,
de la vie. Non, bien pire que ça : abandonné.
D'un abandon ancestral. Plus que triste. Mélancolique,
en effet.
Gérard
LEFORT
jeudi 18 novembre 2004
[
] Sembra non esserci nessuna
regola, in questo viaggio che approda ad un villaggio senza
storia e a un autoritratto in forma di ritratto di Jean
Scheurer. Ma non bisogna ingannarsi in libro porta dritto
al centro del dramma: alla morte del padre, rappresentata
dalla casa d'infanzia di Nyon, che esplode ed al suicidio
di un cugino Guy - venuto da Colmar per morire in un "bel
paesaggio" come lascerà scritto - accostato
a una tavola infinitamente toccante in cui Milou, il cane
di Tintin, passa solitario su un viale alberato. Certo in
questa procedura si può subodorare una certa vicinanza
con il fumetto più impegnato (quello autobiografico
di Fabrice Noeud). Ma Frédéric Pajak ha uno
stile tutto suo, fatto di sottrazione, di evocazione, di
epifania: senz'ombra di narcisismo o compiacimento. Un indagine
struggente sul corpo del tempo - sobrio nelle immagini e
parco nelle parole - che ci regala in questo libro, sconvolgente
di sincerità.
Pierre Lepori
21 gennaio 2005
Page créée le: 28.02.05
Dernière mise à jour le: 13.06.05
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