Marie Gaulis
Le Coeur couronné, proses, Editions
Metropolis, 2004
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Marie Gaulis
dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.
Marie Gaulis
/ Le Coeur couronné |
ISBN 2-88340-143-8
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"Le coeur couronné",
c'est le nom d'un lieu réel, mais qui ne recouvre
aucunement le sens de l'image, ni ne l'épuise
; j'en fais mon lieu à moi, une colline, une
rivière, le brouillard de décembre transformant
la montagne noire en un énorme vaisseau.
Dans Le Coeur couronné,
Marie Gaulis s'attarde sur la trace que laissent en
elle le monde et les choses, soucieuse de ne "point
faire la fastidieuse recension d'une journée".
Loin d'un journal traditionnel donc, écrites
entre l'Australie, Paris, la Suisse, la Savoie, ces
"proses" s'attachent aux descriptions du
vent et des embruns sur le visage, aux choses - oeufs
de Pâques, coquillages, cartes du tarot - aux
lieux, telles la pièce où l'on écrit
ou les terrasses des cafés. On y lit la plénitude
de l'instant, la fulgurance du désir, mais
aussi l'absence, la vie qui s'écoule. Ainsi,
par la grâce de l'écriture, lieux-objets,
éléments de la nature se font blasons
et écrins précieux renfermant la saveur
du monde et un savoir sur soi.
Marie
Gaulis, née à Thonon en 1965,
Dr ès Lettres en littérature grecque
moderne, vit entre Paris, l'Australie, la Suisse.
Elle a publié aux éditions Metropolis
Ligne imaginaire (1999) et Terra incognita
(2002)
Le
Coeur couronné, proses, Editions Metropolis,
2004
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Table
des matières |
Table des matières
I. Passages
II. Ateliers
III. Almanach
IV. Le coeur couronné
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Extraits
de Le Coeur couronné |
II. Atelier
V.
Il ne reste, en fin de compte, que
ce moment où l'on est avec soi-même - c'est-à-dire,
tout un monde qui s'ouvre, où d'autres entrent et
sortent, posant des baisers, laissant des traces, des parfums,
des mots dans leur sillage.
Il ne reste, après les rencontres,
les hésitations, les interminables discussions (où
mènent-elles, sinon au secret de chacun?) que ce
moment de silence tout palpitant encore de ce qui a été
dit et fait.
Il ne reste que le moment où
j'écris, où je me lave les dents, où
j'entends les voix de la radio, où je laisse flotter
les visages comme du blanc d'oeuf, et les mains, les sexes
toujours prêts à repartir à l'assaut,
le désir si désireux de se faire connaître
et reconnaître.
Moi aussi, je suis prise dans la
toile - aimer, être aimée, dire et taire, repousser
et attirer, nier et accepter. Mais quand je me retrouve
seule après le passage des tempêtes, je sais
qu'il ne reste, finalement, que ce que je fais de ce monde
d'échanges, de contradictions, d'impossible conjonctions,
ou ce que je n'en fais pas, que je laisse partir, algues
portées par le courant, que je laisse filer comme
la lumière et le vent, toutes ces voix, tous ces
échos, toutes ces demandes, tous ces pas.
Il ne reste que l'encrier, le ronronnement
de la machine à laver, le mouvement simple et répétitif
et miraculeux de la main, et son ombre sur la feuille.
Au fond, il ne reste que ce moment
où je fais la vaisselle, ouvre la fenêtre,
allume un bâton d'encens, peut-être pour nettoyer
l'air de tous ces mots, qui charrient trop de vies dont
je ne sais que faire.
IV. Le coeur couronné
XII.
Le "Coeur couronné",
c'est le nom d'un café près des Halles - un
grand café sombre, avec ses banquettes de moleskine
vert foncé, ses jeux de miroirs, ses enseignes lumineuses
qui vantent des marques de bières, ses écrans
passant à longueur de journée des vidéo-clips
- et ce sont des lumières bleutées qui attirent
l'oeil, des espèces d'aquarium où flottent
des filles peu vêtues et des rappeurs noirs colossaux.
C'est là que je vais boire
un café ou un chocolat chaud en regardant les planches
contact et les tirages couleurs des photos d'Australie,
les yeux plissés, la tête penchées sur
ces images presque invisibles, dont certaines parviennent
- ciel immense et tourbillonnant entrevu par la vitre d'un
train - à enjamber la distance du temps et de l'espace,
à transpercer la pénombre du café d'un
éclat rapide.
C'est là que je vais rêver,
laissant mes yeux errer sur l'un des écrans suspendus
dans un coin, plus sensible aux chansons, dont je fredonne
certains airs, qu'aux images, répétitives
et agitées comme un monde incompréhensible
d'insectes.
C'est là aussi que je vais
reprendre souffle, au milieu de cette ville, de cette vie,
qui doivent redevenir un peu les miennes - mais acceptons
de leur laisser le temps, comme j'en laisse au travail,
à l'amour, au voyage.
Acceptons de ne pas savoir ce qui
se joue, ici au coeur de la ville où passe tout un
monde étrangement lointain, étrangement familier.
Acceptons d'y laisser reposer mon ennui, d'y poser mes coudes
dans la mauvaise lumière et le bourdonnement des
musiques, les yeux mi-clos devant les photographies qui
disent si mal le cheminement des corps et les oscillations
des sentiments.
Acceptons, au "Coeur couronné"
!
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Interview
de Marie Gaulis, par Mathilde Vischer |
Trois questions à
Marie Gaulis, par Mathilde Vischer
Les proses du Coeur couronné,
bien qu'elles tendent vers l'universalité d'expériences
partageables par tous, semblent naître d'instants
et d'émotions très intimes. Vous arrive-t-il
également d'écrire à partir de situations
imaginaires ?
Il est vrai que, jusqu'à maintenant,
dans mes textes, je me suis inspirée de moments,
de lieux, d'émotions, de personnes aussi qui, tous,
ont partie liée avec ce que j'ai vu, rencontré,
ressenti ; mais aussi, et il me semble que cela apparaît
dans Le Cur couronné, de ce que j'ai
rêvé et imaginé. Ainsi, la délimitation
ne me paraît pas claire ni absolue entre " réel
" et " imaginaire " ou, pour le dire autrement,
entre " autobiographique " et " fiction ",
parce que le monde que je décris, même s'il
est bien fondé sur des observations et des sentiments,
échappe, il me semble, à tout " réalisme
" dans la mesure où il est retravaillé
et transformé par l'écriture même.
Les lieux, très présents
dans vos livres, semblent prendre une importance particulière
dans ce dernier recueil ; vous-même vivez entre trois
pays, la France, la Suisse et l'Australie. Que représentent
ces différents univers pour votre travail d'écriture
?
Les lieux, les paysages, les éléments
ont en effet une grande importance dans ce livre, comme
dans les précédents d'ailleurs ; je dis au
début que je ne cesse de revenir sur mes pas, et
c'est aussi ce mouvement à la fois répétitif
et en spirale qui m'intéresse et qui donne le ton
et le rythme du livre. Je me déplace en effet d'un
lieu, d'un pays, d'une langue à l'autre (mais pas
plus, voire sans doute moins, que beaucoup d'autres gens
!) : ce que j'essaie de capturer, plutôt que de l'exotisme
ou de l'aventure, ce sont les moments de flottement, de
doute, d'errance, comme ceux d'intense présence à
ce qui se passe (ou ne se passe pas). Ce que je cherche
à exprimer, c'est une certaine " intranquillité
", pour reprendre le beau titre de Pessoa, les questionnements
que provoquent toujours l'absence, la séparation,
le départ, le retour _ même lors de trajets
en apparence anodins, comme ceux que je fais si souvent
entre Paris et Genève. Si Blaise Cendrars et Bruce
Chatwin sont pour moi des maîtres à écrire
et à voyager, je me sens pour ma part plus contemplative,
plus méditative dans le mouvement même du voyage
et de l'écriture.
Les trois ouvrages que vous avez
publiés (Ligne imaginaire, Terra incognita,
et Le Coeur couronné) se distinguent par une
grande unité dans la forme, une prose poétique
empreinte d'un rythme sensuel, souvent ternaire. Pouvez-vous
déjà nous dire si vos projets en cours s'inscriront
dans la lignée formelle des trois premiers ?
Je ne suis devenue consciente que
petit à petit de la forme que prenaient ces trois
livres, des échos qu'ils se renvoyaient, de leur
unité dans ce que vous appelez très justement
une " prose poétique ". En effet, la forme
hésite entre narration prosaïque (au sens propre
et noble du terme) et scansion poétique, ou plutôt
essaie de combiner les deux, en accordant au rythme, à
la cadence un soin tout particulier : il est vrai que je
me suis attachée à ce " rythme ternaire
", sans que cela soit délibéré,
comme à la possibilité d'échapper à
l'obligation de la dualité, à l'ennui du "
non solum, sed etiam " de la rhétorique classique
comme d'ailleurs du discours politique. J'ai le sentiment
que mes prochains textes vont prendre une forme différente,
parce que les thèmes que je vais aborder vont sans
doute m'obliger à aller dans d'autres directions.
Je suis persuadée que c'est aussi le sujet qui fait
évoluer la forme, au besoin en la faisant sortir
de son moule.
Entretien par Mathilde Vischer
Page créée le: 28.04.04
Dernière mise à jour le 03.05.04
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