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Jean-Euphèle Milcé
L'Alphabet des nuits, Bernard Campiche Editeur, 2003

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Retrouvez également Jean-Euphèle Milcé dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse

  Jean-Euphèle Milcé / L'Alphabet des nuits
 

ISBN 2-88241-138-3

 

Le début

Les premières couleurs que m'apporte le soleil se dessinent en labyrinthe de vitrages. Port-au-Prince se réveille toujours avec ses cris, ses douleurs mal exprimées dans une enveloppe de fumée. De bas en haut, les espoirs massacrés par le vit-qui-peut planent sur une espace qui a perdu son destin de capitale. La ville rugit. Sa voix emplit le ciel avec ses milliers de crieurs, de cireurs de bottes, de bottes répressives. Pareille à des jours de bombardements, la fumée attaque le ciel en plein flanc, détourne la vision de la lumière. C'est le signe annonciateur d'une autre journée grise.

Je réchauffe mon café des premières minutes de la nuit précédente. Tout ce qui peut traverser les ténèbres de ce pays porte en lui un morceau de mémoire, un tiroir de vies perdues. Comment arrive-t-on à faire des affaires dans un pays où rien n'est stable ? Chaque jour apporte ses prix et ses oublis. Foutre ! Qui pourra me raconter ce qui s'est passé la nuit dernière ? On est tous complices du silence, de la voiture merlette faite en boîtes d'allumettes.

Lucien va arriver d'une minute à l'autre. Pour les clients, il est l'agent de sécurité.
[...]

L'Alphabet des nuits, Bernard Campiche Editeur, 2003

 

  Articles d'Elisabeth Vust / 24Heures

Haïti, terre de transit

ROMAN Conversation avec Jean-Euphèle Milcé, jeune auteur fraîchement récompensé par le Prix Georges-Nicole 2004, autour d'un Alphabet des nuits écrit dans le train Fribourg-Lausanne.

Le Prix Georges-Nicole, récompense destinée à un premier roman, a été remis cette année à Jean-Euphèle Milcé, né en 1969 à Haïti et établi en Suisse depuis 2000. Conversation autour d'un Alphabet des nuits écrit dans le train Fribourg-Lausanne. Extraits (sans les rires).

- Un premier roman fait souvent la part belle à l'autobiographie, mais pas le vôtre semble-t-il ...

- Non. Je suis quelqu'un d'absolument heureux qui ne vit pas dans la littérature. J'avais plutôt envie de questionner la société haïtienne, d'en faire le tour, d'en aborder les grands thèmes.

- Pourquoi avoir choisi un héros juif, blanc et homosexuel ?

- Ce n'est pas de la provocation. J'ai côtoyé pas mal de juifs en Haïti et ce roman m'a été inspiré par le seul d'entre eux qui se soit essayé à la poésie. J'ai aussi eu recours à ce personnage de Juif errant pour dire qu'Haïti est une terre de transit, où tout le monde a un projet de départ. Les juifs détiennent aujourd'hui, avec les Arabes, tout le commerce en gros. En fait, on joue tellement avec les religions dans mon pays, qu'on fait très peu de différences entre juifs et musulmans.

- ?! ...

- Haïti est catholique, mais vit dans un véritable syncrétisme religieux. Et dans L'alphabet des nuits, j'ai essayé d'exprimer que tout converge vers le vaudou. Chaque quête aboutit chez un prêtre vaudou. Celle de mon héros également.

- Les hommes d'Eglise que vous mettez en fiction ne sont pas tous des saints ...

- Depuis le concordat signé avec le Vatican à la fin du XIXe siècle, l'Eglise prend en charge l'éducation en Haïti. Elle nous envoie ses brebis galeuses, des frères et curés pédophiles. J'ai voulu dénoncer cela.

- Parlons de votre écriture, de votre goût pour l'invention tout d'abord ...

- C'est la vengeance du colonisé. Je crois fermement que le français respire, évolue hors de France. J'ai commencé à écrire vers 14 ans, au cours de ma première fugue. Je voulais aller audelà des interdits (il n'y avait que cela à la maison). Mon père était un pasteur missionnaire et c'était lourd pour moi d'être protestant, tiers-mondiste et nègre. Plus tard, vers 1993, j'ai rencontré l'écrivain Lyonel Trouillot autour d'une structure appelée les Vendredis littéraires. Nous avons décidé de publier des textes en créole et j'ai participé au combat linguistique national en enseignant la littérature créole. J'ai besoin d'être créateur. Ecrire est un besoin. Je vis deux vies, une en Suisse et la deuxième en Haïti, à travers l'écriture. Haïti est un pays qui vous colle à la peau.

- Où travailliez-vous avant de prendre le chemin de l'exil ?

- J'étais directeur de la principale bibliothèque patrimoniale d'Haïti. J'ai rencontré ma femme (Fribourgeoise) à Haïti, que nous avons quitté après la naissance de nos deux enfants. Quand je suis arrivé à Neyruz (FR), j'ai découvert une Europe qui ne correspondait pas à celle que j'avais appris à singer. J'ai appris ici l'humilité, à me faire petit, à bien évoluer dans l'anonymat le plus complet. J'ai malheureusement aussi appris l'absolue valeur de l'argent. Je me considère comme une république ambulante qui signe tous les traités de paix pour bien fonctionner avec les autres. Mais je me méfie du mot " intégration " qui sonne comme une demande d'acculturation.

- Et l'avenir ?

- Jusque-là, j'ai toujours été payé pour lire en travaillant sur des fonds patrimoniaux: je viens de passer deux ans sur celui de Bernard Clavel à la Bibliothèque cantonale de Lausanne. Je vais maintenant faire autre chose, car j'inaugure une galerie d'art caribéen le 15 mai prochain à Fribourg.

Elisabeth Vust

27.04.2004

Parabole du Juif errant dans une république bananière

CRITIQUE En brouillant les repères temporels et en élisant pour héros un éternel déraciné, Jean-Euphèle Milcé donne des allures de fable à sa fiction foisonnante.

Jean Price-Mars, un des principaux maîtres à penser haïtiens du XXe siècle, disait que " les Haïtiens sont un peuple qui chante, danse, souffre et se résigne ". Un peuple présent dans L'alphabet des nuits avec son " seul soupir ", " ses chants différents ", son " Dieu à toutes les sauces ", son " président à vie jusqu'au prochain coup d'Etat " et " ses millions d'espoirs desséchés ". Haïti est ici plongé dans une longue nuit sans foi ni loi, emplie de peurs et de rumeurs, et ses habitants sont prisonniers de la noirceur, de la violence et de la suspicion. Cette terre qu'on pourrait penser maudite a le " don de se loger aux tréfonds de l'âme de ceux qui l'ont abordée ". Voilà bien la magie d'Haïti, que chacun aimerait quitter, dont quelques-uns s'éloignent, mais que personne n'arrive à oublier.

Le narrateur qui épelle sa douleur et sa colère dans L'alphabet des nuits est un commerçant juif de Port-au-Prince se sentant obligé de fuir après le meurtre de son ami Lucien. Homosexuel, donc différent, Jeremy Assaël double sa singularité en désertant son comptoir. " Un juif sans boutique, ça n'existe nulle part dans les républiques bananières. C'est notre secteur de survie, les seuls vrais rapports qu'on entretient avec ce pays. " Ironique sur le destin des siens en Haïti, lucide jusqu'à la caricature, le héros éprouve le besoin d'accélérer son histoire. Chose inimaginable à ses yeux, la passion amoureuse guide ses pas. Il (re) prend la route de l'exil après avoir consulté trois oracles (le missionnaire sur la montagne, l'accoucheur officieux de la révolution, le prêtre vaudou), les deux premiers en vain.

En brouillant les repères temporels et en élisant pour héros un éternel déraciné, Jean-Euphèle Milcé donne des allures de fable (de la dictature), de parabole (de l'exil, du Juif errant) à sa fiction où les thèmes s'accumulent sans lourdeur. Cela dit, l'écrivain ouvre tellement de pistes qu'il ne les suit pas toutes et qu'il en abandonne certaines un peu précipitamment. Cent cinquante pages ne suffisent pas à faire le tour de la société haïtienne (voir interview), mais permettent de découvrir une voix, un regard. L'auteur que distingue cette année le jury Georges-Nicole a une écriture pulsative, effervescente, audacieuse, et traversée d'images qui rendent le réel phosphorescent. Elle surgit de la plume d'un créateur revendiquant plus son métissage que son identité caribéenne, et dont le second roman est déjà sur le métier. Un romancier à suivre, et de près.

Elisabeth Vust

27.04.2004

 

  Extraits de presse

" JE VEUX PARLER DU DÉRACINEMENT "

" Ce roman, mon premier travail important en français [Milcé à surtout écrit en créole], raconte l'histoire d'un commerçant juif qui vit en Haïti dans un chaos fonctionnel total et qui tente malgré tout de sauver sa boutique. C'est en fait une banalité haïtienne à travers laquelle je veux évoquer la problématique générale du déracinement. "

Jean-Euphèle Milcé

[…]
la conception même du Prix Georges-Nicole, consistant en la découverte d'un nouvel auteur, nous paraît des plus louables. Jean-Marc Lovay et Anne-Lise Grobéty en furent les premiers bénéficiaires en 1969. et le choix de cette année nous rappelle, avec Jean-Euphèle Milcé, l'importance nouvelle de l'apport " étranger " à nos lettres.

Jean-Louis Kuffer

23.04.2004


Premier roman
Haïti traversé à vif

[...]
Parmi les soixante manuscrits qui lui avaient été adressés, le jury du Prix Georges Nicole, composé de Bertil Galland, Christophe Gallaz, Sylviane Dupuis, François Debluë, Eugène, Daniel de Roulet, Jean-Dominique Humbert, Alexandre Voisard et de la rédaction de la revue littéraire Ecriture (Françoise Fornerod, Daniel Maggetti, Sylviane Roche), a élu à l’unanimité L’Alphabet des nuits, de Jean-Euphèle Milcé. Des extraits de manuscrits retenus paraîtront dans Ecriture.

Jean-Dominique Humbert

22 avril 2004

L'Alphabet des nuits, Bernard Campiche Editeur, 2003

 

  L'Alphabet des nuits (Pierre Lepori)

Un paese devastato, percorso da flussi umani e culturali, bagnato da venti irruenti d'ideologia, incrostato di morti ingiuste e afflitto da un potere criminale. Jean-Euphèle Milcé potrebbe raccontarcelo così come l'hai vissuto, lui che ama definirsi un ex-îlé (un es-ilato). Ma decide di capovolgere il punto di vista: ci racconta la fuga, lo smarrimento, l'odissea di un ebreo bianco e per giunta omosessuale. L'altro assoluto, in un paese in cui l'alterità è già iscritta nell'eredità del colonialismo. Con un ulteriore capovolgimento, Milcé, che ha firmato i suoi primi testi in lingua creola, passa qui al francese, e lo fa con una tensione continua all'alterità della lingua, come se le parole fossero vesciche da dilatare, a forza di gran colpi. Colpi assestati dal ritmo - feroce, bellissimo - con cui il romanzo s'apre. E dalle metafore improvvise, spesso lancinanti. L'impressione di movimento - anzi di fuga in avanti - è raddoppiata dal peregrinare del personaggio, che attraversa l'isola per capire se il suo amore di gioventù - il mulatto Fresnel - sia ancora vivo. Un procedimento narrativo classico, che però va in una direzione dai sapori inconsueti: sarà attraverso un rito voodoo, attraverso l'incandescenza della trance e il ritorno a un sapere della terra e della genealogia, che Jeremy conoscerà la verità: l'amico è vivo, esule a Miami, e lo invita a prendere la via dell'esilio. Peccato che alla trance, nel momento risolutivo del viaggio, non corrisponda un'uguale carnalità delle parole. Milcé fatica infatti a mantenere il suo stile nella carreggiata bruciante della prima parte del libro: tende a esplicitare un po' troppo analiticamente il retroterra identitario, le aporie culturali, l'intrico di sensi e psiche. E il romanzo un po' si raffredda, rallentando e attutendo la forza di questa discesa agli inferi, potenzialmente così promettente. Lo si vorrebbe più brutale, più intensamente avvolgente: lo si trova invece talvolta tortuoso, all'immagine del suo personaggio. E' bene dirlo però: si tratta di un esordio di grande livello, molto più che una promessa, che aggiunge un ulteriore tassello di ricchezza a un panorama della narrativa romanda contemporanea già di per sé rallegrante.

Pierre Lepori

Rete2 - RTSI

 

Page créée le: 29.04.04
Dernière mise à jour le 25.05.04

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