Bien qu' elle publie fort peu, Agota
Kristof a des fonds de tiroir. La Hongroise la plus connue
du canton de Neuchâtel sort ainsi C'est égal.
L'opuscule regroupe 25 textes ultracourts écrits
depuis 1956. Certains d'entre eux, comme Ma sur
Line, mon frère Lonié, dépassent
à peine la page. [
] C'est égal soulève
du coup un point frappant de l'auteure. Tout s'y révèle
si concis, si " basique ", comme on dit aujourd'hui
que le lecteur finit par se demander s' il s' agit d'une
extraordinaire pauvreté de pensée ou d'une
quintessence. Agota rejoint ainsi Marguerite Duras ou Nathalie
Sarraute, ces autres dames raclant jusqu' à l'os.
12.02.2005
[
] Que ce soit dans "La
Boîte aux lettres", au téléphone
("Les Faux Numéros") ou en face à
face, la communication entre les êtres ne passe pas,
rien ne peut freiner "le crescendo de la solitude".
Le pire est peut-être d'être dépouillé
de sa propre vie: "Il n'y avait pas de quoi se souvenir",
c'est le bilan d'un ouvrier en fin de course. Une femme
rêve du chez-moi qu'elle n'a jamais eu. Une utopie
modeste, un quartier pauvre d'une ville pauvre: "Et,
sous mes paupières, passeront les images de ce rêve
mauvais que fut ma vie./ Mais elles ne me feront plus mal./
Je serai chez moi, seule, vieille et heureuse. "Cyniques",
dit Agota Kristof. Mais d'un cynisme sur le fil du fantastique,
délié du réel. L'un assassine son professeur
pour le soustraire à la brutalité des autres
élèves. L'autre s'obstine à déclarer
à la police que son mari est tombé sur la
hache au pied du lit conjugal. Un troisième, ancien
pauvre devenu anorexique, invite ses amis à un festin
où il leur sert en ragoût leur chat préféré.
Les maisons qu'on quitte en souffrent longtemps. Mais parfois,
il vaut mieux s'en aller: "Je pense qu'en dehors, il
y a une vie, mais dans cette vie il ne se passe rien. Rien
pour moi." On pense au Plume de Henri Michaux ("Je
n'ai pas suivi l'affaire, dit Plume, et il se rendormit").
La jeune Hongroise a dû conquérir une langue
d'écriture: elle est déjà là
dans ces "exercices" si dépouillés,
comme plus tard dans la trilogie qui la rendra célèbre.
La folie est un refuge: un homme attend "un train pour
le Nord" dans une gare désaffectée depuis
longtemps. Les morts tournent autour de la ville, dans un
canal, rejetés par la mer, et avec eux, "la
mauvaise conscience, les erreurs, les abandons, les trahisons,
les crimes, les meurtres". "C'est égal"?
Rien n'est moins sûr que cette indifférence.
Tout blesse encore avec la même acuité. Comme
ce souvenir d'enfance en creux qui clôt le recueil:
"Nulle part mon père ne s'est promené
avec moi la main dans la main."
Isabelle Rüf
08.01.2005
[
] Ces vingt-cinq nouvelles
de C'est égal datent d'il y a quinze ans. Elles ne
font souvent qu'une page ou deux, on les parcourt comme
un chemin jonché de morts, petites stèles
qui semblent indiquer une direction mystérieuse.
Des morts réelles, ou alors des sortes de : séparations,
attentes devant le téléphone ou la boîte
aux lettres, personnes jamais revenues. Des petits morceaux
défaits un peu tristes, partout le même paysage
: "des champs morts et boueux", des maisons vides,
des villes et rues désertées [
]
Eric Loret
10 février 2005
[
] Agota Kristof, c'est d'abord
l'histoire poignante d'une jeune Hongroise qui, à
21 ans, en 1956, décida d'échapper au communisme
et atterrit en Suisse, où elle trima dix heures par
jour dans une usine d'horlogerie. Et puis, il y eut un miracle,
celui de la littérature: en 1986, les éditions
du Seuil publièrent son Grand Cahier, un roman
magnifique sur le déracinement, la séparation,
l'identité perdue, les destins brisés dans
l'étau totalitaire. Aujourd'hui, Agota Kristof est
traduite en 30 langues, mais, recluse dans son modeste appartement
de Neuchâtel, elle tourne le dos au succès.
Et prétend même ne plus vouloir écrire.
D'où l'intérêt des deux livres qui viennent
de paraître - L'Analphabète et C'est
égal - dans lesquels elle rameute les démons
de son passé douloureux.
André Clavel
[
] Cruauté, amoralité,
hypocrisie, tout leur est bon. L'auteur de ces monstres
"charmants" a choisi pour écrire l'économie
des mots, ce qui donne une force déchirante à
tous ses paragraphes. Impitoyable dans la parcimonie des
phrases. On peut parler de style lapidaire, car on le reçoit
comme une volée de cailloux lancés à
coeur ouvert et saignant. Aujourd'hui, C'est égal
est aussi étique pour le style et le nombre de pages.
Et il fait mal, immuablement. C'est une série de
nouvelles, aussi brèves presque que celles que préférait
Félix Fénéon. Et le demi-deuil (ainsi
appelait-on le gris, naguère) en est la couleur dominante.
On lit des fables qui font mal, comme en écho au
mal profond qu'on prête à l'auteur...
Eric Ollivier
24 février 2005
[
] Fidèle à son
écriture dépouillée, tranchante, Agota
Kristof ne situe ses récits ni dans le temps ni dans
l'espace. On ne sait d'où viennent les personnages
des nouvelles aujourd'hui publiées sous un titre
glaçant, C'est égal... Chez Agota Kristof,
la désespérance, " c'est égal
", et c'est extraordinaire.
Martine Laval
9 février 2005
Page créée le: 11.05.05
Dernière mise à jour le: 11.05.05
|