La Poésie en Suisse
romande depuis Blaise Cendrars
La Poésie en Suisse romande depuis Blaise
Cendrars, présentée par Marion Graf et José-Flore
Tappy, Anthologie Seghers, 2005
Version imprimable
La Poésie
en Suisse romande depuis Blaise Cendrars |
ISBN 2-232-12259-X
|
Que peuvent avoir en commun
Blaise Cendrars, Philippe Jaccottet et Valère
Novarina? Charles-Ferdinand Ramuz, Nicolas Bouvier
et Sylviane Dupuis? Ils figurent parmi les trente-quatre
poètes de Suisse romande que présente
cette anthologie : quatre générations
aux voix diverses, lyriques ou ludiques, tragiques
ou espiègles, nomades, drues ou transparentes,
qui s'inscrivent dans la grande aventure poétique
du XXe siècle.
C'est peut-être la surprise
qui guette le lecteur de cet ouvrage : il ne trouvera
pas la poésie de Suisse romande où il
l'attend ; il découvrira le paysage poétique,
insaisissable et changeant, de territoires situés
entre le Jura et les Alpes, où le français
se parle depuis les origines de notre langue, et où
les échanges avec les lettres françaises
sont séculaires.
Une invitation au voyage.
Marion
Graf est à la fois critique littéraire
spécialisée en poésie, auteur
d'études consacrées à la littérature
en Suisse romande et traductrice de l'allemand et
du russe.
José-Flore
Tappy travaille au Centre de recherches sur
les lettres romandes de l'université de Lausanne.
Elle est l'auteur de plusieurs recueils de poèmes.
La Poésie en Suisse
romande depuis Blaise Cendrars, présentée
par Marion Graf et José-Flore Tappy,
Anthologie Seghers, 2005
|
|
|
Questions
à Emmanuel Laugier (par Francesco
Biamonte) |
Emmanuel
Laugier, né au
Maroc en 1969, vit à Paris. Collaborateur régulier
de plusieurs revues ("L'Animal", "L'Atelier
contemporain", "La Polygraphe"...), il a
dirigé la Cahier Jacques Dupin, States (Farrago,
2000) et postfacé du même auteur la nouvelle
édition de De Nul lieu et du Japon (Farrago
/ Léo Sceer, 2001). Il est l'auteur de plusieurs
livres de poésie (L'Oeil bande, Deyrolles,
1997; Son corpos flottant, Devillez, 2000; Et
je suis dehors, déjà je suis dans l'air,
Unes, 2000; Vertébral, Devillez, 2002, Portrait
de têtes, Prétexte éditeur, 2002;
Du Batras, La Sepmaine (" Journée) / Laugier,
Tout nôtre aer se noircit, édition 1:1,
2003). Pour Prétexte Editeur (Paris) il a dirigé
avec Lionel Destremau Singularité du sujet. Huit
études sur la poésie contemporaine (2002),
Pluralités du poème. Huit études
sur la poésie contemporaine, vol. 2 (2003), Quatorze
poètes. Anthologie critique et poétique
(2004).
Emmanuel Laugier, peut-on dire que
cette anthologie s'inscrit dans un intérêt
conséquent en France pour la poésie romande,
dans le sillage des projets éditoriaux français
liés à Gustave Roud ou Anne Perrier? Si oui,
comment expliquez-vous cet intérêt? Le croyez-vous
durable?
Sans conteste, on peut aujourd'hui,
en comparant les différents projets éditoriaux
qui mettent en relief les écritures suisses (l'effort
étant peut-être encore plus grand pour le côté
francophone que pour la Suisse alémanique), au moins
prendre la mesure de la richesse et de la pluralité
des voix qui compose aujourd'hui, pour ce qui est du régime
du poème ou de la poésie, l'écriture
suisse, ou de Suisse, si cela a encore un sens que de ramener
strictement telle ou telle écriture à une
identité nationale propre. Quoi qu'il en soit, l'essentiel
veut qu'aujourd'hui ce champ-là d'écritures
soit moins occulté, plus visible de ce que certaines
maisons d'éditions (je pense à Zoé
par exemple, aux Editions Empreintes, mais aussi à
L'Escampette qui a publé l'¦uvre poétique
complète d'Anne Perrier, etc.) travaillent à
leur reconnaissance. On voit mieux aujourd'hui ce que Pierre
Chappuis fait en poésie, simplement parce que les
éditions José Corti ont décidé
il y a plus de dix ans de suivre son travail, qu'au temps
où il publiait dans son coin Éboulis.
On pourrait citer bien des exemples similaires de ce genre
d'isolement, critiquer le peu de curiosité réelle
que les éditeurs parisiens portent aux grandes provinces
(et la Suisse en fait bien partie), mais aussi bien reprocher
au lecteur, en général, d'en manquer aussi
et de ne pas aller lire Jean-Marc Lovay, alors que Zoé
le publie depuis plus de dix ans (voilà un auteur
dont le travail sur la langue, la prosodie, est aussi radical
que celui de Valère Novarina, pour moitié
Suisse), de ne pas s'attacher non plus à ce que L'Age
d'homme a pu faire, parfois dans tous les sens, mais souvent
ils furent défricheurs comme peu, en publiant fidèlement
l'¦uvre de Jean Vuilleumier (il faut lire dans la
collection "poche Suisse" l'extraordinaire Rideau
noir ou même La Désaffection), les carnets
de Georges Haldas, ou bien encore la meilleure traduction,
et ce dès 1978, du Commis (Der Gehülfe)
de Robert Walser, mais sous le titre de L'Homme à
tout faire (réédition PS N°185), etc.
Il faudrait parler aussi de la méconnaissance totale
en France d'un Peter Bichsel, dont Gallimard avait il y
a 20 ans publié les Histoires enfantines;
son Chérubin Hammer et Chérubin Hammer
aura, lui, en 2001, fait simplement l'objet d'une page dans
le journal Le Matricule des Anges, mais rien ailleurs,
en librairie ce fut plus de retour que d'exemplaires vendus.
La littérature de création, suisse ou jurassienne,
ou toulousaine ou occitane ?! toute la littérature
de création en fait a besoin d'être soutenue,
par tous les moyens (les aides de l'État étant
là essentielles), si elle veut trouver des lieux
de publication qui n'aient pas comme seul horizon celui
de la rentabilité pécuniaire rapide. On sait
la lenteur dont cette littérature a besoin pour être,
ne serait-ce que lue par une centaine de lecteurs.
On pourrait aussi prendre la première
question en sens inverse: dans l'anthologie Gallimard de
la poésie française du XXè siècle
parue en 1983, mise à jour et rééditée
en 2000, le lecteur suisse peut être surpris de ne
pas trouver Gustave Roud ou Jean-Georges Lossier, ressentis
comme des figures tutélaires - même si d'autres
romands y figurent. Partagez-vous cette surprise?
Là encore, l'anthologie de
poésie est la première a refléter ses
manques, parce qu'une anthologie est génériquement
un choix restreint d'auteurs; n'empêche que certaines
anthologies n'en valent pas d'autres, il y a celles qui
sont dans les ornières et celles qui prennent les
sentiers battus plus facilement. Je ne jette pas la pierre
à celle dont vous parlez, c'est déjà
un travail énorme, mais disons que le genre de l'anthologie
n'échappe pas à une volonté de clarification
qui, parfois, se confond avec un "c'est déjà
ça" presque paresseux ou en suivant des conseils
de seconde main. On peut regretter en effet que dans une
anthologie de poésie d'expression française
on ne trouve pas Gustave Roud, Jean-Paul Pellaton, Jean
Vuilleumier, Jacques Mercanton, Jean-Marc Lovay, Adrien
Pasquali, que les femmes également soient aussi peu
présentes là où je suppose qu'elles
écrivent et publient bien. En fait le pont entre
le lecteur et les responsables éditoriaux est là
évident. De l'un découle l'autre. On ne sort
pas du cercle.
Pour sortir du cas particulier
de la Romandie: qu'en est-il des poésies belge ou
québecoise en France? Bénéficient-elles
aussi d'un intérêt neuf (pour autant qu'elle
aient aussi été marginalisées jusqu'à
présent)?
Je ne saurai pas tout à fait
ou vraiment vous répondre, mais il semble bien que
le problème suisse, si l'on peut le réduire
à cette difficulté qu'ont les français
à passer la frontière, à la sauter
ou à jouer avec elle dans le champ ouvert des écritures,
se reporte d'une certaine façon sur la Belgique et
sur le Canada, l'océan aidant bien ! On connaît
un peu mieux les écrivains belges, le côté
francophone, des gens comme Eugène Savitzkaya par
exemple (mais les éditions de Minuit ont beaucoup
joué à sa reconnaissance en France) alors
que les flamands restent, eux, à part Hugo Claus,
très marginalisés, bien qu'il s'y fasse, j'entends
dans le domaine poétique, des choses formidables.
Pour les lettrés romands,
les poètes retenus par la nouvelle anthologie composent
un choix irréprochable, que l'on pourrait aussi dire
sans surprise - sans y mettre de reproche. Bref, on y voit
un choix fait pour la France. De votre point de vue, comment
commenteriez-vous ce choix? Quelque chose vous-a-t-il spécialement
frappé? Auriez-vous attendu (ou espéré)
autre chose?
On peut toujours trouver des absents,
c'est sûr, mais pour le lecteur voulant avoir un panorama
assez complet de la poésie Suisse depuis Cendrars,
celle-ci me semble tout à fait répondre à
son projet. Le seul reproche que l'on pourrait lui faire
est de ne pas avoir inclus des auteurs qui, si ils semblent
n'avoir que peu de rapport avec l'idée du poème
en vers (rien que Le Canal exutoire ou le Grand
entretien, les textes de La Fourmi rouge en général,
etc. de Cingria auraient pu être une piste à
creuser), travaillent néanmoins dans les fossés
des genres, ils sont dans les remblais, dans l'ombre de
tout ils inventent une rythmicité spéciale
à leur narration, ou, au contraire, absentent toute
narration au c¦ur d'une approche descriptive du monde,
échangent l'esprit de la liste énumérative
contre l'agencement linéaire de l'espace et du temps,
bref des écrivains qui travaillent à l'élaboration
de poétiques très spéciales : Jean-Marc
Lovay (j'insiste), par exemple, est vraiment, au sens littéral
du terme, l'un des héritiers de l'esprit ultrarapide,
aussi loufoque que grave, d'un Cingria par exemple.
Dans sa préface, Bruno
Doucey cite Bertil Galland, évoquant le "principe
d'une différence essentielle" dont se revendiqueraient
les auteurs romands. La quatrième de couverture insiste
au contraire sur le caractère insaisissable du paysage
ainsi tracé. Quel est votre propre point de vue?
Ressentez-vous dans la poésie romande ce "principe
d'une différence essentielle"? Ou pour poser
la question en termes plus généraux, peut-être
trop généraux: la poésie (romande ou
non) a-t-elle davantage à gagner ou à perdre
dans la mise en avant de ses composantes identitaires, par
opposition à ses dimensions universelles?
Ce qui compte c'est moins l'effet
identitaire d'une littérature, ou d'une poétique,
bien qu'on puisse aussi en repérer les traces ci
et là, que la façon dont chaque écriture
travaille, malgré elle, à la mise en fonction
de sa propre rotative intérieure, brassant tout,
sa langue et son chinois à elle, sa terre et les
saignées antédiluviennes qui viennent l'aspirer
ou l'inspirer, si vous me permettez d'employer ce vieux
mot : elle va faire tourner sa voix dans les rouleaux conducteurs
comme elle le peut, sa logique sera celle de l'écart,
de l'oblique, de la diagonale, sa singularité de
n'avoir été fidèle qu'à ses
propres infidélités, soit même, comme
le disait Leopardi, jusqu'à en venir à la
haine de son pays natal.
|
|
Préface
par Bruno Doucey |
Face à face. Le titre de la lithographie,
signée Jacques Berger, que présente la couverture
de cet ouvrage souligne d'emblée un souhait : celui
de voir le lectorat français et la poésie
suisse romande enfin face à face. Cette anthologie
- une première en France - entend faire oublier le
discrédit qui frappe les poètes de langue
française qui vivent au-delà de nos frontières.
En 1977, Etiemble faisait remarquer, dans la préface
d'un ouvrage de Maurice Chappaz, que "les écrivains
qui n'ont point la chance d'être nés dans l'Hexagone
restent souvent considérés comme des bâtards
1". L'expression est
dure, mais elle n'est pas dénuée de fondement.
Que savons-nous en France des poètes qui vivent et
écrivent en Suisse romande ? De la vie littéraire
à Genève, Lausanne ou Neuchâtel ? Du
rapport que le lectorat helvétique entretient avec
la poésie contemporaine ? Des institutions qui soutiennent
la création artistique ? C'est à peine si
l'on se souvient qu'il faut un temps où de grands
poètes français, parmi lesquels Aragon, Elurad,
Saint-John Perse, Pierre Emmanuel, Loÿs Masson, Pierre
Jean Jouve, Jules Supervielle, Alain Borne ou Vercors, étaient
édités en Suisse, chez Skira à Genève,
dans les Cahiers du Rhône de La Baconnière
ou aux éditions des Trois Collines, sous les bons
auspices de François Lachenal. Sans doute n'a-t-on
pas suffisamment dit l'importance du rôle joué
par les éditeurs et les intellectuels suisses durant
les années d'Occupation.
Pendant longtemps, les Français
ont eu de la Suisse une vision romantique (j'allais dire
frictionnelle, presque paysagère), vivifiée
par les oeuvres de Jean-Jacques Rousseau, de Senancour,
de Benjamin Constant, de Mme de Staël ou d'Henri Frédéric
Amiel, auteur d'un Journal intime aux dimensions
exceptionnelles et d'un mémoire consacré au
Mouvement littéraire de la Suisse romande (1849).
Au cours du XXe siècle,
ces mêmes Français ont découvert qu'il
existait en Suisse une tradition intellectuelle de haut
vol : des générations d'étudiants se
sont initiés à la linguistique avec Ferdinand
de Saussure, à la psychopédagogie avec les
travaux de Jean Piaget. Bon nombre d'entre nous sont entrés
en littérature en lisant L'Âme romantique
et le rêve d'Albert Béguin, L'Amour
et l'Occident de Denis de Rougemont, les travaux de
Jean Rousset, de Marcel Raymond et de Jean Starobinski,
devenu à lui seul un pan entier de notre conscience
critique. Mais les poètes ? Suffit-il de découvrir,
comme par surprise, que Blaise Cendrars est né à
La Chaux-de-Fonds ou que Philippe Jaccottet a conservé
son passeport suisse pour connaître la poésie
romande ? Allons donc ! Il faut avoir l'honnêteté
de reconnaître que la France annexe les valeurs qui
l'intéressent (les cas de Rousseau, Constant, Cendrars
ou Jaccottet sont éloquents), mais laisse pour compte
les voix qui lui semblent plus ténues ou des figures
qui manifestent une altérité trop radicale.
Ils sont quelques-uns à en avoir fait les frais,
de ce côté-ci de la frontière.
D'une façon générale,
le constat qu'effectuait Etiemble il y a un quart de siècle
n'a pas perdu toute sa pertinence : les écrivains
du Québec ont pu "s'imposer tout seuls aux lecteurs
parisien " ; ceux de Maghreb, de l'Afrique noire, des
Antilles ont été projetés par "la
guerre d'Algérie et l'émancipation" à
"la place qui depuis longtemps devait être la
leur 2" : mais nos plus
proches voisins sont ceux que nous connaissons le moins.
À croire que le miroir des lacs qui nous séparent
ne nous renvoie que notre propre image.
Dans un texte qui servit de préface
à La Nouvelle Héloïse de Rousseau
3, Jean Starobinski faisait
remarquer que "sur le plan du langage, rien ne sépare
la Suisse romande de la France - sinon quelques provincialismes
dont on trouve les équivalents partout à l'intérieur
de l'Hexagone". C'est qu'en vérité "le
domaine linguistique français s'est dessiné
longtemps avant que les entités nationales aient
pris consistance. Dans les territoires situés entre
le Jura et les Alpes, la langue française est comme
naturellement présente. Elle n'y est pas une langue
d'emprunt. Elle ne s'accompagne d'aucun souvenir de conquête
ou d'expansion: elle constitue un milieu immémorial".
Cet état de fait souligne le caractère incongru,
presque inconvenant, de la relation que la culture française
instaure avec la Suisse romande. Si les "écrivains
français ne sont pas lus à Genève ou
à Lausanne comme des auteurs étrangers",
les écrivains romands constatent trop souvent, "lorsqu'ils
ouvrent les manuels et les histoires littéraires",
qu'ils sont rejetés "en appendice, dans le domaine
mal cadastré de la littérature d'expression
française, au voisinage de ceux pour qui le français
reste un héritage de l'époque coloniale 4".
La présente anthologie entend réparer cet
affront. Les poètes romands y sont présentés
pour ce qu'ils sont : des écrivains inclus de plein
droit dans la littérature d'expression française,
mais qui revendiquent, en toute légitimité,
"le principe d'une différence essentielle".
Une poésie qui cherche à "vaincre l'isolement
sans renoncer à l'intériorité qui lui
est chère", comme l'écrivait encore l'éditeur
Bertil Galland dans La Littérature de la Suisse
romande expliquée en un quart d'heure 5
.
Les textes rassemblés dans
le présent ouvrage permettront de découvrir
une poésie engagée dans l'une des plus belles
"défenses et illustrations de la langue française".
En témoignent ces vers d'Alexandre Voisard extraits
de l'Ode au pays qui ne veut pas mourir :
Mon pays, ô peuple qui patientes
Dans les jardins où les chansons survivent
Tu te lèves et ton cri parcourt les champs de blé
dont les intonations rappelle
l'Ode au Saint-Laurent du poète québécois
Gatien Lapointe, et cette affirmation d'une singulière
fierté :
Mon pays vient parler sur la place
du monde
Cette anthologie s'inscrit dans un
mouvement de découverte, ou de redécouverte,
de la poésie suisse romande qui a débuté
il y a quelques années en se polarisant sur des figures
d'exception : Gustave Roud, célébré
à maintes reprises en 2002, par la sortie d'Air
de la solitude dans la collection "Poésie
/ Gallimard" ; de sa correspondance avec Philippe Jaccottet,
remarquablement établie par José-Flore Tappy
pour Les Cahiers de la NRF; la parution d'un numéro
de la revue Europe et la réédition
de la monographie que lui consacra Philippe Jaccottet en
1968 dans la collection "Poètes d'aujourd'hui".
Actuellement, Charles-Ferdinand Ramuz, dont les oeuvres
paraîtront prochainement en Pléiade, ou Maurice
Chappaz, réédité chez Fata Morgana
et introduit par Christophe Carraud dans a collection "Poètes
d'aujourd'hui". Mais il manquait une anthologie de
référence, capable d'arpenter, de baliser,
de faire vivre un paysage littéraire. La voici.
Les textes collectés par Marion
Graf et José-Flore Tappy couvrent près d'un
siècle de poésie. L'ouvrage s'ouvre avec Blaise
Cendrars, dont la présence soulève plus d'une
question, pour se clore sur des poètes nés
après 1945, comme Jacques Roman, Sylviane Dupuis
ou Alain Rochat. Entre ces deux pôles, situés
de part et d'autre du XXe
siècle, figurent de grands noms de la poésie
suisse et poètes que nous gagnerons à relire
avec une curiosité nouvelle. Parmi eux, les bourlingueurs,
chantres d'une Suisse nomade, que furent Charles-Albert
Cingria, Nicolas Bouvier ou Lorenzo Pestelli, Suisse d'adoption,
mort accidentellement au Maroc en 1977.
L'absence qu'on pourra signaler de
tel ou tel poète tient moins à un oubli, toujours
possible, qu'à la difficulté de mesurer la
valeur intrinsèque d'oeuvres qui ne sont pas encore
inscrites dans la durée. Que les jeunes poètes
de ce pays se rassurent : d'autres anthologies viendront
qui leur rendront hommage. Pour l'heure, nous entendons
donner à lire la poésie d'expression française
d'un pays qui ne compte pas moins de quatre langues officielles
et qui se situe à la fois au coeur et en marge de
l'Europe. Les textes qui suivent ont de quoi faire vaciller
bien des idées reçues.
Une entreprise de cette nature doit
avoir ses passeurs. Critique de poésie depuis de
longues années, auteur du chapitre consacré
à la Suisse romande dans l'ouvrage Poésie
de langue française (1945-1960) 6,
responsable de l'ensemble des chapitres généraux
sur la poésie du XXe
siècle dans la récente Histoire de la littérature
en Suisse romande en quatre volumes 7,
traductrice avertie de l'allemand et du russe, Marion Graf
avait l'autorité nécessaire et l'objectivité
dont on pouvait rêver pour mener à bien un
tel projet. La présence à ses côtés
de José-Flore Tappy se conforme d'abord à
la volonté (longuement éprouvée) des
éditions Seghers d'associer un écrivains à
ce type d'ouvrage ; elle s'explique également par
ses compétences d'éditrice scientifique au
service d'une littérature qui lui est familière.
Je lui sais gré d'avoir cédé, en dépit
de ses réticences, à mon souhait de voir figurer
ses poèmes dans l'ouvrage.
Bruno Doucey
Paris, septembre 2004
-----------------------------------------------------
1. Maurice Chappaz, Pages choisies,
l'Âge d'Homme.
2. Étiemble, ibidem.
3. Jean Starobinski, "L'écrivain romand : un
décalage fécond", in Jean-Jacques Rousseau
- La transparence et l'obstacle, Gallimard, coll. "Tel",
1971.
4. Jean Starobinski, op. cit.
5. Bertil Galland, La Littérature de la Suisse
romande expliquée en un quart d'heure, Zoé,
coll. "Cactus", Genève, 1986.
6. Ouvrage dirigé par Marie-Claire Bancquart, Presses
universtiaires de France, 1995.
7. Ouvrage dirigé par Roger Francillon, Payot, Lausanne,
1996-1999.
|
|
Tables
des matières |
Préface par Bruno Doucey
I. Inventer
un lieu de parole (Poètes nés avant
1900)
Blaise Cendrars
Charles-Ferdinand Ramuz
Charles-Albert Cingria
Werner Renfer
Edmond-Henri Crisinel
Pierre-Louis Matthey
Gustave Roud
II.
Poids du monde, mesure du chant (Poètes nés
entre 1910 et 1925)
Maurice Chappaz
Corinna Bille
Jean Cuttat
Jean-Georges Lossier
Edmond Jeanneret
Anne Perrier
Georges Haldas
Jean-Pierre Schlungegger
Philippe Jaccottet
III.
Eclats et transgressions (Poètes nés
entre 1929 et 1945)
Alexandre Voisard
Jacques Chessex
Pierre-Alain Tâche
Jean Pache
Vahé Godel
Monique Laederach
Francis Giauque
Lorenzo Pestelli
Nicolas Bouvier
Pierre Chappuis
IV.
Parler dans la précarité (Poètes
nés après 1945)
Frédéric Wandelère
François Debluë
José-Flore Tappy
Pierre Voélin
Alain Rochat
Sylviane Dupuis
Jacques Roman
Valère Novarina
Postface par Marion Graf
Notices biographiques
Crédits bibliographiques
|
|
Revue
de presse |
Une anthologie est toujours discutable,
et La poésie en Suisse romande depuis Blaise Cendrars
ne fait pas exception, dont les choix ne manqueront pas
d'être contestés. Pourquoi celui-ci et pas
celle-là ? Pourquoi cet extrait et pas cet autre
? Et moi, et moi, et moi ? En considérant à
la fois l'ensemble et le détail, le caractère
" incontournable " de certaines uvres et
la multiplicité d'options possibles entre le très
convenu et le plutôt inattendu, force est pourtant
de saluer une entreprise satisfaisante dans les grandes
largeurs, déployant un éventail bien représentatif
de la poésie romande et se " risquant "
à ouvrir celle-ci à la prose poétique
(cela semble aller de soi pour un Gustave Roud) et à
la prose tout court (avec un Cingria, dont les extraits
ne sont pas hélas de sa veine la plus géniale)
ou à la parole théâtrale, heureusement
représentée en l'occurrence par un Valère
Novarina, fort peu " romand " au demeurant. Si
les trois premières sections, vouées à
l'illustration des valeurs les plus reconnues, nous paraissent
les moins contestables, la quatrième se ressent évidemment
plus des accointances d'un milieu et d'un réseau
dans lesquels gravitent Marion Graf et José-Flore
Tappy, laquelle se trouve d'ailleurs bien représentée,
même si Bruno Doucey a l'élégance de
relever qu' il lui a forcé la main
Le côté
" poétiquement correct " apparaît
du moins, que certaines voix autres eussent défrisé,
comme celles d'un Claude Tabarini, d'une Corinne Desarzens
ou d'un Jacques Probst. Un principe général
fait enfin problème, visant à une prétendue
équité de dotation, sans relation proportionnelle
aux dimensions réelles de l'uvre. Celle d'un
Jacques Chessex paraît ainsi bien chichement illustrée,
au bénéfice de pairs trop bien servis à
notre goût.
Jean-Louis Kuffer
15.01.2005
L'anthologie de la poésie
en Suisse romande qui paraît ces jours-ci chez Seghers
est la première du genre publiée en France.
En quatre sections, elle présente 34 auteurs du XXe
siècle, de ceux qui, nés avant 1900, ont "inventé
un lieu de parole" à ceux qui, nés après
1945, "parlent dans la précarité".
Elle s'assortit de brefs portraits de chacun des auteurs
retenus et d'un éclairant tableau d'un siècle
de poésie dans notre pays, brossé par la spécialiste
qu'est Marion Graf (historique, éditeurs, revues,
accueil critique, relation au monde). Quant à José-Flore
Tappy, elle-même poète, elle a apporté
à cette entreprise commune sa compétence d'éditrice
de textes à partir d'archives littéraires.
[
] Ce que cette excellente anthologie ne dit pas,
c'est la bonne santé de ce secteur de l'édition
par rapport à la France. Le tirage moyen d'un recueil
est le même de part et d'autre de la frontière,
alors que le public potentiel est plus de trente fois plus
nombreux dans l'Hexagone. Effet de périphérie
peut-être, mais qui n'a pas empêché la
Suisse romande de concilier marginalité et rigueur.
Isabellle Martin
22 janvier 2005
L'ouvrage recouvre plus d'un siècle
de poésie romande, de Blaise Cendrars à Charles-Ferdinand
Ramuz en passant par Philippe Jacottet et Nicolas Bouvier.
Mais qu' ont-ils en commun ces auteurs, outre le fait d'être
nés au même endroit (mais à des moments
différents )? Ce fait suffit-il vraiment à
leur donner une identité commune ? Etre d'ici plus
que d'ailleurs inculque-t-il forcément l'amour du
pays romand ? Et chanter la Suisse revient-il nécessairement
toujours à la célébrer ? [
]Notre
pays peut prendre, selon les auteurs, des formes très
diverses. L'évocation de la nature est bien sûr
propre à nombre d'écrivains. Pourtant, loin
des romantiques images d'E pinal célébrées
par la littérature de Jean-Jacques Rousseau, les
vers de Corinna Bille, Valaisanne d'adoption et épouse
de Maurice Chappaz, blâment la rigidité helvétique:
" Pays acide / Mal mûr / Aujourd'hui, / Nos bouches
se resserrent à sa vue / Et le désirent. "
[
] L'autre fracture qui parcourt tant le pays que
sa production poétique reste la religion: une différence
palpable persiste entre la littérature protestante
et catholique. Les auteurs de la première projettent
souvent leur culpabilité dans leurs vers. Ainsi,
Philippe Jaccottet écrit: " Déchire ces
ombres enfin comme des chiffons, / vêtu de loques,
faux mendiant, coureur de linceuls: / singer la mort à
distance est vergogne / avoir peur quand il y aura lieu
suffit. " [
] Si l'art des écrivains nés
dans la zone francophone de Suisse ne peut en aucun cas
être réduit à la " poésie
romande ", pour répondre à la question
du début, le combat valait tout de même la
peine d'être mené. L'objectif affiché
du directeur des Editions Seghers, Bruno Doucey, est de
" faire connaître et apprécier en France
la poésie suisse romande " et de " faire
oublier le discrédit qui frappe les poètes
de langue française qui vivent au-delà de
nos frontières ". Ainsi, cette anthologie est
associée à deux autres ouvrages, l'un paru
en novembre 2004 et consacré à la poétesse
Anne Perrier, l'autre à paraître en février
et qui sera dédié à l'uvre du
poète valaisan Maurice Chappaz.
Linn Levy
29 janvier 2005
[
] L'anthologie poétique
comporte de nombreux textes en prose. Les responsables de
l'anthologie (Marion Graf et José-Flore Tappy) ont
estimé, à juste titre, que la forme poétique
traditionnelle, celle des vers rythmés, faisait parfois
faux-vieux comparée à l'expression plus libre.
C'est évident pour Edouard-Henri Crisinel ou Gustave
Roud. Mais ont été choisis aussi des textes
de prose d'auteurs poétiquement éprouvés
comme Philippe Jaccottet, Lorenzo Pestelli, Corinna Bille.
Parti pris heureux. Car il peut y avoir comme un glissement
naturel vers le poème court, chargé poétiquement
par un vocabulaire à longue résonance dans
notre imaginaire, comme l'aube ou les larmes. On aboutirait
alors, en suivant cette pente, à la création
d'une forme aussi convenue que de nouveaux alexandrins.
Les choix "prosaïques" de l'anthologie démentent
ce qui pourrait être un académisme romand.
De même, la référence unique à
nos paysages familiers est rompue d'une part par les écrivains
voyageurs: Et ce matin sur les draps propres / la petite
tache de sang des punaises / mais le lit était bon
(Nicolas Bouvier, "Soho", juillet 1970). [
]
|
André
Gavillet
Domaine Public, n. 1632
28 janvier 2005 |
[
] Ma l'editore Seghers non
ha finito di stupire la Svizzera Romanda: pubblica infatti
ad apertura del 2005 una vasta antologia dedicata alla poesia
svizzera di lingua francese, curata da Marion Graf e dall'ottima
poetessa José Flore Tappy, 300 pagine che si spingono
fino ad Alain Rochat, autore nato nel 1961. Ottimo colpo
editoriale, si può dire, anche se la scelta appare
forse un po' cauta. Al di là della mancanza di stile
dell'inserire anche una delle due curatrici tra gli autori
antologizzati (ma è l'editore, a quanto pare, ad
aver insistito), si può infatti "rimproverare"
a questa'antologia di non osare granché. Vi si incontrano
solo i nomi confermati e prevedibili (con l'aggiunta di
Cingria e di Ramuz, la cui ammissione tra i poeti è
forse un poco opinabile, così come di Valère
Novarina, che potremmo considerare un poeta francese), ma
non si affaccia nessuna generazione nuova, o in divenire,
nessuna voce d'outsider. Da Cendrars a Bouvier (autore di
un unico, non fondamentale, libro di versi), da Roud a Jacques
Roman (attore e scrittore dalla vena turbolenta ed eccessiva),
praticamente nessuno manca all'appello. Ma un rimprovero
che si può fare solo dal nostro punto di osservazione
interno: certamente a Parigi le voci di Crisinel e Matthey
(due grandissimi, purtroppo un po' dimenticati), del pasionario
Voisard o della metafisica Dupuis parranno nuovissime.
Pierre Lepori
Rete2 - RTSI
Page créée le 28.02.05
Dernière mise à jour le 08.03.05
|
|
© "Le Culturactif
Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"
|
|