Marie-Jeanne Urech répond 
                    aux questions de Brigitte Steudler 
                    
                    Le Cultur@ctif, suite à 
                      la parution récente de La Salle d'attente 
                      a souhaité à nouveau s'entretenir avec vous 
                      espérant convaincre nos lecteurs de se laisser emmener 
                      dans votre univers fantasmagorique, si particulier et si 
                      personnel. Afin de mieux vous connaître pouvez-vous 
                      nous parler des auteurs dont vous vous sentez proches ? 
                      Et, puisque vous réalisez également des documentaires, 
                      quels sont les films et réalisateurs qui auraient 
                      exercé un attrait sur vous au cours des années 
                      passées ? 
                    J'ai été marquée 
                      à quinze ans par Boris Vian. Après Hugo, Zola 
                      et Molière qu'on nous sert généralement 
                      à cet âge, la découverte de Vian a été 
                      une fenêtre sur un nouvel univers avec lequel je me 
                      suis tout de suite sentie en symbiose. L'univers des objets 
                      animés, de l'absurde et du tout-est-possible. Le 
                      premier livre, c'était L'Ecume des jours , 
                      mais je lui préfère encore L'arrache-Cur. 
                      Ensuite, le monde de Kafka me plaît énormément. 
                      Particulièrement, Le Château. J'ai constaté 
                      que je ne me rappelais jamais vraiment ses histoires. C'est 
                      l'atmosphère qu'il crée qui est importante 
                      et inoubliable. Et puis un style très simple, clair 
                      et efficace. Avec aussi ses touches de surréalisme 
                      (notamment dans Le Procès) qui en font pour 
                      moi un avant-gardiste du genre. Il y a aussi Gabriel Garcia 
                      Marquez, Cent ans de solitude. Là c'est le 
                      foisonnement d'idées, la couleur, l'abondance. En 
                      un claquement de doigt les personnages meurent, naissent, 
                      tout va très vite. Maupassant, les nouvelles en général 
                      et Bel-Ami pour les romans. Le roi de la chute. D'une 
                      cruauté salvatrice. Un style aussi très simple 
                      et efficace. En deux mots, il dresse une description bien 
                      cynique et critique. Et qui n'a pas pris une ride. Allessandro 
                      Baricco, Océan mer . J'ai trouvé ce 
                      livre très poétique, très original. 
                      Il crée aussi toute une atmosphère en quelques 
                      mots. 
                    Pour les films, c'est Kusturica avec 
                      Le temps des gitans. C'est un film où on rit 
                      et pleure dans la même scène. Je trouve que 
                      le mélange de sentiments est important, car dans 
                      la vie c'est ce qui arrive. On peut rire à un enterrement, 
                      pleurer à son anniversaire et dans la même 
                      minute avoir cinq sentiments différents. J'aime Fellini 
                      pour la générosité et la non-normalité 
                      de ses caractères, (E la nave va particulièrement). 
                      Truffaut pour ses dialogues et son observation très 
                      fine des relations humaines (Baisers volés et 
                      Domicile conjugal) et tant d'autres
. 
                    Ma deuxième question a 
                      trait aux relations particulières (que l'on devine 
                      empreintes de tendresse et d'affection très déguisées) 
                      que vous semblez entretenir d'une part avec les personnes 
                      âgées (personnages centraux de votre premier 
                      recueil de nouvelles Foisonnement dans l'air) et 
                      d'autre part avec la mort omniprésente au travers 
                      du travail accompli (et décrit de façon quasi 
                      burlesque) par la famille de croque-morts dans La Salle 
                      d'attente. 
                      N'imaginez-vous pas de prime abord pouvoir choquer facilement 
                      une partie de vos lecteurs ? 
                    A propos des vieux (c'est plus court 
                      à dire que personnes âgées et je n'y 
                      vois pas quelque chose de péjoratif) : réjouissez-vous, 
                      il n'y a pas que dans mes livres que j'en parle, mais aussi 
                      dans mes documentaires. Le dernier en date Monotone mon 
                      automne ? est d'ailleurs exclusivement consacré 
                      au 3e (voir au 4 e) âge, puisque j'ai suivi pendant 
                      une année trois octogénaires. Pour info, le 
                      film sortira au festival documentaire Visions du Réel 
                      de Nyon en avril. Je ne m'explique pas pourquoi cet intérêt 
                      pour eux. J'ai eu des parents relativement âgés, 
                      frères et surs bien plus vieux que moi, j'ai 
                      assez connu mes grands-mères pour les voir baisser 
                      jusqu'à ne plus reconnaître leurs enfants, 
                      mais beaucoup de gens ont vécu cette situation et 
                      ne sont pas marqués comme moi. Alors pourquoi cet 
                      intérêt ? Peut-être parce que j'aime 
                      bien m'attacher aux gens dont on parle jamais. Or les vieux, 
                      ce n'est pas très "sexy" pour prendre un 
                      terme à la mode et vendeur. Peut-être aussi 
                      parce que je suis admirative devant ces gens qui ont atteint 
                      un âge avancé. Il faut beaucoup de courage 
                      pour arriver à huitante ans. Quant à la mort, 
                      malheureusement elle est fortement liée à 
                      ce sujet. Personnellement, je n'ai pas peur de ma propre 
                      mort, mais plutôt de celle des autres, de mes proches. 
                      J'imagine qu'en parler et la tourner en dérision 
                      aide à l'accepter. Espérons ! 
                    Pensez-vous que vos études 
                      poursuivies (délibérément ou non ?) 
                      en Angleterre ont pu à ce point vous imprégner 
                      d'une mentalité si différente une fois la 
                      Manche traversée ? Reconnaissez-vous dans La Salle 
                      d'attente avoir emmené vos lecteurs dans un univers 
                      fantastique plus anglo-saxon que latin en choisissant par 
                      exemple, et peut-être malgré vous, de mettre 
                      l'accent sur la dimension terriblement mouillée et 
                      humide de l'histoire, la viscosité, de même 
                      que la présence presque obsédante du porc 
                      ? 
                    A l'origine, l'idée était 
                      de partir à l'étranger, voir autre chose. 
                      Ça aurait pu être la France, l'Allemagne. C'est 
                      finalement l'Angleterre où j'ai été 
                      acceptée pour mes études. Oui, le livre a 
                      été fortement influencé par Londres. 
                      En premier lieu, l'idée centrale : ce sentiment d'enfermement, 
                      d'être dans un endroit d'où on ne peut pas 
                      partir. Car à Londres, il n'y a pas d'espace. Tout 
                      est étroit, serré, sans vue et étouffant. 
                      J'avais constamment le sentiment d'être dans une boîte 
                      coincée sur une île avec l'impression que je 
                      ne rentrerai jamais chez moi. L'idée des vieux-pancartes, 
                      je l'ai racontée à la question deux. Les croque-morts 
                      sont aussi d'origine britannique, car à Londres chaque 
                      quartier a son funeral store. Celui de mon quartier 
                      était tenu par John Nods and sons et je passais tous 
                      les jours devant en sortant du bus. Et j'allais oublier 
                      les cochons ! Ils m'avaient déjà inspiré 
                      pour un court-métrage de fiction. Car mon voisin 
                      avait l'habitude de donner des têtes de cochon en 
                      guise de nourriture à ses molosses. Il les plantait 
                      sur un pieu et les bêtes venaient les mastiquer. De 
                      ma chambre, j'avais la vue sur les ossements. Un vrai cimetière. 
                      Fatalement, cela marque ! Par contre, l'atmosphère 
                      climatique fait plutôt référence au 
                      Jura. 
                      Donc oui, les ingrédients principaux du livre sont 
                      made in England et c'est vrai qu'il y a un certain humour 
                      anglais qui m'attire. Maintenant à savoir si c'est 
                      écrit avec une mentalité anglo-saxonne ! Je 
                      ne pense pas car le premier livre Foisonnement dans l'air 
                      a été écrit avant mon séjour 
                      à Londres et je pense que La Salle d'attente 
                      est dans la même veine. Si toutefois mon écriture 
                      a un style anglo-saxon, cela ne peut venir que de mon 16e 
                      de sang écossais. Je ne vois pas d'autres explications 
                      ! 
                    
                    Appréciant beaucoup la 
                      nouveauté de votre style ainsi que la particularité 
                      de votre univers, je me demande malgré tout s'il 
                      vous est possible de vous imaginer pouvoir continuer de 
                      nombreuses années dans les deux voies que vous avez 
                      choisies, soit d'une part l'écriture (solitaire, 
                      intense et productive, deux parutions se suivant en peu 
                      de temps) et la réalisation de films documentaires 
                      (action collective à plusieurs composantes) ? Ou 
                      alors, quels sont les projets fous, secrets ou osés 
                      qui pourraient traverser votre esprit dans les années 
                      à venir et dont l'énoncé pourraient 
                      nous aider à mieux vous connaître ? Auriez-vous 
                      des modèles en matière d'écriture et 
                      de réalisation cinématographique auxquels 
                      il vous plairait de ressembler dans quelques années 
                      - en restant bien entendu convaincue que vous êtes 
                      unique et avant tout, vous, Marie-Jeanne Urech ? 
                    Beaucoup de questions en une. Disons 
                      que toutes les questions liées au futur m'angoissent, 
                      parce que malheureusement, je nage dans une complète 
                      incertitude (et en plus je ne suis pas une bonne nageuse). 
                      Le désir de continuer est une chose, il dépend 
                      de moi et je continuerai jusqu'à ce que je fasse 
                      une syncope ou que je n'aie plus rien à dire, mais 
                      la concrétisation de ce désir en est une autre 
                      et elle dépend beaucoup du monde extérieur. 
                      En effet, je ne sais jamais si je vais obtenir les crédits 
                      pour un nouveau film, si l'éditeur va apprécier 
                      le manuscrit et le publier et même si j'obtiens les 
                      deux, je ne sais quand même pas comment payer mes 
                      factures à la fin du mois ; si je n'obtiens aucun 
                      des deux, je ne sais pas en quoi je pourrais me recycler 
                      et encore moins comment payer mes factures. Disons que dans 
                      le meilleur des cas, je sais ce que je ferai dans les six 
                      mois à venir et que j'aurai toujours une facture 
                      qui m'attendra quelque part. Alors devant ces perspectives 
                      charmantes, j'avance en évitant de me poser ces questions 
                      qui renvoient le reflet irrationnel de ma situation et je 
                      me dis que ce qui a été fait, c'est déjà 
                      tout ça de pris sur l'adversité. Eh oui, des 
                      fois les lieux communs ont une valeur curative. 
                    Merci de me rappeler que je suis 
                      unique et que je suis moi, cela dissipe au moins quelques 
                      incertitudes. Je ne suis pas trop du genre à avoir 
                      des modèles. 
                    Disons que mon projet fou pour le 
                      futur serait d'arriver à vivre de ces multiples activités 
                      tout en restant intègre dans mon travail et ma conception 
                      du monde. De manière plus concrète, je suis 
                      en train d'écrire un nouveau roman et j'ai un projet 
                      pour un nouveau documentaire. A part cela, je n'en sais 
                      pas plus ! 
                    Propos recueillis par Brigitte 
                      Steudler 
                      © LeCultur@ctifSuisse, 
                      mars 2005 
                     
                     
                    Page créée le: 28.02.05 
                      Dernière mise à jour le: 09.03.05 
                      
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