In breve in italiano - Kurz und deutsch
Jusqu'à Sept ans , je me suis toujours attachée aux héros stammiens ; à l'inoubliable Kathrine surtout qui décrochait sa vie de fils précaires et apprenait à l'habiter dans Paysages aléatoires (2002) ; et à Andreas, poussé hors de lui et de chez lui par le spectre de la mort dans le prégnant Un jour comme celui-ci (2007). A l'instar de la plupart des figures masculines chez Peter Stamm, Andreas était plutôt lâche, mais littéralement aimable. Ce n'est pas le cas, à mes yeux, de Alex, le narrateur de Sept ans. Nulle (ou presque) empathie envers ce quadragénaire, n'assumant pas de se sentir plus vivant à côté d'une femme grise et morne que de son épouse, nettement plus brillante, plus sortable.
Un homme ne se résout à quitter ni sa femme légitime ni son amante. Dans cette histoire de triangle amoureux classique, « le pouvoir qu'un être humain peut avoir sur nous nous quand il nous aime » intéresse particulièrement Peter Stamm. L'écrivain alémanique explique en outre avoir emprunté à Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz le thème d'un homme s'attachant à une femme « sous l'effet d'un étrange dégoût ».
De fait, si Alex s'aveugle en disant être lié à Iwona au regard « vide comme celui d'un animal » seulement par une « obsession sexuelle », il se rend vite compte que son attraction est plus complexe, et qu'il connaît auprès de cette femme sans qualités un sentiment de sécurité bouleversant, et inédit pour lui. Alex est marié à une femme, Sonia, avec laquelle il a étudié l'architecture et monté une agence. Ils ont aussi élevé une enfant, qu'Alex a eue avec Iwona, et que celle-ci a accepté de céder au couple. Notons sans développer qu'Iwona puise sa force dans la foi, et accepte les épreuves que Dieu lui réserve sans paraître en souffrir.
On le voit, la situation est délicate, et l'on peut éprouver un certain malaise devant ce trio (qui devient un quatuor) tellement il dégage d'étrangeté et est entouré de silence. Fidèle à lui-même, l'auteur alémanique respecte l'intimité de ses personnages. « J'aime être discret avec eux, ne pas forcer leurs pensées, ne pas les envahir », disait-il lors de la parution de Paysages aléatoires .
Peter Stamm n'interprète pas, ne théorise pas ; il observe des hommes et des femmes se démener avec leurs contradictions et leur aspiration à un bonheur qu'ils n'ont pas toujours le courage de rechercher. Chacun conclut avec la vie des petits arrangements, qui de confortables peuvent devenir étouffants, immobilisants. L'écrivain est attentif à la dynamique des existences, aux mouvements des cœurs, à la physique des émotions. Il suit ici la naissance de la honte chez le narrateur, la progression d'un effroi vécu comme « ni positif ni négatif ». Alex décrit ses émotions tout en paraissant ne pas se laisser habiter par elles, toucher par elles. A l'instar d'Iwona dotée d'« une carapace que personne n'arrivait à percer », il semble séparé du monde par quelque chose qui le coupe des autres et de lui-même. Du coup, à part certains moments où les barrières tombent et l'émotion l'atteint, il émane d'Alex une certaine froideur, d'ailleurs présente dans tous les récits de l'auteur. Froideur des rapports humains ; froideur d'une solitude existentielle, fondamentale mais insupportable.
« Elle m'avait demandé si finalement j'avais aimé Sonia. Comme si on pouvait répondre aussi facilement [ … ] ». En digne héros stammien, Alex a peur de s'engager, d'engager tout son être dans une relation. C'est seulement après sa séparation d'avec Sonia (et l'écroulement de leur agence) qu'il note se sentir très léger, réveillé, revenu enfin à lui-même après un long coma. En fin de compte, à défaut de complicité avec Alex, on partage sa perplexité devant la trajectoire qu'a prise sa vie, et on se glisse dans cette mélancolie si cotonneuse dont l'entoure Peter Stamm.
Dans Sept ans , les femmes ont la foi, les hommes le désarroi. Sonia croit « pouvoir changer le monde par l'architecture » ; Iwona vit pour leur amour (quand bien même il est peu partagé) et s'est tournée vers Dieu. Quant à Sophie, la fille du trio, elle reste un être mystérieux pour tous ; son père l'aime avec l'impression que rien de l'amour qu'il ressent pour elle ne lui est restitué, que ses sentiments sont « happés comme la matière dans un trou noir ».
Elisabeth Vust
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