Robert Walser
Le Territoire du Crayon, Traduit de
l'allemand par Marion Graf,
Choix de textes et postace par Peter Utz, Editions Zoé, 2002
Retrouvez également
Robert Walser dans nos
pages consacrées aux auteurs de Suisse.
Robert
Walser / Le Territoire du Crayon |
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La bohème à Berlin
au début du siècle, quelques succès
suivis d'années d'errance, de solitude, de
travail harassant dans les mansardes de Bienne et
de Berne, puis vingt-six années d'internement,
dont vingt-trois ans de silence littéraire,
avant de mourir dans la neige un jour de Noël:
le tragique destin de Robert Walser (1878-1956), à
la fois choisi et subi, est mystérieusement
relié à son oeuvre, reconnue aujourd'hui
comme l'une des plus importantes de la modernité
littéraire.
Au cours des années
1920, extrêmement productives, son art s'affermit,
sou-verain, avec une liberté, une drôlerie,
une ferveur, une légèreté et
une acuité époustouflantes. C'est aux
choses de rien, aux hasards du quotidien, que Walserfrotte
l'allumette d'une écriture qui, l'espace de
quelques pages, transfigure le monde.
En témoignent les 77
proses choisies parmi les fameux "microgrammes".
Il aura fallu une vingtaine d'années pour déchiffrer
ces manuscrits inédits notés au crayon
d'une écriture minuscule sur 526 feuillets
disparates: enveloppes, marges de journaux, formulaires
officiels, etc. Le présent recueil offre un
premier aperçu en français de leur merveilleuse
richesse.
Choix de textes et postface
par Peter Utz
Traduit de l'allemand par Marion Graf (lauréate
pour Le Territoire du crayon du Prix André
Gide pour les traductions littéraires franco-allemandes)
Le
Territoire du Crayon, Editions Zoé, 2002
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Dans la mine
de Walser, par Mathieu Lindon |
"Je dois au système du crayon, qui va de pair
avec un système de copie parfaitement conséquent,
et comme bureaucratique, de véritables tourments,
mais cette torture m'a enseigné la patience, en sorte
que je suis devenu un artiste dans l'art de patienter. (...)
En ce qui concerne l'auteur de ces lignes, il y eut un certain
moment, en effet, où il se trouva pris d'une terrible,
d'une effroyable aversion pour la plume, un moment où
il en fut fatigué à un point que je peux à
peine vous décrire, où il devenait tout stupide
pour peu qu'il commence seulement à s'en servir,
et pour se libérer de ce dégoût de la
plume, il se mit à crayonner, à esquisser,
à batifoler. (...) Une impuissance, une crampe, un
étouffement sont toujours quelque chose de physique
et de mental à la fois. Je passai donc par une période
de délabrement qui en un sens se refléta dans
l'écriture, dans la dissolution de celle-ci, et c'est
en recopiant ce que j'avais écrit au crayon que j'ai
pu réapprendre à écrire, comme un gosse."
Dans sa postface au Territoire du crayon, sous-titre Proses
des microgrammes, Peter Utz cite cette lettre de 1927. Robert
Walser, écrivain suisse allemand, né en 1878
et mort dans la neige le jour de Noël 1955 après
avoir été interné depuis 1929, remit
à sa s¦ur en 1937 des textes qu'ele remit
elle-même à des exégètes qui
n'y attachèrent guère d'importance. Il s'agissait
de 526 feuillets divers (enveloppes, cartes de visite...)
couverts d'une écriture minuscule qu'on crut d'abord
être un langage secret, jusqu'à ce qu'il s'avère
que ces "microgrammes" étaient "écrits
dans une forme miniaturisée à l'extrême
de l'ancienne écriture allemande courante".
Le déchiffrement fut difficile. "Les caractères
ne mesurent souvent guère plus d'un millimètre
de hauteur, et des syllabes entières sont amalgamées
dans des abréviations rappelant des signes sténographiques",
le tout donnant 4000 pages imprimées dont un choix
est aujourd'hui traduit. "Pourquoi n'avons-nous pas
le courage de croire en l'époque dans laquelle nous
vivons? Tout ce que nous exhumons, béants d'admiration,
chez les grands créateurs d'antan, il me semble que
cela nous fait du tort. Et si maintenant notre époque
était devenue plus petite, ne ferions-nous pas mieux
de nous résoudre à ces choses minuscules?"
écrit Walser dans une des 77 brefs textes traduits.
Ces textes magnifiques sont fidèles au ton si particulier
de Walser, son obéissance paresseuse, son respect
négligent, sa désinvolture exaltée,
sa grandeur minuscule et sa vive lenteur. Ils passent du
coq à l'âne au hasard d'un mot. "Une place
reste-t-elle libre sur le papier, aussitôt, le vide
semble enflammer l'imagination de Walser", écrit
Peter Utz. "Essentiel, dans cette musique, le contraste
entre un vocabulaire très répétitif,
presque plat (des adjectifs comme 'beau', 'délicat',
'fin', 'élégant', 'distingué' reviennent
presque à chaque page), et des flamboyants néologismes",
écrit pour sa part dans une note en fin de volume
Marion Graf (qui a reçu le prix André Gide
pour cette traduction). Extrait d'un des textes: "Mais
enfin, ces poètes, ils ne vivent pas seulement de
leur enthousiasme, tout de même, tout comme les amoureux
ne vivent pas seulement de leur amour, ni les bons et loyaux
de leur bonté et loyauté, et si les bien-pensants
n'avaient pour subsistance que leurs bonnes pensées,
ils n'auraient plus qu'à mourir, vous le comprenez
aussi bien que moi." "Ce qui, peut-être,
caractérise le mieux notre époque, c'est le
mépris de soi que l'on a inspiré au travailleur.
Il n'accorde pas une once de valeur à ce qu'il fait,
et ne cesse en revanche de béer d'envie et d'admiration
devant le farniente, les fêtes et la belle vie. A
ses yeux, celui-là seul est véritablement
digne du nom d'homme qui peut se permettre une oisiveté
illimitée. Qui sont-ils donc, ceux qui ont cherché
à persuader l'ouvrier que le travail n'est jamais
un plaisir? (...) L'ouvrier d'aujourd'hui, dans sa structure,
est un parvenu qui pas vraiment réussi à parvenir.
(...) On n'a pas le droit de l'accuser. Il est le bouffon
des conjonctures, l'esclave du marché mondial travaillant
à des millions d'exemplaires. Qu'est-ce qu'on lui
chante, depuis des dizaines d'années, sinon la rengaine
de l'esclavage du salaire. (...) Je ne parle pas de personnes,
ici, je parle plutôt d'une condition générale
qui, si elle s'est assainie d'un point de vue matériel,
apparaît cependant, au fil du temps, de plus en plus
malade d'un point de vue matériel."
L'essai de Peter Utz sur Walser (traduit chez Zoé)
s'intitule "Danser dans les marges" parce que
la caractéristique de l'auteur des "Enfants
Tanner" et de l'Institut Benjamenta semble être
d'avancer sur la pointe des pieds dans des territoires,
celui du crayon et de l'écriture la plus légère
qui soit, celui du quotidien et du conte de fées,
où personne ne s'était encore introduit. On
cite toujours à son propos les phrases que Walter
Benjamin lui a consacrées, s'interrogeant sur la
provenance de ses héros, parce que rarement un écrivain
a aussi bien parlé d'un autre. Ses personnages"viennent
de la nuit la plus noire, d'une nuit vénitienne,
si on veut, faiblement éclairée des lampions
de l'espoir, l'éclat des fêtes dans les yeux,
mais chavirés et tristes à pleurer. Ce qu'ils
pleurent, c'est de la prose. Car le sanglot est la mélodie
du bavardage de Walser. Il dévoile l'origine de ses
préférés. Ils viennent de la démence,
de nulle autre part. Ce sont des personnages qui ont passé
par la démence, et c'est pourquoi ils restent d'une
superficialité aussi déchirante, inhumaine,
inébranlable. Si l'on veut nommer d'un mot ce qu'ils
ont de réjouissant et d'inquiétant, on peut
dire: ils sont tous guéris."
Le Territoire du Crayon, Traduit
de l'allemand par Marion Graf, Choix de textes et postace
par Peter Utz, Editions Zoé, 2002
Mathieu Lindon
27 février 2003
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Extraits de presse |
Robert Walser
Les microgrammes dissimulent des trésors littéraires
[...] une traduction imaginative et d'une belle vivacité
mimétique [...]
Rien ne frappe autant [...] que les voltes de leur narrateur
[...] il [...] ne se lasse pas d'interpeller ses lecteurs.
Il fait d'eux son instance [...] les prend à témoin,
exhorte, se raille [...]
De page en page, il les attache à se démarche
[...]
une porte, la couverture d'un livre, une scène d'auberge,
un menuet, des fleurs, une chorégraphie, des influence
littéraires, une tête de mouche. Un rien l'inspire.
Et le prétexte n'est jamais une contrainte. Un mot
ou son sens, une sonorité une syllabe suffisent à
infléchir le cours, à se dérober, à
subvertir la démarche et les styles. "Mi-drôle
mi-sérieux", le texte se présente en
"un succulent méli-mélo". [...]
Le Territoire du Crayon, Traduit
de l'allemand par Marion Graf, Choix de textes et postace
par Peter Utz, Editions Zoé, 2002
Wilfred Schillknecht
Samedi culturel : 25.01.03
Mystérieuses pattes de mouche
["...] certains caractères
[...] ne mesurent souvent pas plus d'un millimètre
de hauteur, et des syllabes entières sont amalgamées
dans des abréviations rappelant des signes typographiques.
[...] L'auteur lui-même est resté parfaitement
muet sur les raisons de cette stratégie de dissimulation.
[...] Lui qui revendiquait l'esprit d'enfance, a-t-il ainsi
retrouvé cette "joie d'être caché
que les adultes ne comprennent que difficilement" ?
[...]
Le Territoire
du Crayon, Traduit de l'allemand par Marion Graf, Choix
de textes et postace par Peter Utz, Editions Zoé,
2002
Isabelle Rüf
Samedi culturel : 25.01.03
Allez traduire un flocon de neige
!
[...]
La forme brève est pour Walser un terrain d'expérimentation
propice à toutes les audaces, à toutes les
surprises. Certains textes en particulier tirent un subtil
parti esthétique du décalage entre l'allemand
littéraire et la variante suisse de l'allemand. Ailleurs,
il nous déconcerte par ses jeux de rôle, sa
théâtralité, il nous éblouit
par la liberté de ses paradoxes, la drôlerie
de ses néologismes et l'immensité de ses lectures
[...]
Le Territoire
du Crayon, Traduit de l'allemand par Marion Graf, Choix
de textes et postace par Peter Utz, Editions Zoé,
2002
Samedi culturel : 25.01.03
Robert Walser, un univers dans un
microgramme
[...]
Comme l'explique Peter Utz, qui a présidé
à la sélection des proses du présent
recueil, n'ont été retenus ici que des textes
inédits, dont il n'existe aucune copie à l'encre
ni version imprimée. D'où l'émotion
pour le lecture francophone de naviguer dans cet océan
fait de bribes de souvenirs, d'ébauches de narration,
d'aperçus sur les sujets les plus divers propices
à l'emballement de l'imaginaire.
[...[
à pénétrer dans
le magma ou la jungle de ces renversants microgrammes, le
lecteur se laisse emporter par leur mystère. Et cette
incertitude de ne pas trop savoir où l'on va, qui
est le piment et le parfum même de la littérature.
Le Territoire
du Crayon, Traduit de l'allemand par Marion Graf, Choix
de textes et postace par Peter Utz, Editions Zoé,
2002
A.F.
22.02.03
Page créée le: 03.03.03
Dernière mise à jour le 03.03.03
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