Mariella Mehr
Lamioche, Editions demoures
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Mariella Mehr
dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse
Mariella
Mehr / Lamioche |
ISBN 2-88182-361-0
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N'a pas de nom, Lamioche.
On l'appelle Lamioche. Ou Ptitgamin, bien que ce soit
une fille. Quand Les femmes du village en ont envie,
on l'appelle Ptitgamin ou Mistonnet, avec tendresse.
Et Ptitepunaise quand Lamioche a des exigences, ou
SaLegamine, Ptitegarce, Ptitpoison. N'a pas de nom,
Lamioche. N'a pas le droit de s'appeler, car dès
lors, aucune des femmes du village qui en aurait envie
ne pourrait appeler Lamioche, Ptitgamin ou Ptitpoison,
avec tendresse ou avidité. Ou Salegamine, Garcedevreni,
Rosasalope. Bien sûr, on pourrait le dire, mais
ca demande trop d'efforts, c'est trop compliqué
de se souvenir du nom d'un enfant. Donc : Lamioche...
Mariella
Mehr est née en 1947 à Zurich
d'une mère jenisch.Dès 1975, elle écrit
des reportage pour les journaux et la radio dans lesquels
elle prend la défense des marginaux. Son premier
roman Steinzeit (1981) est remarqué par la
critique. Depuis lors elle a publié Zeus oder
der Zwillingston en 1994, Daskind en 1995 couronné
par le prix Schiller, et Brandzauber en 1998.
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Monique Laederach est
écrivain et traductrice. Elle a traduit de nombreux
textes, notamment de Nefly Sachs, Adolf Muschg, Heinz Stalder,
R. M. Rilke, etc
Stefano Ricci est
né en 1966 à Bologne où il vit et travaille.
Publié aussi en France, il réalise les dessins
dAvoir vingt ans en l'an 2000 (1995), de Tufo ( 1997)
et de Anita (1998). Parallèlement à ses activités
de dessinateur de bande dessinée, Stefano Ricci se
consacre à l'illustration de livres pour enfants
ou pour la presse (Libération, etc). Avec Giovanna
Anceschi il a créé la revue "Mano"
qui aborde le dessin et l'écriture.
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Article
de J.-B. Vuillème |
LE MALHEUR DE LAMIOCHE
C'est presque un soulagement, à
la fin, quand Lamioche ajuste le sacristain avec sa fronde
et que l'odieux bonhomme s'effondre, le visage en sang.
Soulagement bien relatif, car on passerait son temps à
rendre le mal pour le mal dans l'univers étriqué,
cruel et mesquin de la Marque, quelque part en Suisse sous
l'ombre de la croix.
C'est l'histoire d'une enfant abandonnée
qu'un couple stérile ramène un jour au village.
De bien braves gens, en vérité, Mariella Mehr
ne met en scène que des braves gens dans ce roman
irrespirable intitulé "Lamioche" (Prix
Schiller 1995), sauf qu'elle dévoile tous les dessous
de ce "village qui tolérait n'importe quelle
immoralité pourvu que la façade semble propre".
Résumons. Lamioche est une enfant sauvage et butée,
repliée sur elle-même, traumatisée par
l'abandon. Résolument muette. Il lui faudrait un
peu d'amour, au moins un gramme, le minimum vital indispensable
à toute créature. Or elle ne trouve chez son
père adoptif que coups et blessures. Lui, d'abord,
Kari Kenel, qui soigne sa nostalgie d'une vie manquée
à grands coups de ceinturon sur la chair tendre de
Lamioche qu'il arrose simultanément de ses larmes.
Cet homme, qu'un rien de courage pousserait du côté
de la bonté, cultive avec passion des roses qui ressemblent
à ses rêves massacrés.
Le Toujoursvert ensuite, frustre et cruel locataire qui
viole l'enfant sans risque d'être dérangé.
Et la grise Mme Kenel, épouse modèle enveloppée
de tristesse dans ses gestes répétitifs et
devenue sourde à tout appel, aveugle par soumission
et résignation. Et le village enfin, le village entier
muré dans ses certitudes superstitieuses, ses lâchetés
quotidiennes et ses peurs ataviques.
Aucun salut possible pour Lamioche bientôt considérée
à la ronde comme possédée par le Malin
et livrée à une odieuse cérémonie
d'exorcisme. Mariella Mehr semble tenir tous les bien-pensants
de la Marque pour autant de malfaisants et c'est le côté
terrible, irrespirable de ce roman où ne s'ouvre
pas la moindre lucarne, le moindre interstice par lequel
entrerait un peu d'air et d'espoir. L'espoir? Cadenassé.
Aucune issue. Pas un personnage propre à nuancer
l'enfer, même le fin mot de l'histoire (que nous taisons
à dessein) n'y change rien. Ils souffrent tous de
renoncement, de désillusion, tous sont malheureux,
mais le malheur pas un instant ouvre leurs regards desséchés.
Et c'est aussi le procès d'un catholicisme si oppresseur
qu'il ouvre les portes de la licence secrète et de
la débauche clandestine aux dépens du plus
faible, l'enfant, livré corps et âme aux abjections
des bien-pensants. Frappée d'un tel désamour,
cible privilégiée de la haine dissimulée
derrière les prières, Lamioche n'a d'autre
survie possible que le recours à sa propre violence,
à ses propres vengeances, et voilà énoncé
de la manière la plus crue le drame du monde toujours
recommencé. La seule issue, c'est la loi du talion.
Ce roman a trouvé une traductrice
inspirée avec Monique Laederach, qui rend dans un
français inventif les expressions toutes faites de
la bonne conscience agissante et oppressante. Agrémenté
d'illustrations de Stefano Ricci, ce livre de belle facture
souffre hélas d'une ligne kilométrique (près
de cent signes!) juste bonne à l'inconfort de la
lecture.
J.-B. Vuillème
Mariella Mehr, Lamioche, traduit de
l'allemand par Monique Laederach, Éditions Demoures-
titre original Daskind, 1995.
Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
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