Klaus Merz
Frère Jacques, Editions Zoé
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Klaus Merz
dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse
Klaus
Merz / Frère Jacques |
ISBN 2-88182-345
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Dans ce bref roman, Klaus
Merz raconte l'histoire d'une famille marquée
par la maladie et la mort. Rien de morbide pourtant
dans cette suite de tableaux, mais une gaieté,
une vigueur paradoxales : y concourent la chaleur
du fournil paternel et l'atmosphère des années
cinquante, les frasques tragicomiques de l'oncle Franz
et les tubulures brûlantes de la Harley, et
surtout, la justesse et le laconisme d'une prose insolite.
Klaus
Merz, traduit ici pour la première fois,
est né en 1945 dans le canton d'Argovie, où
il vit. Il a publié une dizaine de livres,
poèmes et courtes proses, pour lesquels il
a obtenu de nombreux prix et qui l'ont fait connailtre
comme un maître de la forme brève. Mais
c'est avec Frère Jacques, paru en 1997, qu'il
a conquis le grand public. Il est resté longtemps
en tête de plusieurs listes de best-sellers
en Suisse et en Allemagne. Ce roman paraît dans
le cadre de la Collection ch qui fait découvrir,
en traduction, des textes forts d'écrivains
suisses contemporains.
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Entretien
avec l'auteur - par Marion Graf |
Klaus Merz ou lalphabet
de lévasion
Klaus Merz est considéré
comme une des voix qui comptent aujourdhui dans les
lettres alémaniques, ce qui est presque une gageure
pour un auteur voué à une écriture
laconique et aux textes brefs. Derrière les anecdotes,
les détails et les personnages touchants, cocasses,
aventuriers, émouvants de ses histoires, cest
la condition humaine qui intéresse Klaus Merz, dans
son intensité contradictoire. Il reste pourtant un
écrivain de limplicite plutôt que de
lexplicite. De limage plutôt que de lexplication.
On peut rapprocher son travail de celui des peintres, dont
il a dailleurs scruté et commenté la
démarche dans de nombreux essais ou portraits.
Après plusieurs recueils
qui vous ont fait connaître comme poète, puis
comme un maître de la forme brève, voici un
livre, Frère Jacques, que vous qualifiez de "presque"
un roman. Voici aussi, rééditée cette
année, Kommen Sie mit mir ans Meer, Fräulein
? une nouvelle de plus de cent pages publiée en 1982
Ces deux textes plus longs ont-ils à vox yeux un
autre statut que les petites proses ?
Ce qui mintéresse,
au fond, ce que je recherche depuis toujours, cest
la densité. Poèmes, proses, nouvelles, roman,
quimporte?
Je travaille toujours dans le sens
dune condensation, dune réduction extrême
du matériau, jusquà une sorte de concentré.
Jaimerais que ce laconisme ait la densité de
la poésie. Une lectrice mécrivait récemment:
"Je sors de la lecture de votre roman de 750 pages
serrées sur 75 pages
" Tremolo Trümmer
et Am Fuss des Kamels, deux recueils de proses, ne sont
certes pas conçus comme des romans, mais plusieurs
critiques ont prétendu quil y avait là
la matière dune trilogie. Il est vrai quon
peut lire mes livres comme une sorte de roman par fragments,
tout se tient, tout est tissé. A propos de ses propres
écrits, Gerhard Meier parle de "tapis narratif".
Cette expression me conviendrait tout à fait. Certains
motifs réapparaissent, je les réutilise. On
le dit parfois, peut-être que tout écrivain
travaille sur un seul roman.
Comment vous êtes-vous engagé
dans lécriture de Frère Jacques?
Tout commence toujours par
une étincelle, une phrase, un mot, et je me dis que
je devrais creuser là. La première question
que je me pose, cest: comment faire? Lenjeu
mapparaît plus tard.
Cest donc seulement en fin
de travail que je me suis aperçu quen fait,
la poétologie du roman se trouvait figurée
en particulier dans le personnage de Marietta, la jeune
servante italienne, extérieure à la famille,
qui a perdu un il à la fin de la guerre. Comme
si le roman se tenait en équilibre sur larête
du nez de Marietta. Il y a dun côté la
destruction, leffroi, la douleur, et de lautre
le bonheur, la merveille, la beauté. Ce que jai
toujours cherché, pendant vingt ans peut-être,
cest cet équilibre. Regarder les choses jusquau
fond, puis décoller, aller jusquau fantastique.
De là, des changements de registre très brusques,
une haute tension. Jusquoù peut-on aller avant
que ça bascule dans un sens, ou dans lautre
Voilà ce qui mintéresse. Certains lecteurs
rejettent dailleurs ces renversements, les jugeant
trop durs, trop abrupts.
Quelle est, dans ce livre, la
dimension autobiographique ? Le roman comporte-t-il des
personnages inventés ?
En lespace de sept ans,
jai vu disparaître toute ma famille dorigine.
Ecrire était une possibilité de faire revivre
les miens, en grandissant et en approfondissant leurs traits
Mais aussi bien, il sagit dun
roman, de linvention dune enfance, à
partir de celle quon porte avec soi. Des personnages
comme Franz ou Sonia ont chacun plusieurs modèles
dans ma vie, je les ai combinés. Ou même le
personnage de Jacques, Jakob dans le texte allemand: mon
frère aîné, qui portait dailleurs
un autre nom, est loin davoir joué ce rôle
dans ma vie, du moins dans ma vie consciente
Il est
mort en naissant, cest vrai. Mais si je navais
pas eu lidée de cette figure, de ce nom, avec
les associations didées qui lui sont liées
(Jakob est lié non seulement au refrain populaire,
mais à un imaginaire biblique), tout serait resté
à ras du sol. Ce personnage a libéré
quelque chose, ma poussé, de façon un
peu somnambulique, au centre de mon texte et de mon existence.
Comment sest imposée
cette forme, en vingt-deux petits chapitres?
Certaines idées sont
très anciennes, vieilles de vingt ans. Il y a des
choses que javais déjà circonscrites,
dans dautres textes. La mise en place a été
lente, jai renoncé à certains chapitres,
déplacé, biffé, à une certaine
étape, le roman était plus long
Lart, le cinéma,
lavion, la vitesse, lhumour, parfois une touche
de surréalisme
Dans Frère Jacques, tout
comme dans vos récits, vous suggérez de diverses
manières lexistence dune autre réalité,
presque dun autre monde. Le plus souvent, ce sont
des images verticales. Dans vos livres, on senvole
beaucoup, et on tombe beaucoup. Quel type despoir
formulez-vous ? Y a-t-il là une forme de transcendance
?
Ma sensibilité serait
plus panthéiste que déiste. Dans le milieu
où jai grandi, nous entretenions des rapports
ambigus avec lEglise et la religion. Très tôt,
la religion a été mêlée au profane.
Mon père, boulanger, faisait cuire le pain de la
Cène, je me rappelle quavant daller le
livrer, on en coupait la croûte, le meilleur, et cétait
nous qui la mangions. Noël, cétait, pour
une bonne part, les jambons en croûte! Ainsi mon enfance
a été marquée par la religion, mais
non sans ruptures et ambivalences. Jai vécu
à la frontière des catholiques et des protestants,
non loin de Beromünster, qui était à
la fois un lieu de pèlerinage et lemplacement
dun émetteur qui diffusait le monde dans chaque
maison
Encore que désacralisée, cétait
bien aussi une sorte de transcendance !
Cet autre monde que jévoque
dans mes textes, cest pour moi une tentative de sortir
du désespoir. Une échappée. Cet alphabet
de linvasion et de lévasion, je lai
exploré pour la première fois dans Gottfried,
un récit écrit il y a vingt ans.
Dans ce sens, avez-vous apprécié
le slogan choisi pour la présence suisse à
la Foire du livre de Francfort: "Vallée étroite,
ciel immense" ?
Dans cette perspective, existentielle,
jai apprécié ce slogan ! Enges Tal,
"vallée étroite", je lai interprété
comme notre enveloppe charnelle, notre sac de peau, et le
hoher Himmel, le "ciel immense" mapparaît
bien comme la seule issue, vers le haut, léchappée
de la littérature, de limagination, du rêve,
illustrée peut-être par les constellations,
lavion, la moto
Mais la présence graphique
donnée à ce slogan, proposée sur les
affiches ironiques placardées à Francfort,
ne ma pas plu. Cela dit, jai aimé lélégante
austérité de la fameuse Halle 7, la manière
de présenter les livres, uniforme, comme une antithèse
au tutti frutti de la Foire.
Que représente pour vous
la peinture, sur laquelle vous avez souvent écrit
?
Je ne peux pas vivre sans
tableaux. Figuratifs ou abstraits, ils sont pour moi des
fenêtres sur le monde, mais un monde de lesprit.
En même temps quils mettent en uvre une
façon intuitive de regarder, ils nous donnent une
réalité traduite, transposée, fabriquée,
ils "réalisent", pourrait-on dire, en jouant
sur les deux sens du terme.
Pourquoi avez-vous choisi
de rééditer cet automne, sous un titre nouveau
et dans une version légèrement remaniée,
une nouvelle publiée il y a seize ans ?
Ce livre avait paru en Allemagne
dans une excellente maison, Verlag der Autoren, peu avant
que cet éditeur, comme beaucoup dautres, ne
soit victime de la crise qui a touché ce secteur.
Ex Libris lavait repris, il y avait eu de très
bonnes critiques à lépoque, mais depuis
dix ans déjà, il était épuisé.
Du point de vue narratif, il sagit dans mon parcours
dune uvre charnière. Et pour léditeur,
il y avait aussi lopportunité de la Foire de
Francfort.
Sous-jacente à ce livre,
vous donnez une certaine image de la Suisse, qui a donc
gardé son actualité ?
La Suisse est vue à
travers le discours de mon héros, Dubois. Il porte
sur elle un regard fatigué et ironique, loin de tout
militantisme et de tout fanatisme sectaire. Le but de son
voyage "vers le Sud", à lépoque
où beaucoup de mes collègues écrivaient
sur des contrées méridionales, est Erstfeld,
un endroit sinistre, avant le Gothard. Un anti-lieu littéraire,
donc, auquel, dailleurs, il ne parviendra pas.
A présent, il est devenu plus
normal décrire ainsi, de donner une image ironique,
cassée, de la Suisse tombée de son socle
Mais de toute façon, aujourdhui, il faut considérer
les écrivains chacun pour soi. Je ne vois pas dans
la littérature qui sécrit actuellement
en Suisse de thèmes vraiment rassembleurs, didentité
commune.
Marion Graf
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Frère
Jacques - En travers du temps - par Elsbeth Pulver |
Lecture : Frère Jacques
-En travers du temps
Un grand sujet, un texte splendide.
Et non pas un "grand petit livre", comme mon goût
du petit mavait tout dabord incitée à
lécrire. Qui traiterait le livre de Job de
"grand petit livre" pour la simple raison quil
est bref et que Job nest pas un roi ? Lourd comme
le plomb, et pourtant extraordinairement léger; sombre
et drôle: les voilà, les antithèses
qui conviennent à ce livre.
"Enfant Renz", peut-on
lire sur la traverse de la croix à partir de laquelle
la mémoire, et le récit avec elle prend son
essor. Le livre est lui-même posé en travers
du temps: les années cinquante, dans lesquelles il
est situé, et notre temps. La mort est partout présente,
en travers de tout, comme la souffrance, comme la mémoire,
et comme lhumour, peut-être.
Klaus Merz, nous le savons depuis
longtemps, recourt toujours aux ressources, inépuisables
dans leur simplicité, de son histoire familiale,
sans pour autant rédiger son autobiographie. [
]
Mais les meilleurs lecteurs sont
peut-être ceux qui ignorent tout cela et se laissent
pour ainsi dire tomber dans le livre, ceux qui, par conséquent,
sursautent quand il est dit, bizarrement, que le père,
pendant sa sieste, "est tombé dans une embuscade",
et rentre dans le fournil "comme sil revenait
de guerre" (ce nest quensuite que lon
comprend quil sagit là de sa première
crise dépilepsie).
Lemploi ironique dun
vocabulaire quasiment militaire, ici et dans tout le roman,
na bien sûr rien à voir avec une quelconque
ferveur belliqueuse, mais signale plutôt cette forme
dendurance, cet héroïsme singulier que
la vie exige, en province et en temps de paix, de ceux quon
appelle les "petites gens". Et Jakob, le nom de
laîné, ne rappelle pas seulement le canon
célèbre, mais encore lAncien Testament.
Il nous permet denvisager le père comme un
Job de notre temps: un Job de la classe moyenne, justement
qui jusquà la ?n reste vivant, généreux,
et partage avec sa famille des îlots de bonheur, de
cocasses moments de jouissance.
Cest lhistoire de Job,
racontée avec un humour toujours vivace, mais qui
ne la déprécie ni ne la diminue pour autant:
le maître boulanger lui-même discute avec Dieu,
de façon radicale, et pas seulement pour son propre
compte. Quand le narrateur, le second fils, le seul à
être en bonne santé, pose lincontournable
question des enfants, à savoir: pourquoi Dieu tolère-t-il
le mal, et pourquoi laisse-t-il, par exemple, la femme de
Lot se figer en statue de sel [
], le père prend
parti pour celle qui a désobéi, pour celle
qui, au contraire de son mari, sest souciée
du malheur des autres et qui, pour cette raison, na
pu compter parmi les rescapés. Ny a-t-il que
celui qui se fie aveuglément à Dieu, qui puisse
être sauvé? Ou celui qui ne pense quà
lui-même? Telle semble être la sagesse amère
du maître boulanger; et le fait que son fils porte
le nom dun évangéliste, Lukas, représente
un signe despoir bien ténu.
Le père est aussi, en secret,
un maître en poétologie. Il est dit quil
utilise les mots justes, quand il parle avec son fils. Et
lécrivain, plus tard, que fait-il dautre
? Mais choisir les mots justes, en littérature, et
surtout pour Klaus Merz, ce poète laconique, cela
veut dire rayonner, éclairer louvert. Remplir
les interstices avec de limplicite. Cette intention,
létrange sous-titre lannonce demblée:
"Un roman, en fait." Faut-il y lire un discret
avis au lecteur, une invite à remplir nous-mêmes
les lacunes ? Peut-être. Mais mieux vaut ne pas songer
à ce que serait devenu ce sujet splendide si lun
des romanciers frustes et redondants si appréciés
aujourdhui sen était emparé! Voici
donc "un roman, en fait": sans un mot de trop,
sans un mot qui manque.
(Drehpunkt, n° 97, avril 1997).
par Elsbeth Pulver
Traduit par Marion Graf.
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Repères |
Klaus
Merz est né en 1945 en Argovie, où
il vit aujourdhui. Il publie son premier livre, un
recueil de poèmes, à lâge de 22
ans. Depuis lors, une dizaine de recueils de proses, poèmes
ou brefs récits ont paru chez divers éditeurs.
A partir de 1994, ses livres sont publiés à
Innsbruck, aux Editions Haymon. De 1995 à 1997, il
a été président du Groupe dOlten.
En 1996, il a obtenu le Prix de littérature
de Soleure, une distinction prestigieuse dans lespace
littéraire de langue allemande. Paru en 1997, Jakob
schläft ( trad. en français sous le titre de
Frère Jacques, Ed. Zoé 1998), salué
par la critique comme "un miracle", la mis
au rang des auteurs de best-sellers et lui a valu de nombreux
prix, en Allemagne notamment. Parmi les voix décisives
qui ont contribué à le former, il cite Günter
Eich, Hans Erich Nossack, Paul Celan, Ingeborg Bachmann,
Erika Burkart, Gabriel García Márquez et les
écrivains dits du "réalisme magique".
Et surtout, Robert Walser.
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Bibliographie
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Mit gesammelter Blindheit, Gedichte
(Der Bogen, Saint-Gall, 1967).
Geschiebe mein Land, Gedichte (Saulerländer, Aarau,
1969).
Vier Vorvände ergeben kein Haus, Gedichte (Artemis,
Zurich, 1972).
Obligatorische Übung, Geschichte (Saulerländer,
Aarau, 1975).
Latentes Material, Erzählungen (Saulerländer,
Aarau, 1978).
Der Entwurf, Erzählung (AutorenEdition, München,
Königstein/Ts., 1982).
Landleben, (Edition Howeg, Zurich, 1982).
Bootsvermietung, Prosa, Gedichte, mit zehn Paraphrasen von
Heinz Egger, (Edition Howeg, Zurich, 1985).
Nachricht vom aufrechten Gang, poèmes en prose (Howeg,
Zurich, 1991).
Tremolo Trümmer, récits (Ammann, Zurich, 1988).
Depuis 1994, les ouvrages de Klaus Merz
sont publiés aux Editions Haymon (Innsbruck).
Am Fuss des Kamels, histoires et interludes
(1994).
Kurze Durchsage, poèmes en prose (1995).
Jakob schläft (1997).
Kommen Sie mit mir ans Meer, Fräulein ? roman (1998).
Extrait de Feuxcroisés
Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
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