Martin R. Dean
Martin R. Dean, La Ballade de Billie
et Joe, trad. par Sibylle Muller, Circé, Belval 2003
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Retrouvez également
Martin R. Dean
dans nos pages consacrées aux
auteurs de Suisse.
Martin R. Dean
/ La Ballade de Billie et Joe |
ISBN 2-84242-130-2
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La grande roue tourne très
vite, de plus en plus vite. Elle, tout en haut sur
la crête de la route, pousse tout à coup
un long cri. De peur et de plaisir. Comme un éclair
cette idée lui traverse la tête : se
jeter hors de son siège, dans le vide, voler
juste voler.
Lui en bas n'est plus qu'un
trait, sans tête ni visage. Lui en bas au milieu
des lumières qui clignotent nerveusement, les
lumières de la ville de baraques foraines.
Lui dans l'odeur du sucre brûlé, de graisse
de saucisses et de poudre. Il tend le cou, regarde
en l'air en plissant les yeux : dans le ciel mouillé
de pluie la crête de la roue. Son visage est
plat comme une assiette.
Il l'attrape fermement par
le bras et la guide au milieu des baraques sur l'herbe
mouillée. Elle tremble et sa peau est humide.
Le cri est encore à moitié en elle.
Elle n'a pas poussé son cri jusqu'au bout.
Mais quelle excitation.
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Ainsi commence la rencontre de Billie et de Joe et
leur longue "quête d'une autre vie, plus
vraie ou plus authentique", une mélancolique
histoire d'amour moderne, racontée à
la manière d'un conte de fées, d'un
road-movie, d'un vieux film hollywoodien, envahie
par les images et les réminiscences.
Martin
R. Dean, né en 1955 en Argovie, d'une
mère suisse et d'un père originaire
de Trinidad, vit à Bâle, où il
enseigne la philosophie et la littérature.
Il est l'auteur de plusieurs romans et de nouvelles.
Traduit de l'allemand par Sybille
Muller.
Martin R. Dean, La Ballade
de Billie et Joe, Circé, Belval 2003
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Article
de Daniel Rothenbühler |
La traduction littéraire:
bénéfices d'une lecture différée
Traduire un livre, ce n'est pas seulement
lui permettre d'élargir le cercle de ses lecteurs,
c'est aussi l'engager dans une nouvelle rencontre avec ceux
et celles qui l'ont lu lors de sa première parution.
Cette relecture peut parfois changer profondément
la perception première du texte. C'est ce qui m'est
arrivé lors de la sortie de la traduction française
de l'avant-dernier roman de Martin R. Dean, La Ballade de
Billie et Joe.
J'ai lu ce livre en 1997 et j'en
ai fait une critique peu élogieuse dans le Tages-Anzeiger.
Aujourd'hui, à la relecture, mes objections de l'époque
me paraissent injustes. Ma nouvelle appréciation
du livre est certes due à mon évolution personnelle,
mais aussi à des changements plus généraux
survenus au cours de ces six dernières années.
Ce roman est une «ballade»
dans tous les sens du terme. C'est une danse (les chaussures
en forment un leitmotiv) et c'est une chanson qui raconte
une histoire émouvante, une histoire qui finit mal,
un peu comme Pierrot le fou de Jean-Luc Godard et Bonnie
and Clyde d'Arthur Penn.
Billie et Joe semblent avoir vu ces
films. Ils se donnent des noms de stars américaines.
Billie, l'étudiante en mathématiques, porte
celui de la chanteuse de jazz Billie Holiday, et Giovanni,
le mécano d'origine italienne, celui de tous les
Joes américains qu'il a vus à l'écran
ou entendus dans des boîtes de jazz. C'est là
leur problème : ils s'accrochent aux images véhiculées
par les médias et n'ont pas d'identité propre.
Seul leur amour qui est authentique, un amour tiraillé
entre attachement étroit et indépendance totale.
Cette contradiction pousse le couple au mouvement sur la
grande roue de la kermesse, sur la piste de danse, lors
d'un voyage au Maroc ou en Italie. Mais où qu'ils
aillent, les deux amoureux ne se voient qu'eux-mêmes.
C'est pourquoi ils sont d'abord séduits par le projet
d'être les vedettes d'un film de Morelli, un producteur
italo-américain paralysé, dont la folie n'a
d'égal que sa richesse. Mais ils découvrent
que le cinéma, au lieu d'assouvir leur narcissisme,
risque de les vampiriser. Joe finit même par penser
que le cinéma est relié à la mort,
ne connaissant, dans l'immédiateté de ses
images, «pas d'histoire en dehors de celle qui se
lève au moment présent sur l'écran.»
C'est cette observation de Joe que,
dans ma critique de 1997, j'ai retourné contre le
roman même. Il me semblait reproduire l'immédiateté
ahistorique que Joe reproche au cinéma. Le narcissisme
de Billie et Joe me paraissait refléter trop directement
celui qui était à la mode à l'époque.
Que le roman finisse par la mort de Billie et Joe n'y changeait
rien. Cette fin ne faisait que renforcer, à mes yeux,
le romantisme de la ballade. Un romantisme soutenu par des
tournures de langue qui entraînent et envoûtent
le lecteur comme une musique de danse.
Cet entrain et cet envoûtement
me paraissaient suspects lors de la lecture du roman en
allemand. Aujourd'hui, en lisant sa traduction française,
je ne ressens plus cet effet. Et pourtant Sybille Muller,
la traductrice, a transposé le plus fidèlement
possible les tournures particulières de l'original.
Est-ce dû au fait que les termes de la proposition
changent plus facilement de place en allemand et que les
constructions elliptiques y sont plus fréquentes
? Là ou je me sentais trop vite emporté dans
le texte allemand, je rencontre une sorte de questionnement
dans le texte français. C'est comme si sous la fébrilité
du récit se faisait entendre une voix dubitative.
Cette distanciation inhérente
fait du bien au texte. S'y ajoute le fait que j'ai plus
de recul par rapport aux phénomènes réels
dont le roman s'est fait le reflet en 1997. Le culte du
narcissisme, avec, dans son sillage, l'hédonisme
aveugle et le rêve de l'argent facile, tout cela n'a
pas fait long feu, dans la réalité de l'époque,
pas plus que dans le roman. Mais celui-ci tient bon parce
qu'il est plus qu'un simple reflet. Avec le recul, je m'aperçois
qu'il contient des éléments précurseurs
qui m'ont échappé à l'époque.
Si aujourd'hui, la thématique des «Secondos»,
immigrés de la deuxième génération
est largement répercutée dans la littérature
et dans les médias, aucune critique, la mienne non
plus, n'a relevé en 1997 le fait qu'elle joue un
rôle important dans ce roman.
Ce mérite d'autant plus d'être
noté, qu'entre-temps Martin R. Dean a publié
Meine Väter, un grand roman racontant la recherche
de ses origines par le fils d'une Suissesse et d'un ressortissant
indien de Trinidad. Ce roman dépasse de loin le cadre
d'une simple quête identitaire, c'est une sorte d'épopée
post-coloniale. Et pourtant la plupart des critiques n'y
ont repéré que la thématique identitaire.
Peut-être faudra-t-il que ce roman soit également
traduit en français. Une lecture différée
peut se révéler bénéfique.
Martin R.
Dean, La Ballade de Billie et Joe, trad. par Sibylle Muller,
Circé, Belval 2003
Martin R.
Dean, Meine Väter. Roman. Hanser, Munich 2003.
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Rothenbühler
Daniel
Domaine Public
No 1571 du 15.09.2003 |
Cet article a paru dans le cadre de
la collaboration entre Domaine Public et la revue Feuxcroisés
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Extraits
de presse |
C'est l'histoire d'un gars
et d'une fille...
[...]
Dans La Ballade de Billie et
Joe, les deux personnages de Martin R. Dean (dont
nous retrouvons ce roman en français longtemps après
ses Jardins secrets,
typiquement publié par Gallimard en ballon d'essai
unique comme d'autres livres d'écrivains alémaniques)
- Billie et Joe, cousins de Bonnie et Clyde, se situent
dans ce "pli" social, historique et psychologique
qui sépare les petits gangsters américains
des images hollywoodiennes qu'on en a tiré. Ils sont
ici, sans doute mal pris dans notre société
mais au moins dotés d'une scolarité à
peu près normale. Ils ont cependant la tête
enfiévrée constamment par des fantasmes étouffants
qui les laissent finalement mal intégrés,
habités comme par une sorte de révolte globale
qui n'a pas de nom ni d'objet précis.
[...]
"Elle est enceinte, et c'est une phrase de trois mots.
On peut mettre cette phrase en doute, car aucune fée
n'a le pouvoir magique de lui mettre dans la tête
une chose aussi impensable." Des phrases qui condensent
en quelques lignes une réalité et sa disparition
: voilà en somme le projet que Martin R. Dean s'est
donné pour ce livre.
[...] une exigence imparable [...]
Le roman, par conséquent,
n'est guère fait pour être lu à la plage
entre deux pastis : il y faut une concentration certaine,
une concentration que la traductrice restitue fidèlement
en français.
Martin R.
Dean, La Ballade de Billie et Joe, trad. par Sibylle Muller,
Circé, Belval 200
ML
17.05.03
[...]
Avec des phrases courtes résolument ancrée
dans le présent, Martin R. Dean, auteur suisse, tisse
la passion sur fond de ballade et de road-movie et place
ce couple à la fois unique et banal à proximité
[...] de Bonnie et Clyde.
Martin R.
Dean, La Ballade de Billie et Joe, trad. par Sibylle Muller,
Circé, Belval 2003
P. Dhs.
Mars 2003
Martin R. Dean s'inspire du cinéma
pour peindre un couple révolté
[...]
A l'impression initiale de la "non-appartenance à
rien" devant "les visages étrangers et
les images jamais vues" succèdent celles de
l'insécurité et d'une inquiétude secrète.
La conscience de l'étrangeté crée la
solitude et la distance: vécues comme du dehors,
les étreintes deviennent des scènes de cinéma
muet. Entre présent et passé et entre les
partenaires, un vide se creuse, que ne peuvent "combler
les mots", le doute s'installe quant à leur
avenir. Jusqu'à ce que, pour ranimer l'espoir et
les énergies vitales, s'impose une action commune,
qu'ils accomplissent avec éclat. A la manière
de Bonnie et Clyde, dans une apothéose tragique.
Mais plutôt que l'habile référence
à un chef-d'oeuvre de l'écran, il faut relever
la mise en oeuvre des thèmes. L'art du motif et du
symbole, ce qui dans le roman devient signe.
[...]
Wilfred Schiltknecht
Samedi culturel
12.04.03
Page créée le: 24.10.03
Dernière mise à jour le 31.10.03
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