Starobinski, maître
de lecture
Il y a un an, à la veille
de fêter son quatre-vingtième anniversaire,
Jean Starobinski travaillait à la refonte de cette
Relation critique parue en 1970. Ce thème n'a cessé
de l'occuper, comme enseignant et comme poète de
l'art du commentaire. Ce dernier est pour lui l'étude
"des rapports internes qui se tissent entre le texte,
son auteur et le destinataire, en dépassant l'ordre
littéraire pour toucher le domaine social, et la
conscience volontaire pour atteindre l'inconscient".
Il s'en explique dans une longue préface, enrichie
de trente années de pratique et de réflexions.
[...]
Isabelle Rüf
Samedi, 17 novembre 2001
Jean Starobinski, La relation critique,
Gallimard, coll. Tel.
Eloge du libre regard
Dans le deuxième volume de "L'il
vivant", Jean Starobinski définit sa méthode
critique
La relation critique, l'il vivant
II de Jean Starobinski. Gallimard, "Tel", 408
p., 12,50 EURO (82 F).
(Première édition, Gallimard 1961, la présente
édition est revue et augmentée).
Dans un court texte intitulé
Le Voile de Poppée, qui ouvrait, voilà quarante
ans, le premier volet de L'il vivant, Jean Starobinski
(1) définissait sa conception de la critique en ces
termes essentiels, qui sont évidemment toujours d'actualité
: "La critique complète n'est peut-être
ni celle qui vise à la totalité (comme fait
le regard surplombant), ni celle qui vise à l'intimité
(comme fait l'intuition identifiante) ; c'est un regard
qui sait exiger tour à tour le surplomb et l'intimité,
sachant par avance que la vérité n'est ni
dans l'une ni dans l'autre tentative, mais dans le mouvement
qui va inlassablement de l'une à l'autre. Il ne faut
refuser ni le vertige de la distance, ni celui de la proximité
: il faut désirer ce double excès où
le regard est chaque fois près de perdre tout pouvoir."
[...]
S'il revient encore une fois à
Rousseau, Starobinski interroge surtout le regard et les
appuis conceptuels qui le soutiennent, du côté
de l'"objectivité" de la linguistique et
de la stylistique (Leo Spitzer) ou dans l'intimité
de l'interprétation psychanalytique. Mais là
encore, il invite à une sorte de prudence, et laisse
ouverte la question du savoir auquel l'interprète
peut prétendre : " Il ne suffit pas de connaître,
en deçà des uvres, l'homme comme être
naturel et comme être social ; il faut le connaître
dans sa faculté de dépassement, dans les formes
et les actes créateurs par lesquels il change le
destin qu'il subissait comme être naturel, par lesquels
il transforme la situation que lui assignait la société,
et par lesquels, à la longue, il modifie la société
elle-même." C'est donc, à chaque moment
du geste critique, un acte de liberté qui est posé,
celle de l'écrivain approché et de l'uvre
étudiée ; celle aussi du commentateur qui,
par sympathie raisonnée ou distance sans hostilité,
accueille cette liberté dont il est le témoin
et s'enrichit d'elle.
(1) Gallimard, "Tel" (no 301)
en 1999.
P. K.
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU
09.11.01
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