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Archipel 24

  Archipel 24 - novembre 2003 - Iles sur le toit du monde - Une anthologie romande de science fiction

Pour ce numéro spécial qu'elle a voulu consacrer à la science-fiction romande, Archipel s'est associée à la Maison d'Ailleurs (Musée de la science-fiction, de l'utopie et des voyages extraordinaires, à Yverdon-les-Bains), en réalisant un recueil sous forme de concours de nouvelles.

Un nouveau coup de sonde du domaine s'imposait en effet à l'aube du xxie siècle : la dernière anthologie du genre dans ce pays remontait à plus de vingt ans (L'Empire du Milieu : Suisse-Fictions, éditions Nectar 1982).

Avec plus de quarante textes reçus, dont les douze meilleurs sont présentés ici, cette prise de température de l'activité d'écriture de SF en Suisse romande montre clairement que nous sommes loin de la rémission : le virus s'est bel est bien installé durablement, même s'il demeure le plus souvent latent et ne provoque jamais de montées de fièvres extrapolatoires.


Et, si les auteurs des douze textes retenus ne sont pas tous des inconnus, on peut noter avec intérêt un renouvellement certain dans ce microcosme qu'est le milieu de la SF romande.

De fait, bien qu'il soit difficile de voir dans ce corpus une véritable « suissitude » du propos, une trame commune entre les histoires, nous avons désormais la preuve que la SF en Suisse Romande existe incontestablement.

C'est peut-être un territoire encore vierge, composé de très petits îlots qui, pris séparément, paraissent presque dérisoires - si minuscules, en tout cas, qu'ils ne sont pas répertoriés sur les cartes. Dans leur ensemble, ils forment pourtant comme une dentelle, à la limite de notre perception - un archipel du rêve.

P.G.

 

  Sommaire


Patrick Gyger
Préface: un Archipel du rêve ?

Francis Valéry
À propos d'Arthur Rimbaud et de « La Cité entre les Mondes »

David Ruzicka
[var= ]

François Rouiller
Homo delator

Vincent Gessler
La déesse blanche

André Ourednik
Après

Simon Koch
La machine

Frédéric Jaccaud
L'animal de compagnie

Jean-François Thomas
Le Recruteur

Laurence Scheurer
+d'amour

Laurence Rodriguez
Divergences

Bertrand Graz
Boullotton, âme électronique

Thomas Sandoz
Les instants mathématiques. Feuillets d'un carnet d'errance

Notices biographiques

 

 

  Préface de Patrick Gyger


Un Archipel du rêve?

La Suisse n'est pas à une contradiction près, bon. Quand bien même. N'empêche.
Il est tout de même un brin étonnant de disposer en Suisse romande du seul musée de la science-fiction en Europe (à notre connaissance) alors que la production conjecturale dans notre région peut paraître particulièrement faible, du moins sur le plan littéraire.
Alors quoi ? Il n'existerait pas de science-fiction suisse (romande) et notre dame Helvétie ne serait apte qu'à procéder à la muséification en bonne et due forme des idées ?
Loin de nous l'ambition de nous engager sur un terrain aussi complexe, de tenter de radiographier le paysage SF romand dans son ensemble puis de le comparer longuement à ses pendants anglo-saxons ou francophones pour en tirer de savantes conclusions.
Toutefois, un nouveau coup de sonde s'imposait à l'aube du xxie siècle: la dernière (qui fut aussi la première) anthologie de science-fiction romande remonte à plus de vingt ans (L'Empire du Milieu: Suisse-Fictions, éditions Nectar), à laquelle on peut éventuellement ajouter le numéro spécial - relativement ancien - de la revue québécoise Imagine... (n°63, mars 1993) dédié à la SF en Suisse.

Archipel s'est donc associée à la Maison d'Ailleurs (Musée de la science-fiction, de l'utopie et des voyages extraordinaires, sis à Yverdon-les-Bains), pour réaliser ce recueil sous forme de concours de nouvelles, et ce afin de toucher un maximum d'auteurs hors du sérail traditionnel des adeptes de la conjecture romanesque rationnelle (selon les termes consacrés par Pierre Versins).
Avec plus de quarante textes reçus, notre prise de température de l'activité d'écriture de SF en Suisse romande montre clairement que nous sommes loin de la rémission: le virus s'est bel est bien installé durablement, même s'il demeure le plus souvent latent et ne provoque jamais de montées de fièvres extrapolatoires.

Les auteurs des douze textes retenus ne sont pas tous des inconnus: certains d'entre eux font figure d'institutions locales et étaient déjà présents sur les pages de L'Empire du Milieu en 1982 (François Rouiller et Jean-François Thomas), tandis que Francis Valéry pourrait passer pour un vieux routard du domaine (dizaines d'ouvrages publiés, nombreux articles rédigés, sans compter les magazines édités, qui font de lui un monument de la SF francophone, même s'il s'en défendra sans doute).
Mais, quoique l'on pouvait craindre un manque de renouvellement dans ce microcosme qu'est le milieu de la SF romande, il n'en est en fin de compte rien: vu l'âge moyen des auteurs, on ne peut s'empêcher de penser qu'un souffle nouveau (ne serait-ce qu'une brise légère) anime notre genre. Intérêt passager lié à ce concours uniquement ou lame de fond, l'avenir le dira.
Quoi qu'il en soit, force est de constater que la majorité de ces textes sont l'¦uvre de nouveaux venus: on ne peut qu'espérer que cette publication ne reste pas lettre morte, mais marque l'avènement d'une nouvelle génération d'acteurs de la scène SF locale. Ainsi David Ruzicka, lauréat de notre concours et dont la nouvelle sombre et mordante ne saura laisser indifférent, a récemment publié son premier roman (Personne, Le Presse-Temps 2003), tandis que Frédéric Jaccaud rédige un mémoire sur Albert Robida (Université de Fribourg) et Vincent Gessler anime depuis 2002 une rencontre mensuelle de fans, les « Mercredis de la SF » à Genève.

De plus, à regarder un peu plus loin que cette simple anthologie, la SF ne se porte pas trop mal dans notre pays, merci pour elle.
Plusieurs auteurs romands ont ainsi publié des ouvrages remarqués ces dernières années (en France, il est vrai, réalité éditoriale oblige), tels Olivier Sillig (Bjzeurd, L'Atalante 1995), Wildy Petoud (Tigre au ralenti, Destination Crépuscule 1997), ou François Rouiller (Après-Demains, L'Atalante 2002 et Stups et Fictions, Encrage 2002) tandis que Georges Panchard s'apprête à faire paraître un roman attendu depuis longtemps (aux éditions Imaginaire Sans Frontières en 2004). Ces écrivains sont encore plus nombreux si l'on fait fi de l'étiquette « Science-Fiction » pour s'intéresser aux textes eux-mêmes: on notera par exemple Jean-Marc Pasquet (Le don de Qâ, Jean-Claude Lattès 2001), Jacques Piccard (Preck, L'Âge d'Homme 2002) ou Jacques Neyrinck
(La prophétie du Vatican, La Renaissance 2003).
Parallèlement, la science-fiction entre également à l'université (à Lausanne essentiellement): tandis que Gianni Haver (Institut d'histoire économique et sociale) a organisé en 2001 un colloque en sociologie de l'image ayant fait l'objet d'une publication (De beaux lendemains ? Histoire, société et politique dans la science-fiction, Antipodes 2002), le prof. Danielle Chaperon donne depuis plusieurs années déjà des cours où l'imaginaire scientifique dans la littérature française tient une place prépondérante. Plusieurs mémoires de licence ont par ailleurs d'ores et déjà été rédigés sous sa direction dans le domaine (même si, bien sûr, l'on s'intéresse avant tout à des auteurs relativement classiques, tels Rosny aîné, Maurice Renard ou René Barjavel).

Et si l'on s'éloigne du milieu littéraire, la science-fiction romande semble avoir sérieusement pris de l'essor du côté artistique. Il suffit, pour en juger, de voir le nombre d'artistes suisses ayant récemment exposé à la Maison d'Ailleurs: Jean-Pierre Vaufrey, François Junod, Plonk et Replonk, John Howe, François Rouiller (encore !) ou H. R. Giger (qui, bien que Zurichois, a récemment ouvert son propre musée à Gruyères).

Donc, la SF suisse romande existe, même si on peine à nous croire (mais nous l'avons rencontrée une nuit sombre, le long d'une rue solitaire, alors que nous cherchions un raccourci que nous n'avons jamais trouvé). D'une façon ou d'une autre, présente-t-elle un visage particulier dans le paysage des littératures conjecturales ? Stéphane Nicot (actuel rédacteur en chef de Galaxies) n'y va pas par quatre chemins lorsqu'il écrit (dans Imagine... n° 63): « La SF de Suisse romande n'a (...) aucune spécificité littéraire par rapport à la SF française. » Francis Valéry fait au moins semblant de partager cet avis dans sa contribution qui ouvre le présent volume (la nature même de ce texte soulevant plus d'incertitudes qu'autre chose, on ne le croira qu'à moitié).
Difficile, en tout cas, sur une douzaine de textes comme ceux que renferme ce recueil, de voir une véritable « suissitude » du propos, une trame commune entre les histoires, même s'il serait tentant d'y rechercher des thèmes aisément associables à notre pays, tels que l'isolationnisme ou la bureaucratie omniprésente.
De fait, dans ses diverses études sur la SF en Suisse romande (dont son mémoire datant de 1985), Jean-François Thomas n'a jamais recensé de véritables leitmotivs dans les ¦uvres conjecturales helvétiques, sauf peut-être - mais est-ce propre à notre pays? - une certaine propension à la mise en garde, telle une écriture fonctionnant comme reflet de nos angoisses. Par ailleurs, selon lui la SF de Suisse occidentale « n'a jamais constitué un mouvement d'ensemble » et n'a même jamais pris conscience d'elle-même.

Ce n'est probablement pas avec cet ouvrage que les choses vont changer : l'époque n'est d'ailleurs plus aux grandes déclarations d'intention ou aux manifestes. Notre seul but étant ici de rappeler qu'en matière de science-fiction, la Suisse n'est pas une île déserte à laquelle ne se prêtent que de rares et vilaines robinsonnades ni une Atlantide au passé glorieux (de Léon Bopp à Rolf Kesselring en passant par Yves Velan, en tout cas), mais depuis longtemps disparue.

C'est peut-être simplement un territoire encore vierge, composé de très petits îlots qui, pris séparément, paraissent presque dérisoires (tellement minuscules, en tout cas, qu'ils ne sont pas répertoriés sur les cartes), mais qui, dans leur ensemble, forment comme une dentelle à la limite de notre perception - un archipel du rêve.

Bonne promenade sur ces terres nouvellement émergées.

Patrick J. Gyger
Ailleurs
octobre 2003

 

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Page créée le 30.12.03
Dernière mise à jour le 30.12.03

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