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Marie-Christine Gateau-Brachard

Bibliographie - En souvenir de Marie-Christine Gateau-Brachard (Oscar Peer)

  Bibliographie

Cla Biert, Fine fleur, nouvelles, Editions Zoé, 1997
 
Oscar Peer, Coupe sombre, Éditions Zoé, 1999
 
Oscar Peer, La rumeur du fleuve, Editions Zoé, 2001 - 2007
 
Göri Klaingüti, Lum le dédective et son auteur, Editions de l'Aire, 2002
 
Ursicin G.G Derungs, Le poulain vert, Editions de l'Aire, 2003
 
Oscar Peer, Eva, Editions Zoé, 2004

 

  En souvenir de Marie-Christine Gateau-Brachard (Oscar Peer)

La nouvelle de sa mort a été comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, elle a semé la douleur et le désarroi chez ses proches, chez tous ceux qui la connaissaient, chez ses amies et ses amis des bords du Léman, de Suisse romande et des Grisons. Si nous parlons d'emblée des Grisons, c'est par reconnaissance : car elle a aimé notre pays, elle a appris notre langue, elle a traduit des oeuvres romanches, nous transportant ainsi de notre monde paysan dans l'urbanité d'une langue internationale. Pour nous, c'était un passage de frontière bienfaisant, comme elle en a connu elle-même quand elle allait et venait entre Genève et Chens-sur-Léman au gré de ses voyages.

Elle n'était pas arrivée dans notre région en parfaite étrangère, car l'une de ses grands-mères venait d'Andeer, dans le Val Schams. Qui sait, peut-être avait-elle même hérité d'elle un peu de tradition romanche, bien qu'elle fût dans le fond cent pour cent Genevoise, fille de bonne famille, et qu'elle eût grandi dans une ville à la fois empreinte de sévérité calviniste et complètement ouverte sur le monde. A Genève, elle avait fait sa scolarité, étudié à l'Ecole supérieure de jeunes filles, était devenue institutrice, avait rempli la fonction de doyenne au Cycle d'orientation de l'Aubépine, avait été jusqu'à sa retraite professeur de langue et culture espagnoles au Collège Calvin. L'Espagne était un de ses pays favoris ; la famille possédait à Alhaurin, en Andalousie, une belle maison où elle passait volontiers ses vacances. Les voyages faisaient partie de sa vie. Son mari, professeur de littérature française, était souvent invité à donner des conférences à l'étranger, elle l'accompagnait jusque dans des pays lointains, jusqu'en Australie, d'où elle envoyait à ses connaissances de magnifiques cartes postales avec des paysages de rêve, des bords de mer, des oiseaux et des fleurs. Elle connaissait l'Europe, l'Allemagne aussi, la Bavière par exemple. Quelqu'un m'a dit qu'elle parlait bien l'allemand, même si, m'a-t-il semblé, elle faisait son possible pour éviter cette langue. Elle me disait : "Tu sais, je suis profondément latine." Un jour, comme je lui faisais cadeau d'un de mes livres, elle m'a demandé une dédicace, ajoutant aussitôt : "Mais, s'il te plaît, pas en allemand !" Latin moi aussi, je la lui ai écrite tout naturellement en romanche.

Le romanche était cher à son coeur. Peut-être était-il pour elle, grâce à sa grand-mère d'Andeer, comme la découverte d'une face cachée de son propre passé. Elle est partie à la découverte des Grisons, a passé des vacances de ski avec son mari au col de la Bernina, les vacances d'été en Basse-Engadine, s'est passionnée pour la sonorité de l'idiome ladin, a suivi des cours de romanche à Scuol avant d'étudier notre langue à l'université de Genève. Et cela faisait tout à fait partie de son éthique de vie que de chercher à appliquer utilement ce qu'elle avait appris : elle a commencé à traduire des œuvres romanches en français. Ce n'était pas qu'un passe-temps, mais une tâche absolument sérieuse.

Marie-Christine m'a réservé, avant même que je la connaisse, une des plus singulières et des plus belles surprises de ma vie. Un jour, je me suis dit : comme ce serait beau si une fois une de mes œuvres pouvait se lire dans une autre langue, comme c'est déjà arrivé avec d'autres livres romanches. Cette pensée m'a effleuré presque par hasard, le moment d'après je pensais déjà à autre chose, Mais , le lendemain, j'ai trouvé dans ma boîte aux lettres une enveloppe jaune avec à l'intérieur la traduction française d'une de mes histoires. Une lettre y était jointe ; une femme de Genève se présentait et me priait de l'excuser d'avoir traduit quelque chose de moi sans me demander la permission ; est-ce que je voulais bien jeter un coup d'oeil à son travail et lui dire ce que j'en pensais et si c'était "plus ou moins acceptable". Mon petit déjeuner est resté tel quel sur la table et j'ai lu une page après l'autre, le texte me captivait non seulement à cause de la fluidité du style, mais parce que mon histoire, transposée dans une autre langue, n'en restait pas moins toujours la mienne, tout en étant transformée de manière passionnante, comme si je trouvais dans cette langue étrangère quelque chose de très connu et en même temps de complètement nouveau... Mystère de la rencontre, là aussi : l'étranger qui nous arrive de manière inattendue et dans lequel nous nous découvrons nous-mêmes. On dit trop facilement que les traductions sont moins bonnes que l'original ; souvent elles apportent , par le génie de l'autre langue, quelque chose d'indéfinissablement nouveau qui manquait à l'original.

Il s'est donné tout naturellement que Marie-Christine a encore traduit d'autre textes de moi par la suite. Elle m'envoyait un chapitre à la fois, je corrigeais certains mots ou certaines tournures qu'elle avait mal compris, qu'elle ne pouvait pas connaître ni trouver dans le dictionnaire (essayez donc de comprendre la langue des paysans !). Je faisais des propositions, celle-ci surtout : ne pas s'arrêter trop rigoureusement à chaque détail de ma phrase ladine, se permettre une certaine liberté, car dans ce cas l'essentiel n'est pas la fidélité littéraire, mais un bon français, lisible pour les francophones. Elle le savait, bien sûr, mais le travail sur le texte d'un auteur était pour elle une question de conscience. En véritable philologue, elle se faisait volontiers conseiller. Son auxiliaire le plus sûr à cet égard était son époux Jean-Charles, à qui elle lisait chaque fois son travail à voix haute. On peut s'imaginer comment il l'écoutait, avec l'oreille exercée de l'homme de lettres, et comment il appréciait le choix des mots, la diction, le rythme des phrases. Une collaboration littéraire : peut-être n'y a t-il pas de meilleur travail d'équipe dans le couple.

Son mari a d'ailleurs trouvé le titre de mon premier ouvrage traduit en français ; en romanche, il s'intitulait Accord, ce qui signifie coupe de bois ou travail du bûcheron ; il a trouvé le titre Coupe sombre, terme technique désignant précisément le travail dont il est question dans le livre, et qui rend en même temps l'atmosphère de fond du récit.

Le premier ouvrage romanche que Marie-Christine a traduit est Fain manü (Fine fleur) de Cla Biert, auquel elle a souvent rendu visite, ainsi qu'à sa femme, dans le beau village de Sent, situé sur une terrasse ensoleillée. Puis ont suivi les récits policiers Linard Lum de Göri Klainguti et - travail pour elle beaucoup plus difficile du fait que l'idome sursilvan est complètement différent - Il cavallut verd (Le poulain vert) d'Ursicin Derungs.

Je pense au mystère de nos rencontres inattendues. Nous parlons de "hasard", sans savoir dans le fond ce que hasard veut dire ni d'où il vient. A Marie-Christine, je suis redevable de la rencontre avec un monde plus vaste, avec la Suisse romande, avec les lectrices et les lecteurs de cette région de notre pays que nous connaissons trop mal, nous autres montagnards ; une rencontre avec l'une des grandes langues culturelles de l'Occident, riche de tradition. Mais cela a surtout été une rencontre avec un être d'exception. Je regarde une photo d'elle, je vois une grande et belle femme aux cheveux foncés, avec une expression franche et humaine. Et je me souviens de sa voix. Je me rappelle comme elle pouvait être gaie et rire en société. On avait l'impression d'une personne harmonieuse, solidement ancrée dans la vie, capable d'accepter les difficultés et la beauté de l'existence. Elle n'a malheureusement, comme bien d'autres, pas été épargnée par la maladie et, comme pour beaucoup d'autres qui nous sont chers, la mort est venue beaucoup trop tôt.

A nous autres Romanches, il reste ses précieuses traductions, sa participation active et joyeuse à notre travail. Mais il nous reste surtout le souvenir d'une femme remarquable et d'une grande gentillesse.

Nus at ingrazchain du tuot cour !

Oscar Peer
Traduction de Christian Viredaz

Feuxcroisés - N°6

 

Page créée le 01.03.05
Dernière mise à jour le 12.02.10

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