retour page d'accueil


Madeleine Santschi
«Outre, toujours plus outre»
par Sylviane Dupuis

Version imprimable

  


1986 : Portrait d'Antonio Pizzuto vient de paraître, et France Culture consacre l'une de ses émissions de nuit à Madeleine Santschi : j'écoute, suspendue à cette voix inconnue qui parle si bien de l'œuvre d'un autre. Nous nous croiserons quelques années plus tard à la leçon d'adieu de Jean Roudaut, à Fribourg – et le dialogue commencera pour ne plus s'interrompre.

Il y a une « constellation » Madeleine Santschi – qui inclut musiciens, peintres et écrivains (mais aussi psychanalystes, juristes ou scientifiques) avec lesquels, dans la plus grande discrétion, elle entretient ou a entretenu des liens d'amitié réciproques et féconds : Pizzuto et l'éditeur Mondadori ; Roudaut, Butor ou Yves Velan ; les peintres Jean Lecoultre et Franco Meneguzzo ; Yehudi Menuhin et sa sœur Hephzibah, Charles Dutoit et Martha Argerich, ou encore le compositeur György Kurtág. Car ce qui la caractérise tout d'abord est cette exceptionnelle faculté de mise en relation polyphonique des êtres, des voix, qui fait d'elle une « passeuse » non seulement entre les langues, entre les mots, mais aussi entre les consciences. Pour elle, tenter de « rendre lisible » autrui (comme elle l'a entrepris pour Butor ou Pizzuto, mais aussi par le biais de ses traductions) est depuis toujours le corollaire de la saisie de soi : saisie fragmentaire, inachevée, en permanent devenir ; à quatre-vingt dix ans, Madeleine Santschi (qui écrit chaque jour, en dépit de l'extrême rareté de ses publications) n'a pas fini de s'inventer !

Se reconstruire par le détour de l'autre

Au sujet de Sonate , premier roman publié à presque cinquante ans, Jean Roudaut observe : « Ecrire est aussi une façon incohérente de se reconstruire ». Privée, après l'Ecole de commerce, de la possibilité de faire des études universitaires, mais sachant depuis toujours qu'elle veut écrire, et habitée dès l'enfance par le sentiment que la réalité est un tout éclaté, impossible à réduire à la logique linéaire ou à la fixité, Madeleine Santschi va mettre longtemps à oser sa propre voix. A prendre conscience de ce qu'elle poursuit, ou de ce qu'on pourrait appeler son esthétique propre, indissociable de sa relation au monde comme, aussi, du risque de folie, qu'elle sait tapi derrière toute entreprise radicale, voire toute démarche de création authentique.

C'est le détour par l'autre qui va la (re)conduire à soi. Tout d'abord, elle traduit : de l'italien, de l'anglais. Et propose à la Gazette de Lausanne une série de grands entretiens avec les auteurs et les éditeurs italiens les plus représentatifs du XX e siècle, qui vont la faire connaître en Italie : Moravia, Buzzati, Ungaretti, Montale, Calvino… et Mondadori, Garzanti ou Feltrinelli.

En 1965, Sonate paraît au Mercure de France : petite musique de chambre bouleversante constituée d'un tissage de voix, de tons contradictoires (entre tendresse humaine, satire sociale, et pathétique), d'un réseau serré d'images et de réminiscences flottant dans une sorte de brouillard onirique d'où tout surgit comme d'un chaos – virtuose « mise en scène de timbres » qui s'impose d'emblée comme la manière propre de l'auteur. Mais Simone Gallimard, séduite par ce premier roman, refusera le deuxième, oublié dans un tiroir jusqu'à sa tardive publication, en 1994, sous le titre de Toutes ces voix .

C'est alors la rencontre décisive avec Pizzuto, dont l'écriture constitue, dit-elle, « un objet de langage homogène, clos sur soi, ayant évacué le temps pour l'éternité […] des choses habitées par leur sens » ; s'ensuivent des années de collaboration pour traduire en français et commenter cette œuvre géniale et difficile, formée de courtes proses d'une densité extrême, à la limite de l'hermétisme ou du « non sémantique ». Séduite par les sonorités rocailleuses de sa langue, M. Santschi traduit ensuite le poète lucanais Albino Pierro. Paraîtront encore – outre une étude sur Gustave Roud – deux livres d'entretiens avec Michel Butor. Tous ces « pères » en écriture lui apprendront à oser, à gagner en assurance et en conscience de sa propre démarche – tout en radicalisant, par l'exemple de leur liberté, sa relation à l'écriture.

Un livre en trois volets

On n'écrit peut-être jamais qu'un seul livre. Tout en prolongeant l'exploration du temps et de l'espace (celui du monde sensible comme celui, intime et mémoriel, des personnages) commencée avec Sonate , Toutes ces voix (primitivement intitulé Des Phrases) développe l'orchestration déjà si complexe du premier livre et que le troisième mènera plus loin encore – à la limite du possible. L'action du roman se réduit à quelques heures : celles qui, probablement, précèdent la mort de la protagoniste, une danseuse transportée à l'hôpital après une chute qui l'a plongée dans un semi-coma où défilent vivants et morts, paroles du présent et souvenirs du passé, phrases-leitmotivs obsédantes et images concrètes.

Dans Pas de deux , roman actuellement en voie d'achèvement, le récit disparaît totalement au profit d'une danse de mots, de silences, de citations, de gestes et de timbres ; l'action se voit réduite à un instant « qui pourrait être n'importe quel instant » mais qui est aussi toute la vie ; et la protagoniste : une danseuse, encore, se change en métaphore du texte, qui se construit sous nos yeux. Sur le plan formel, le dernier volet de ce triptyque romanesque atypique se présente comme un dispositif musical (on songe à Mallarmé…) mais aussi pictural, où le pari fou de l'auteur – elle s'en explique dans l'entretien qui suit – est de parvenir à donner forme qui « tienne » à la vie déversée en vrac, avec son tout-venant, ses contradictions, sa polyphonie, sa joie, ses larmes, sa violence explosive ; à enfermer dans les mots, et à faire revivre à chaque lecteur, la totalité fugace et éternelle d'un instant.

En attendant, pour se préparer à cette traversée, rien de plus suggestif que les entretiens récemment parus de l'écrivain avec son ami Jean Lecoultre, où tous deux se demandent « Pourquoi peindre, pourquoi écrire, qu'est-ce que la création, quels en sont les ressorts intimes, quel en est le prix ? » (J.-M. Pittier, dans l'Avant-Propos de Violence et fragilité de l'instant ).

 

  Entretien

Dans Toutes ces voix , on est frappé par la coexistence de tous les éléments du réel, y compris ceux qui sembleraient de prime abord incompatibles – par cette absence de hiérarchie entre les choses (entre le « haut » et le « bas », le poétique et le trivial, etc.) qui caractérise votre rapport au monde ; et qui renvoie plus à Shakespeare (que vous ne cessez de relire) qu'au « bon goût » français…

C'est justement ce que je voudrais tenter de faire tenir ensemble dans une forme : les mille choses contradictoires qui coexistent en même temps dans l'instant ! Dès l'enfance, il me semble, j'ai eu l'intuition qu'il contient tout : tout le contradictoire de la vie.

Donner forme à l'instant, c'est précisément le projet de Pas de deux , le dernier roman du triptyque commencé avec Sonate et Toutes ces voix  ?

Oui, et je commence enfin à avoir conscience que le texte se coagule, ou « prend » dans la forme ; il ne me faudrait peut-être plus trop le retoucher, désormais, pour ne pas en abîmer le mouvement, ou la danse.
Pas de deux n'est ni une histoire, ni un récit, mais la tentative de saisir tout ce qui se passe à l'intérieur d'un temps très court. Le travail, c'est de mettre en musique – si l'on peut dire – ces contradictions, de faire qu'elles se changent en timbres qui se répondent : il y a des pleins, des silences, et à travers tout cela coule ce que j'appelle, faute d'un autre mot, la forme. Jean Roudaut m'a écrit que ce livre serait « une partition » ; il a senti que je quittais le roman pour aller vers le poème, ou l'écriture musicale : on devrait entendre le texte marcher.

Si d'une part on se rapproche de la verticalité du poème, le mouvement est quand même là, partant d'un point pour aller vers un autre… Vous n'êtes plus dans le narratif, dans le récit, mais il subsiste une forme de linéarité, non ?

Le texte devrait avoir sa cohérence, et c'est le plus difficile à obtenir ; voilà pourquoi j'ai erré pendant des années : parce que je n'arrivais pas à embrasser le tout . Qu'est-ce que j'entends par « le tout » ? Précisément cette forme que je cherche et que je continue encore à chercher : soulèvement et retombée. Si je réussis, ce texte contiendra tout ce qui fait l'instant : la violence et la fragilité, l'éternité et la fugacité ; et en même temps il faut que les mots, que les phrases, « se soulèvent » comme une houle puis retombent et fassent sens.

Projet à la limite de l'irréalisable…

Mais c'est ce que je dois faire.

Ce qui permet à la forme de « prendre », c'est donc avant tout la cohérence ?

C'est une tonalité. Il faut que ce soit le mouvement même qui fasse sens. Ou la musique. Je l'ai dit, les mots devraient être perçus ici en tant que timbres. Comme dans la musique de Kurtág il y a des timbres très accentués, puis des silences, des blancs... La difficulté c'est de faire entendre aussi les silences. Que les uns et les autres s'appellent.

A quel moment et comment sentez-vous que le mouvement a atteint son terme, ou sa résolution, et que c'est « fini » ?

Je dirais que c'est le texte lui-même qui décide de retomber, et qui le fait à sa manière propre, à un moment donné.

Il a son autonomie ?

Ce qui m'a conduite à ce livre, c'est que je n'ai jamais ressenti la réalité comme un ensemble logique ou ordonné. Je me suis longtemps demandé pourquoi. Est-ce une explication ? Il se trouve – c'est un psychanalyste qui me l'a affirmé – que j'ai des souvenirs qui remontent à la vie intra-utérine ; et en y réfléchissant, je me suis dit que ce besoin d'écrire un livre formé d'un ensemble de « gouttes », ou de timbres, provient peut-être de la nécessité pour moi de donner forme à cette perception originelle du son, de la réalité, qui précède le langage et qui est celle du fœtus dans le ventre de sa mère. Mais comme disait Pizzuto, toute explication conduit à une autre explication qui conduit celle-ci à une autre, à l'infini ! J'obéis . Où cela me conduit, je l'ignore.

Diriez-vous que la musique, pour le musicien, surgit de la même origine que ce livre, pour vous ?

Selon moi, toute œuvre musicale surgit d'une émotion, donc pas du tout d'une histoire, ou d'une idée – et moins que jamais dans la musique contemporaine, où c'est vraiment le son qui fait sens. Il s'agit de capter l'intégralité d'une émotion. Et l'autre jour, j'ai eu pour la première fois la sensation – quasi physique – que je commençais à y parvenir avec mon livre. Que je tenais le tout entre mes mains, comme on tiendrait une pomme, ou une goutte d'eau.

Lorsque vous vous remettez au travail, vous relisez tout, chaque fois ? Ou comment faites-vous pour rentrer chaque jour à nouveau dans le texte, dans son mouvement ?

Je travaille à être le point fixe. Comme si tout autour de moi, il y avait en permanence une agitation formidable, dont j'essaie de capter des bribes. Musicalement, mais au moyen des mots.

Pratiquement, comment est-ce que cela se passe ? Vous relisez le dernier morceau de texte auquel vous avez travaillé ?

J'essaie de rebondir. Ça n'a pas grand-chose à voir avec la logique cartésienne, avec un enchaînement de type rationnel. Rebondir, c'est un mot qui me vient de Kurtág, à qui je parlais des angoisses que me procurait ce livre et qui éprouvait la même difficulté avec un quatuor auquel il travaillait à l'époque : « il faut que cela rebondisse », chaque son en appelant un autre, puis un autre, à l'infini ; chaque « goutte » qui tombe rebondissant après sa chute…

Vous m'avez dit avoir eu parfois, en écrivant, le sentiment de frôler la folie. Pourquoi ?

A sept ans, j'ai eu une crise dont on pourrait dire qu'elle m'a fait consciemment traverser la folie… comme une sorte de déconstruction totale… Je sais que j'ai survécu grâce à deux images dont je me souviens très bien : une petite Vierge en manteau rouge, et L'Angélus de Millet. Cela n'a bien sûr rien à voir avec mon livre, mais sur le plan du Gefühl , du ressenti, c'est un peu ça : rester le point fixe au milieu du chaos.

Et la musique, vous l'avez pratiquée, avant d'écrire ?

Toute petite, j'ai fait du piano, et n'ai pu poursuivre ni la musique ni les études très longtemps, parce que mes parents n'en avaient plus les moyens ; mais ce n'est pas un hasard si je me suis liée plus tard avec des musiciens.

Paradoxalement, on communiquerait donc plus et mieux par l'inexplicable que par l'expliqué ?

J'en suis convaincue. Mais comment parvenir à donner forme à l'inexplicable ? Mystère ! Tout le travail est là.

Pensez-vous que pour chaque livre, il y aurait une sorte de « chiffre » de l'œuvre à atteindre, mystérieux, inconnu, à extraire d'elle pour qu'elle prenne sens ?…

Oui, un peu comme si l'œuvre préexistait à sa gestation. Ici, je suis partie d'un timbre, tout s'est construit à partir de là. J'ai ensuite tenté de suivre une piste que je ne connaissais pas – d'où parfois ce sentiment de folie, cette crainte de ne pas pouvoir « passer », sous peine de dissolution.

Partir d'un timbre, dans l'écriture, qu'est-ce que ça veut dire, au fond : s'agit-il d'un son, d'un mot, d'une tonalité affective, ou d'une forme de musicalité dans la langue… ?

Ici, le livre commence par une pomme et se termine par une pomme. Il s'est « soulevé » à partir d'un objet qui est en même temps une tonalité initiale, et il retombe à la fin au même point, mais pas tout à fait, après un voyage ou une boucle qui ressemble à la vie… J'ai entendu un jour sur Arte l'interview d'un vieil Indien à qui un journaliste demandait quel était pour lui le sens de la vie, et qui répondit que pour sa tribu, c'était « retrouver son souvenir le plus ancien dans le ventre de sa mère ». C'est la même idée.

Enfermer tout un trajet de vie dans un instant, est-ce que cela vous est devenu possible aujourd'hui parce que, précisément, vous avez fait tout le chemin ? Ce qui permettra à ce livre d'avoir aussi valeur de chemin pour d'autres, pour vos lecteurs ?

Dans la mesure où ils peuvent l'accueillir ! Parce que face à ce que j'écris, il faut que le lecteur accepte d'être dé-rangé : rangé autrement. En général on ramène tout à ce qu'on connaît, par peur de l'inconnu. Mais ça, ce n'est pas mon problème. Le mien est de donner forme à partir de « ce qu'il y a de plus profond en soi-même », comme disait Pizzuto, ajoutant que « tout le reste n'est que bavardage ».

Et ce travail, personne ne peut le faire à la place d'un autre. Il renvoie à la solitude fondamentale de chacun.

Oui. Ce que je voudrais, c'est achever ce livre. Ce qui lui adviendra ensuite, je n'en sais rien. Il touchera peut-être trois, quatre personnes (qui l' entendront ). C'est tout ce qui m'importe. Il ne faut pas se demander si l'on sera lu ou pas. Mais c'est quand même de cela dont on a fondamentalement besoin (dès la naissance, dès les premiers cris) : d'être entendu, perçu, accepté. Pas nié. Et entendu dans sa globalité , ce qui est très difficile. Même pour des proches.

« Naître, c'est être séparé » écrivez-vous dans Toutes ces voix. La naissance est la première expérience de la solitude : pour la première fois on est ramené à soi…

Et c'est aussi la découverte de la lumière, des odeurs, des sons, de l'air... Quel traumatisme ! Peut-être qu'on poursuit cela toute sa vie. En tout cas ce qui me pousse à terminer ce maudit bouquin, ce petit monstre, est d'un ordre très mystérieux. A la fois je me sens sans forces, et à la fois je dois . Comme s'il s'agissait de donner forme à ce qui n'existe pas – ou n'est pas matérialisé.
Je vous ai dit comment j'avais rencontré, au cours d'un voyage en train, ce physicien du CERN devenu, depuis, un ami : nous avons noué conversation en parlant des particules, lui dans le cadre de la physique nucléaire, et moi par rapport à l'écriture. Il m'a appris beaucoup de choses ; par exemple, que l'énergie ne meurt jamais : elle nous traverse, elle traverse la matière, puis passe ailleurs. Comment donner forme à ce mouvement, à ce perpétuel recommencement ?

Une œuvre vraiment importante déplace fondamentalement et son créateur et les autres (c'est aussi ce qui fait qu'elle n'est pas tout de suite reçue, ou entendue). Elle impose un travail au lecteur. Elle modifie notre perception du monde et nous force à affronter l'inconnu, à « descendre » plus loin en soi ou dans l'inconscient, et à se découvrir soi-même… Il me semble que votre travail est de cet ordre.

Dé-couvrir : oui, dans le meilleur des cas, mes livres devraient servir à ça, à « dé-couvrir » au sens où l'entend Butor, à enlever un couvercle. Quant à savoir qui je toucherai avec ce texte, et pourquoi... c'est le mystère.
Il y a des gens qui me donnent de la place ; et d'autres, non ; ce n'est pas leur faute, c'est leur fait : ils n'entendent pas ; il y a un chemin qu'ils n'ont pas fait. Quand j'ai rencontré Butor, Pizzuto, ou Kurtág, ce sont des êtres avec qui immédiatement je pouvais tout dire. Il y avait de la place. Je pouvais être – sans avoir à rien expliquer. Eh bien c'est la même chose pour un livre. Ou il est reçu parce qu'il y a de la place pour ça chez le lecteur – ou il n'y en a pas. Il faudrait surtout ne jamais rien expliquer.

Et cependant les mots nous servent aussi à nous désengluer, à échapper au magma, non ?

Echapper au magma, oui. Mais périodiquement je retombe dans cette tentation d'expliquer, parce que dès que je suis fatiguée, je commence à raconter une histoire, et très vite je réalise que ce n'est pas du tout cela que je veux faire, alors je déchire, et je recommence. Je déchire énormément ! Parce que je suis obscurément une trace – et ce n'est pas du tout comme un chemin déjà marqué, déjà circonscrit, avec des poteaux indicateurs montrant qu'il faut aller à gauche ou à droite. C'est très compliqué.

En fait, vous ne parlez jamais vraiment de votre manière de travailler, vous tournez autour…

Que puis-je en dire? J'entends des timbres… Dès que je cherche à savoir ce que ça veut dire, c'est fichu ! J'obéis à une musique.

La musique, c'est peut-être la grande tentation de toute littérature ? C'est elle qui porte la voix depuis l'origine, et les poètes l'ont toujours jalousée.

Oui, mais là, la gageure – et ce que je dis n'a rien à voir avec de la prétention, c'est simplement ce que je dois faire – est d'accepter d'être menée, d'être emportée par la houle tout en demeurant le point fixe. Ce que j'essaie de traduire, c'est le mouvement des vagues – et non pas l'histoire d'une navigation. C'est ma perception intime du réel. Et plus la houle est forte, plus c'est difficile de rester debout au milieu ; et plus on est tenté de tomber dans la trappe des mots – ou de se cramponner au linéaire.

Les Vagues … cela évoque Virginia Woolf  ! Vous m'avez dit avoir été marquée par elle ?

…et par Katherine Mansfield, oui, bien sûr.

Et par Shakespeare !

Shakespeare, il contient tout : le rire, la joie, la douleur, la mort. Je crois qu'il s'agit, tant qu'on vit, tant qu'on crée, de faire surgir de l'être, perpétuellement, à partir de la mort. D'être en permanente métamorphose.

 

- Dans l' édition papier de Viceversa, ce dossier est assorti d'un texte de création inédit ou en traduction inédite
- Retrouvez de nombreux dossiers Viceversa en ligne sur nos pages
- Retrouvez Madeleine Santschi sur les pages auteurs de Culturactif.ch

 

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"