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Anne Perrier
a reçu, le 28 mars dernier le
Grand Prix de littérature française
hors de France de lAcadémie Royale
de Belgique qui marque la reconnaissance
de lensemble de son oeuvre dans les lettres
francophones.
Maîtresse de lépure, poète
aux valeurs spirituelles universelles, Anne
Perrier incarne avec la plus grande authenticité
les qualités qui se dégagent de
sa poésie : la profondeur et la simplicité.
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Nous avons eu la chance de rencontrer celle pour qui
écrire semble aussi naturel quentendre
ou regarder |
Navez-vous toujours écrit
que de la poésie ?
En effet, cest la poésie
qui sest imposée demblée, très
tôt, dès que jai fait sa découverte
au cours de ma scolarité. Je nai jamais été
tentée par le roman ou la nouvelle. Jai pourtant
écrit (tout de même en vers libres !), sous
le titre Le Conte dété,
le texte dun spectacle inspiré dun conte
méditerranéen (dans sa version portugaise),
sur lequel le compositeur Bernard Reichel a écrit
une très belle musique. Le tout a été
donné au théâtre de Vidy en 1976 en
version de concert, et enregistré à Radio-Lausanne,
avec lOCL. Il a passé à deux reprises
sur France-Musiques.
Vous dites, dans un entretien réalisé
par Marion Graf en décembre 1996, que vous navez
pas voulu faire de critique littéraire, comme si
une trop grande lucidité par rapport à loeuvre
dautres poètes risquait de mettre en danger
votre propre travail poétique, qui doit garder sa
part dobscurité. Navez-vous jamais été
tentée par un travail réflexif, sur les oeuvres
dautres poètes et sur votre propre oeuvre poétique
?
Non, je nai jamais été
tentée par ce genre de travail (sauf à de
rares occasions), je ne me sens pas faite pour cela. Je
nai guère (ou pas suffisamment) lesprit
analytique. Du moins, je ne lai pas cultivé,
par manque dattirance, mais peut-être aussi
pour laisser toute la place à lécoute
de ma propre voix. Jai eu besoin de beaucoup de silence.
A certains moments, même lire dautres poètes
me dérange.
De quelle manière percevez-vous
ce qui sécrit sur votre oeuvre ?
Cela mintéresse et me
fait souvent plaisir, mais je loublie très
vite. Cet accueil est nécessaire la poésie
sadresse à dautres, et sil ny
avait aucun écho, cela serait difficile à
certains moments même si au fond cela ninfluence
pas ce que jécris par la suite.
Lenfance et lenfant
sont présents dans votre oeuvre. Votre propre enfance
vous a-t-elle beaucoup marquée, dans quelle mesure
a-t-elle déterminé votre rapport aux mots
?
Cest vrai que lenfance
occupe une place de choix dans mon oeuvre. Mais, me semble-t-il,
moins comme une nostalgie du passé que comme un point
lumineux, une source qui est en avant de moi : lesprit
denfance plutôt que la condition denfance.
A-t-elle joué un rôle dans mon rapport
aux mots ? Très certainement. Mais je laisse
à la critique le souci de suivre ce fil à
travers mes livres.
Vous avez dû choisir, à
un moment de votre vie, entre la musique et la poésie.
Quest-ce qui vous a poussée à choisir
les mots ? Quelle est limportance de la musique dans
votre travail poétique ?
Ai-je choisi ? Cest la poésie
qui a choisi. Peut-être aussi que je nétais
pas vraiment douée pour la musique, pour en jouer
ou (encore moins !) pour en écrire. Mais elle na
jamais cessé de maccompagner, de mhabiter.
Quelquun ma dit très récemment
que javais rendu à la poésie de
langue française la musicalité que lusage
du vers libre lui avait fait perdre. Est-ce vrai ?
Voilà où serait alors passée la musique,
comme naturellement, presque à mon insu. Il est vrai
que jessaie peut-être de recréer une
musique du vers qui allait de soi avec lalexandrin.
Quels ont été vos
liens aux poètes de votre génération,
au moment où vous étiez proche des collaborateurs
des revues Rencontre puis Poésie ?
De beaux liens damitié
se sont noués en Suisse romande à ce moment-là.
Nous brûlions tous du même feu. La poésie
nous attirait, nous fascinait. Nous regardions encore beaucoup
vers la France et ses poètes dalors, mais ici
il y avait eu Ramuz, tout proche encore, et il y avait Gustave
Roud. Il était comme un phare pour beaucoup dentre
nous. Nous nous sentions en terre de poésie,
ici-même. Cétait une période où
il ny avait pas de rivalités. Jai gardé
des liens avec certains amis pendant longtemps. Je me souviens
que Hermann Hauser, directeur des éditions de La
Baconnière où travaillait alors mon mari,
avait organisé à cette époque une rencontre
poétique avec des auteurs français, et cela
avait été loccasion pour nous de rencontrer
plusieurs poètes dont nous lisions les oeuvres depuis
longtemps, comme Pierre Emmanuel, Jean Cayrol ou Alain Borne.
La découverte des surréalistes
a été importante pour vous, notamment par
louverture des frontières formelles que leur
écriture a réalisée. Toutefois, votre
poésie est très éloignée de
leur pratique de limage. Quel est votre rapport à
limage poétique ?
Oui, les surréalistes ont
le mérite davoir fait sauter les limites de
la prosodie traditionnelle, et davoir ouvert à
la poésie lespace attirant de la liberté.
Attirant et dangereux en même temps. Laisser la bride
sur le cou aux mots, aux images, était le risque
auquel il fallait prendre garde. Mon rapport à limage
dans ces nouvelles perspectives ? Cela a toujours été,
me semble-t-il, un rapport heureux (à la différence
peut-être de Philippe Jaccottet, qui sest davantage
méfié des images !). Les pensées, les
sentiments, tout ce que je sentais bouillonner en moi dune
façon confuse venait tout simplement sincarner
dans limage. Je crois que la poésie vit de
cette incarnation. Mais ce qui est sûr également,
cest quil ne faut pas se laisser entraîner
par limage, et rester constamment vigilant. Dune
manière pourtant très souple : parfois les
rôles sinversent et cest limage
qui vient la première, alors il faut la suivre, lui
faire confiance et voir où elle va nous mener. Je
me souviens que lun de mes poèmes mest
venu en faisant la file à la poste : une image ma
surprise tout à coup, sans idée préalable,
et je lai suivie. La poésie sans limage,
pour moi, nest pas suffisante. Je vois les poèmes
en moi comme je ne les vois jamais sur le papier. Même
mon écriture me dérange, jai limpression
de ne pas voir ce que jécris, alors je tape
mes poèmes à la machine.
Vous voyez les poèmes avant
même de les écrire ?
Oui, le poème se fait toujours
à lintérieur, et même si je retravaille,
cela se fait dans ma tête. Il y a des
poèmes que jai beaucoup travaillés,
mais toujours à lintérieur. Cest
ainsi que je les entends et que je les vois en même
temps. Cela vient peut-être en partie du fait que
jai commencé à écrire assez tôt,
chez mes parents, et comme on ne me prenait pas très
au sérieux, je me cachais, je ne voulais pas quon
me voie écrire et jintériorisais alors
mes poèmes.
Vous avez beaucoup voyagé
en Europe, notamment en Grèce et en Crète.
Certains de ces lieux ont-ils marqué votre écriture
(même de manière souterraine) ?
Oui, certainement. La Grèce,
et particulièrement la Crète, leur histoire,
leur végétation ont marqué mon écriture.
Et aussi lAfrique du Nord et les abords du désert.
Et je crois que le côté souterrain
a joué un rôle important : le désir
très fort, très essentiel et constant dune
lumière, dune certaine qualité de lumière
surtout, que je nai rencontrée que dans ces
pays du sud, un éblouissement, une transparence.
Une sorte de spiritualisation de la lumière.
Entre les recueils Feu les oiseaux
et Le Livre dOphélie, sept ans se sont écoulés,
durant lesquels vous navez rien publié. Avez-vous
tout de même écrit pendant cette période
? Comment vivez-vous les moments où lécriture
vous résiste ?
Non, je nai rien écrit,
ou pas grand-chose, pendant cette période. Mais je
nai jamais limpression que lécriture
me résiste. Je me sens simplement comme
un arbre qui donne ses fruits quand le temps nécessaire
à leur maturité est écoulé.
Certains ont mûri rapidement, dautres beaucoup
plus lentement, et lon ny peut rien. Je me laisse
faire. Il ny a ni peur, ni combat. Cest peut-être
la part la plus singulière de mon expérience
poétique.
Le poème est-il, pour vous,
une réponse possible à la révolte (à
légard de la souffrance, de linjustice
ou de la mort) ?
Je ne pense pas que le poème
soit une réponse. Peut-être, dans le meilleur
des cas (et si cela ne paraît pas un peu prétentieux)
: une rose qui aurait perdu ses épines.
Votre poésie met souvent
en contraste des images de plénitude, de paix, et
de douleur, de solitude ou de révolte. Est-ce que
le poème, qui peut réunir les contraires avec
harmonie, permet une réconciliation entre des contrastes
qui, dans la vie, semblent inacceptables ?
Peut-être quen poésie,
le temps est mort, comme dit le titre dun
de mes livres. Ou peut-être que tout est transporté
dans un temps autre, qui serait comme une anticipation de
léternité, où lheureux
et le douloureux ont perdu leur caractère antinomique.
Lécriture du poème,
notamment à travers la recherche dune pureté
et dun dépouillement toujours plus grands,
permet-elle daccéder à un certain détachement
à légard de la réalité,
à une plus grande acceptation du monde tel quil
est ?
Non, je crois quaucun poème
ne peut avoir pour effet sur son auteur (sinon très
passager, juste une halte) de guérir une blessure,
de mener à un détachement ou une acceptation
dune réalité qui fait mal. Je me souviens
de ces vers écrits il y a longtemps déjà,
et qui restent si vrais :
Sil est au monde une souffrance
Je suis en elle
Or le monde daujourdhui,
dont nous connaissons bien mieux qualors les multiples
souffrances, ne peut que nous rendre plus proches et plus
solidaires encore. Mais le fait de pouvoir extérioriser
et partager cette souffrance est en effet quelque chose
que la poésie peut apporter.
Est-ce que lévolution
de votre travail poétique (et de votre perception
de la poésie en général) sest
faite en lien direct avec un cheminement spirituel ? Cette
double quête se trace-t-elle comme un unique chemin
initiatique ?
Il est certain que le cheminement
spirituel a joué un rôle majeur dans lévolution
de ma poésie, même si jai le sentiment
que cest dans lombre et sans une participation
ou une volonté consciente de ma part. Mais je ne
parlerais pas de chemin initiatique (un terme
qui peut être mal compris). Je dirais que la poésie,
comme une éponge, a été imbibée
de ce que je vivais intérieurement.
Est-ce que votre conversion au
catholicisme a été une ouverture permettant
une liberté plus grande dans le travail poétique
également ?
Oui, certainement. Jai eu limpression
de rejoindre un monde où la poésie, telle
que je laimais, telle que je la portais en moi, était
enfin chez elle. Dans la sensibilité catholique,
je crois quil y a quelque chose de beaucoup plus dilaté,
de plus ouvert que dans la sensibilité de Calvin.
Peut-être que cela est également lié
au fait que ma mère était alsacienne, dune
ascendance catholique.
De quelle manière votre
lecture des mystiques (je pense notamment à Jean
de La Croix, Thérèse dAvila, St-François
dAssise) a-t-elle nourri votre travail poétique
?
Je ne saurais le dire. Elle ma
nourrie dune manière très obscure sans
doute, qui mest restée cachée à
moi-même, et que je ne pourrais définir.
Est-ce la foi qui aide lécriture
ou lécriture qui nourrit la foi (ou les deux
à la fois) ?
On peut penser que ce sont là
les deux béquilles de lâme. Moi, je dirais
plutôt : les deux flambeaux.
Certains poètes, de langue
française ou dautres langues, ont-ils eu une
importance particulière pour votre propre travail
poétique ?
Pour mon travail poétique
proprement dit, je ne pense pas. Mais les poètes
que jai lus ont certainement agrandi mon champ de
vision, mont ouvert le monde et mont permis,
à certains moments en tout cas, de me sentir moins
seule et proche, à travers le temps et lespace,
de civilisations et de cultures qui ont été
pour moi source de richesse. Racine a joué un grand
rôle au moment de ma scolarité, de même
que Hugo, dont javais lu
toute la Légende des siècles. Jai
lu beaucoup de poésie à cette période
de ma formation, cela a été un apport de toutes
sortes de façons. Puis jai découvert
les poètes contemporains, les Portugais, les Anglais,
et les Espagnols, comme Lorca.
Pour la Revue de Belles-Lettres,
vous venez de traduire des poèmes de Cristovam Pavia,
un poète portugais que vous avez connu. Quest-ce
qui vous a poussée à choisir cet auteur ?
Jétais entrée
en contact avec Cristovam Pavia en 1966, grâce à
un ami avec lequel il correspondait, et qui mavait
demandé denvoyer à Cristovam Pavia lun
de mes livres. Ce fut Le Petit
Pré, et le début dune amitié
dune qualité rare, avec un être souffrant
dune terrible maladie psychique, qui a fini par le
détruire, à bout de résistance, en
octobre 1968. Nous ne nous sommes jamais vus. Il était
poète et se nourrissait de poésie, de musique
aussi. Il ma fait découvrir la poésie
portugaise et brésilienne, en menvoyant des
dizaines de livres remarquables. Pour pouvoir les lire (en
partie du moins !), jai appris le portugais.
Vous avez également traduit
les poètes portugais José Regio et Manuel
Alegre. Avez-vous traduit dautres auteurs? Le travail
de traduction poétique vous semble-t-il proche de
celui de la création ?
Pour moi, le travail de traduction
na été quoccasionnel, correspondant
à quelques coups de coeur. Le grand poète
José Regio était un ami proche de Cristovam
Pavia. Mais peut-être aussi que ma vie bien remplie
de mère de famille ne maurait pas laissé
le temps den faire beaucoup plus ou alors aux
dépens de ma propre création, que jai
toujours pris soin de protéger. Je ne suis pas partie
au Portugal pour apprendre la langue, je lai apprise
par les livres que cet ami menvoyait. Jai découvert
le Portugal il y a deux ans, lorsque jai été
invitée à travailler à des traductions
de mes textes pendant six jours avec six traducteurs, dans
le superbe palais de Mateus près de Porto. Une traduction
collective vient de paraître à Lisbonne sous
le titre de O proximo voo das
aves (Le prochain vol des oiseaux), aux éditions
Quetzal.
Propos recueillis par Mathilde
Vischer
Février 2001
Bibliographie
Derniers ouvrages parus
-Poésie (1960-1986), LAge
dHomme, Poche Suisse, Lausanne, 1982.
-Le Joueur de flûte, Empreintes, Lausanne, 1994.
-Oeuvre poétique (1952-1994), LEscampette,
Bordeaux, 1996.
-Mise en voix, in Arts poétiques, La Dogana, Genève,
1996.
-La Voie nomade, MiniZoé, Genève, 2000.
-Poésie prétexte, trois soirées autour
dAnne Perrier par
Frédéric Wandelère, A. Lévèque,
J.-P. Jossua, La Dogana, Genève, 2000.
-LUnique Jardin, Bernard Blatter, Montreux (hors commerce)
avec sept gravures de Palézieux, 1999.
Page d'auteur - Anne
Perrier
Page créée le 01.02.01
Dernière mise à jour le 01.02.01
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