je suis incapable de compassion envers
ceux qui partagent mon supplice ; des lampes s'allument et
s'éteignent, des ombres se ramassent puis se détendent,
comme des portes arrachées à leurs gonds
la machine mélange les noms
aux déjections de ceux qui meurent
tes seins, ton nombril, ton sexe, je
les cloue sur le Y de cette feuille
du mal qui grandit ou du corps qui
retient, lequel est plus violent ; les pieds emballés
tapent sous leurs linges
je n'accepte pas de payer le prix en
chair, une existence entière à pisser du sang
je ne sais pas, je me suis trompé,
je ne veux plus me défendre
le mal est peut-être bien le
vivant de la blessure ; une effraction crasseuse macule la
racine de vieil émail
un oeil s'ouvre, il voudrait faire
la somme des tendresses partagées, qui n'affirment
rien et survivent
l'angoisse est telle que je vomis et
défèque en même temps
je ne crois pas en la supériorité
de la parole sur les autres formes de vie
fredonner plutôt qu'écrire
; ce murmure fait du bien, il s'élève ; la mort
retourne l'insomnie
il est trois heures, je respire doucement,
alternant les tranches de bitume et d'air ; je n'ai rien dit
; j'ai lancé une pierre en fermant les yeux ; ce silence
me rassure, il fait écho à la mort ; la chambre
se tient dans la tiédeur
j'ai beau faire, je ne trouve aucun
sens à cette clarté dont le vent se charge en
survolant les marées ; suis-je sorti du sommeil, ai-je
même entrevu cette terre
j'oublie que quelqu'un me trouvera
bientôt, le regard fiché dans le lambris ; je
tente de me représenter mon cadavre ; je n'y parviens
pas ; mais cet échec soulage la mélancolie qu'il
interrompt ; on ne dit pas des fruits qu'ils meurent, ni qu'ils
sont détruits ; ils tombent innocents sur le temps
qui se brise
une chasse d'eau est tirée sur
le palier ; les ordures circulent, s'enroulent des bords vers
le centre ; le plancher rétrécit
quelque chose a encore la force de
ramper ; un très jeune enfant traverse la chambre ;
sa grosse tête se balance d'avant en arrière,
on la dirait sur le point de tomber
la maladie s'en va dans l'écriture
il n'y a pas d'énigme à
la source des fleuves ; je regarde, sans comprendre, ni sentir
vraiment, le va-et-vient de ma main sur mon sexe ; je dénie
au langage le droit d'être aimé
*
l'avant-dernière image du livre de Shelomo Selinger
montre un nourrisson déchiré par un rapace
*
à nouveau la machine pivote
sur son axe, des lames d'acier recouvrent les fenêtres
; le peu de forces qui restent paraissent immenses, tant elles
sont inutiles ;
un poing est enfoncé dans la
gorge, un autre force l'anus ; je pivote, bras et jambes écartés
dès que je peux, lorsque les
poignets ne sont pas truffés d'aiguilles, j'ouvre le
livre d'images
j'essaie alors de reprendre l'histoire
de la petite personne recroquevillée à l'intérieur
de chacun ; l'exposition des faits tiendrait en quelques lignes
mais la première syllabe heurte
comme un écrou, tiré à bout portant par
une fronde de chasse
parler diffuse une misérable
lumière ; je préfère boire mon sang au
chocolat
devenu inutile au langage, je répète
doucement le prénom de ma mère, Roswitha, Roswitha
ce n'est pas une trêve que j'implore,
mais la maîtrise du combat
la douleur, légère barque
d'os, me conduit tout à coup ; je perçois à
nouveau mon rapport au langage ; le corps, soudain rajeuni,
vulnérable au regard, se tient debout dans les fougères
Homestead, septembre
© Philippe Rahmy 2006
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interdite
Page créée le 14.11.06
Dernière mise à jour le 16.11.06
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