Philippe Rahmy
Mouvement par la fin. Un portrait de la douleur,
préface de Jacques Dupin, Le Chambon-sur-Ligno, Cheyne, 2005,
pp. 60
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Philippe Rahmy
dans nos pages consacrées aux auteurs
de Suisse.
Philippe
Rahmy / Mouvement par la fin |
ISBN2-84116-098-X
|
Mouvement par la fin,
titre du livre, mouvement à rebours de l'écriture
qui commence avec l'instant de la mort pour remonter
le cours de l'éclat et de l'éclatement
d'un corps harcelé par les attaques d'un mal
inflexible. Mouvement par la fin, une fin de non-recevoir
qui, s'écrivant, se donne et se projette, appréhendant
l'issue que le mouvement appelle en la révoquant
- et dont il procède par le "par"
qui l'enjambe et qui la dénie. [
] Notes
d'un journal anachronique, échardes arrachées
au corps souffrant, étincelles dispersées
dans l'air. Très loin de toute complaisance
narcissique, ce portrait de la douleur est un constat
transcrit jour après jour de ce que le corps
et l'esprit endurent dans l'épreuve. La notation
réaliste au plus près, au plus précis,
s'ouvre sur le dehors, s'exalte de la contemplation
de la mer ou de la nuit, d'un arbre, d'un nuage, de
l'envol d'un épervier au-dessus des murs. L'enchaînement
des crises, des soins éprouvants, des injections
n'en finit pas de renaître en jetant de sourdes
lueurs, en provoquant l'exorable montée de
la lumière. Décantation qui soudain
cristallise et desserre l'oppression. Le corps supplicié
réinvente pour se maintenir éveillé
l'échappée de la fenêtre ouverte
et l'espace réconcilié.
Jacques Dupin (extrait
de la Postface)
Philippe Rahmy, Mouvement par
la fin. Un portrait de la douleur, préface
de Jacques Dupin,
Le Chambon-sur-Ligno, Cheyne, 2005
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Présentation
de "Mouvement par la fin"(André
Wyss) |
En septembre 2004, le Culturactif présentait des
passages inédits de
Mouvement par la fin. Le livre existe aujourd'hui,
et nous en sommes particulièrement heureux, tant
il est profond et étonnant, et parvient à
parler à la première personne de douleur vécue
sans une ombre de complaisance, ni de narcissisme: bien
au contraire, la fraternité, au cur de ce texte,
le rend amical au sens le plus fort, le plus dense de ce
mot.
Nous le présentons aujourd'hui à travers le
postface de Jaques Dupin et un texte d'André Wyss
: professeur de littérature française à
l'Université de Lausanne et ami de l'auteur, André
Wyss est aussi le dédicataire de Mouvement par
la fin.
Philippe Rahmy - Mouvement par
la fin
" Comment vivre avec une maladie
qui, depuis l'origine, vous enchaîne à la douleur
?" En écrivant, et en choisissant, pour écrire,
ce qu'il y a de plus altier, de plus maîtrisé,
de plus tenu ! Et puis aussi : de plus dur, de plus cru,
de plus " réaliste " - mais toujours tenu,
maîtrisé, par là altier. Philippe Rahmy,
qui écrit depuis quelques années sur remue.net
des chroniques dont la hauteur de discours et la profondeur
de pensée l'estampillent écrivain, publie
enfin son premier livre, et même si c'est la douleur
qui l'a fait écrire, et qu'il voulût être
" vrai ", il ne pouvait évidemment s'y
contenter de témoigner, il lui fallait d'abord écrire.
C'est dire que son livre, qui oscille entre journal intime
et poésie, ne saurait appartenir à une "
littérature " de témoignage, qui dit
ce qui est, il ressortit à une littérature
qui témoigne, j'entends par là une écriture
qui ne témoigne qu'indirectement, par sa littérarité
même.
Car " Mouvement par la fin "
est à la fois titre et contenu du livre : cela
parle d'un mouvement par la fin ; c'est un mouvement
par la fin. L'auteur l'explicite : " Mon existence
est un mouvement par la fin. " Il dit : " Venez-moi
en aide, j'ai mal " ou " Je crie cette parole
", et la bonne âme en nous voudrait en effet
aider ou écouter, mais il dit surtout " Je suis
dans un sac " et " Là où je me tiens
le silence me limite. L'instant de la mort se refuse, toujours.
Il est la profondeur sensible du ciel ", et il n'y
a plus de question, nous sommes devenus lui, par la force
de la parole littéraire.
Liseur de ce que la poésie
s'autorise de plus difficile, lecteur de ce que la philosophie
pense de plus complexe, Philippe Rahmy ne peut donner d'écriture
que ce qu'il y a de plus dense et de plus élaboré.
Il en a le droit, plus que personne. Aussi son livre contient-il
sa propre critique et son propre commentaire : " Mouvement
par la fin est un visage sans trait " et "
Un portrait de la douleur est un récit d'absence
" ou bien " Comment ce tableau donnerait-il une
idée de mon quotidien ? Je ne m'y risque pas, comme
je n'écris pas pour donner le sentiment de mon unicité.
" ou " Je veux encore dire que
",
mais c'est pour finir sur l'image : " A mesure que
je m'éloigne de la lumière, je m'enfonce davantage
en elle ".
Comme on voit, le paradoxe ne gêne
pas cette parole, il la féconde. La première
phrase de Mouvement par la fin en est un
Je me résous à parler
puisque cela aussi sera emporté.
ou serait-ce un sophisme ?
La dernière phrase de Mouvement
par la fin est équivoque et grave :
Séparé de mes dernières
paroles un rien demeure, glisse ma main sur sa racine terrestre,
adieu.
Equivoque dans sa structure syntaxique
(" ma main " est-il sujet ou complément
de " glisse " ?) et grave dans son image. Poète,
Philippe Rahmy accepterait donc l'augure d'une parole vaine
? Philosophe, il donnerait les mauvaises raisons - mais
poétiquement, ce sont les seules bonnes. Paradoxe,
équivoque, nous sommes dans la pensée, de
façon permanente, et dans la littérature,
qui seule peut faire que cette pensée soit pour nous.
La parole ne sert à rien,
ne peut rien - pourquoi parler ? Parler, quand " je
ne trouve pas davantage de lumière dans ce que j'écris
que dans ma vie. Pourtant nul autre lieu n'est possible
qu'entre ces deux échecs où se renouvelle
un peu de l'innocence terrestre ". Il faut être
poète (blanchotien ?) et philosophe (rimbaldien ?)
pour qualifier d'échec sa vie et son écriture
quand on écrit comme Philippe Rahmy sur sa vie comme
elle est : à qui pourrait-il parler pour dire juste
ou pour dire vrai, cet homme que la douleur isole ? Mais
aussi, comment pourrait-il ne pas parler, lui en qui la
douleur s'est incarnée comme le seul indubitable?
Partant, le livre est adressé
dès son début : " Ce corps est un angle
où ton regard se déchire. Dans sa plaie il
vit. / La tête te fixe. " Plus d'une fois, ce
" tu " fait retour, et sans que l'on décide
jamais si cet allocutaire ne serait pas tout simplement
le double du locuteur, nous nous sentons apostrophé.
Interpellation, aussi, dans une façon de dire les
choses comme elles sont : " Le pot sous mes fesses
s'est renversé entre mes cuisses ". Interpellation
encore dans la rudesse du langage : " Le sternum est
découpé pour une intervention sur le cur
qui bat un rythme de métal. Un tuyau jaune-guêpe
est planté dans la gorge, il crache des antibiotiques
à l'intérieur d'un ventricule ".
Philippe Rahmy, dans ce " portrait
de la douleur " ne peut pas dire autre chose que la
douleur. Mais, à nous qui n'avons de douleurs que
si petites, que peut-il nous dire qui soit simplement commensurable
? Aussi le livre n'a-t-il pas à nous communiquer
quoi que ce soit. Ces adresses ne sont finalement pas pour
nous. Mais oui bien l'image et le rythme qui nous appellent
irrésistiblement vers tout ce qui n'advient qu'ici,
dans le langage de Philippe Rahmy. Nous l'accompagnons,
hébétés, haletants, mais guidés
par un lyrisme qui culmine dans les dernières pages.
Car ce mouvement est aussi
vers la fin. Par là (son lyrisme, son rythme
qui ne ressemble à pas un autre), ce livre est de
la poésie : " N'as-tu jamais attendu l'ange
du matin ? " ou bien " Une rose se perd dans chaque
baiser. Repose, repose le temps et pose ta fleur "
ou encore " Voici l'étendue où la nuit
ne vient jamais. " Et ce livre est sapiential - "
Amour est moins fort que douleur. Depuis toujours. ",
" Rejoins cette plus juste personne que tu es dans
la douleur " - et prophétique : " Le silence
est au-dessus de la pauvreté des hommes. / Pour qui
souffre, la beauté est toujours spirituelle. Heureux
qui donne son assentiment à la douleur, il fait de
sa mort une prière ". Et plus bas : " Incise
l'amour, soulage la joie, disperse au milieu des espaces
la déploration comme le désir. "
C'est un livre enfin d'une tension
que chaque page augmente, arquée des premières
jusqu'aux dernières lignes. Livre bref, qui a pourtant
le souffle et le mode d'avancer des uvres les plus
longues, Tristan und Isolde ou symphonie de Bruckner.
Mais c'est fait de notations aussi, comme dans un journal
intime ; le fragmentaire n'est pas empêché
par cet arc tendu, ni ne l'empêche, et l'on pense
alors, par l'âpreté du propos et par l'âcreté
du discours, à des choses, longues encore, mais qui
sont habitées de raptus : Variations Diabelli,
improvisations de Keith Jarrett ou peut-être de Frank
Zappa.
Mais à quoi bon ces rapprochements
oiseux, qui ne valent que pour celui qui les formule, si
ce petit livre dense, compact, unique a tout ce qui importe,
l'acceptation d'affronter le terrible vrai dans une parole
à risque, la seule vraie, la parole travaillée
par l'écriture : la poésie.
A bientôt, on l'espère,
la poursuite d'une uvre qui commence aussi bien !
André Wyss
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Revue
de presse |
"La maladie ressemble à celui qu'elle a frappé",
écrivait Jean Reverzy dans Place des Angoisses.
C'est au roman du médecin lyonnais que je pense en
lisant l'ouvrage de Philippe Rahmy, lequel débute
par ces mots : "Je me résous à parler
puisque cela aussi sera emporté." Etrange incipit
! Le début de la fin ! Par la fin. L'auteur est atteint
de la maladie des os de verre. De son supplice, il a tiré
ce livre. Sublime. Peut-on sublimer un supplice ? Il l'a
fait, simplement, écroué sur son lit sans
barreaux, mais pire :
"Mon lit porte un corps à peine redressé.
Ce corps est un angle où ton regard se déchire.
Dans sa plaie, il vit."
Description clinique des interventions successives qui torturent
et assistent
"Un corps d'où je peux écrire...
A force de souffrir le discours s'élabore, esprit
venu sur les déplacements du ciel.
... Mon corps est un éclat de verre. Alors que j'écoute
mes os se briser je perds la vue, la parole."
Mouvement par la fin est un
livre premier. Un livre unique comme j'aurais pu le dire
d'Une saison en enfer quand, adolescent, j'en fus
bouleversé. L'auteur tire de lui-même le champ
de son expérimentation à vif comme il en tire
le chant de l'enfer vécu qu'il décrypte :
"Mouvement par la fin est un visage sans traits...
Un portrait de la douleur est un récit d'absence.
L'expérience incommunicable,
à la fois la plus intime et la plus partagée
qui oppose celui qui souffre au reste de l'humanité
mais rend identique le frère et l'étranger,
la douleur me fut offerte au lieu de la vie..." Un
souvenir résume l'enfance du poète: "Enfant
qu'une caresse suffisait à briser, j'ai grandi sous
un casque sanglé à un matelas." Et ce
mal génétique qui prolonge la croissance en
survie se cristallise en la formule récurrente du
titre explicitée : "Mon existence est un mouvement
par la fin ; je donne mon assentiment au démantèlement,
le mien, qui va l'amble avec celui d'autrui et souvent plus
vite que celui des choses."
[...]
Paradoxe presque inconcevable et pourtant convainquant :
"... le malade fait magie de sa souffrance, il ne peut
être secouru. C'est lui qui porte secours." Elan
existentiel comme preuve à l'appui : "J'aime
le mal pour ce qu'il m'ôte d'irréalité..."
L'écriture s'impose tel un
exorcisme, une prière en soi, en prise directe sur
le corps pantelant, le mal omniprésent à jamais
invaincu : "Ecris : toute parole craie porte en elle
sa possibilité... Ecrire n'est possible qu'en attente
d'infini."
Il y aurait ici quelque obscénité
à parler de bonheur d'écriture. Vrai et, mieux
encore, unique, ce livre relate une aventure humaine immobile
- le mouvement est interne -, celle de la vulnérabilité
tortionnaire : "La crise finit. Les yeux crevés
laissent couler l'esprit. Lampes de sang écrasées
sous les blocs." Genèse à rebours. Le
corps devenu livre, telle est la philosophie de cette initiation
dévastatrice par laquelle "la douleur accomplit
sa mue, elle termine par le Verbe".
[...]
Ménaché
Remue.net
Lire l'article
complet de Ménaché sur remue.net
[...]
Pas de pathos, pas non plus de descriptions cliniques, ou
alors transcendées par la précision et la
violence de la langue. Pendant qu'il "écoute
ses os se briser", "il pleut des barbelés".
Il vit avec sa douleur comme avec une personne, un alter
ego, exigeant, jaloux, qui ne lâche jamais mais sait
parfois se transformer, "esprit légitime du
corps qu'elle détruit" : c'est elle qui décide,
interdisant toute transcendance. Mais dans les étroites
limites qu'elle lui assigne, il parvient à "accéder
au temps immobile d'une souffrance exprimable".
[...]
Isabelle Rüf
16 avril 2005
Surgissant d'un corps cloué
à un lit d'hôpital, veiné de drains,
étouffé de bandages, la parole monte comme
une bulle d'air pour venir éclater à la surface.
"J'écris de mon corps." Comme on
écrirait de loin. Tant la douleur isole le malade
du reste du l'humanité. Mouvement par la fin
est le journal d'un corps souffrant, entré dans la
vie par ce qui normalement l'achève : l'agonie. "La
douleur me fut offerte au lieu de la vie." Les
mots s'écoulent en gouttes brûlantes jusqu'à
la main qui les transcrit. Ils font mal à lire. Et
pourtant, au moment où l'oppression se fait si forte,
ils s'échappent soudain au grand air. "Je
vois par la fenêtre ma liberté aussi joyeuse
que moi."
[...]
Lise Beninca
Le Matricule
des Anges
Juin 2005
On peut toujours, face à la
souffrance des autres, adopter la politique de l'autruche,
ne rien voir, ne rien entendre. On peut toujours, face à
la souffrance des autres, se replier sur soi-même,
fermer son esprit et son coeur et attendre à l'abri
de la contagion, qu'elle s'éloigne, elle et ses noirs
frissons. On peut toujours se réfugier dans les églises
et dans les temples, brûler des cierges et crier grâce,
donner des sous, se faire tout petit, tout petit, la souffrance,
celle des autres, est un spectacle qu'on comprend mal, qu'on
accepte du bout de l'âme, qu'on tolère mais
pas longtemps. C'est dans l'ordre de la vie qui va, qui
vient, à la merci du destin qui rit de nos misères.
Seulement voilà, le destin a beau faire, il ne gagne
par à tous les coups, enfin, pas totalement, et c'est
pourquoi, quand par hasard il trouve à qui parler,
quand la souffrance des autres devient une musique, une
ode, un tableau en trompe l'oeil, alors cette souffrance,
illuminée par le talent de l'homme qui s'en inspire,
parvient à nous comme un cadeau qui vaut tout l'or
du monde.
[...]
Comme le dit Jacques Dupin dans sa superbe postface : "de
là, en deçà, ici, la douleur est un
regard. Un regard qui se reconnaît, qui s'approfondit
et s'allège quand les mots qui le traversent crissent
sur le papier." Et J.-M. Barnaud d'ajouter : "Ce
livre n'est pas une leçon ; il dit seulement, avec
la plus grande justesse, la simplicité d'une vie
rendue à son innocence, et qui s'offre fraternellement
aux autres comme une main tendue, selon l'expression par
laquelle Paul Celan caractérisait le don du poème."
"Mouvement par la fin",
petit bouquin qui grandit l'homme, est là, à
la portée de main, à portée de coeur,
précieux lorsque l'esprit envahi par la brume se
fait des idées noires pour par grand-chose au fond
et des fois même pour rien. C'est, je le répète,
venant d'une vie qui se déséquilibre, un fabuleux
cadeau que nous fait Philippe Rahmy : "Souffrance
ou miracle de beauté ? Présence du réel
dans les vagues et par-dessus l'étendue, le phare,
force vacante et destinée. La nuit tourne avec le
ciel, emportée par ses rayons, l'infini dans cette
seule étoile et toute la douleur."
Michel Guillon
Nord-Est Hebdo
13.05.05
Page créée le: 13.06.05
Dernière mise à jour le: 14.06.05
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