La parole à l'invité...
Passé
Lausanne Jardins '97
Présent
Nicolas Bouvier
Une exposition
Deux livres
Un CD
Avenir
Un film de Françis Reusser
"Guerre dans le Haut-Pays"
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Le vent des routes
Ce petit livre devait initialement
être offert à Nicolas Bouvier en mai 1998, à
l'occasion de l'exposition "Le vent des routes"
qui lui était consacrée. Les textes qui le composent
sont désormais devenus autant de lettres adressées
à l'ami qui a franchi "la dernière douane".
(extrait de la quatrième de couverture)
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Extrait de vent
des route : L'hommage de Jean Starobinski
Docteur en lettres et en médecine,
le fameux essayiste et critique littéraire
fut le maître et l'ami de Bouvier
Vocation: voyageur. Métier:
photographe et iconographe c'est-à-dire
rassembleur d'images. Et pour faire le lien entre
tout cela: écrivain. C'est ainsi qu'une
fiche d'identité sommaire énumérerait
les divers travaux de Nicolas Bouvier.
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Il faudrait d'ailleurs aussitôt
ajouter que tous ces travaux, il les a pratiqués pour
vivre, en prenant vivre dans tous les sens du terme et d'abord
dans le plus large. C'est-à-dire pour y faire vibrer
et consumer une existence. Nul ne m'a fait penser autant que
Nicolas Bouvier à la source lexicale qui établit
la parenté entre le français travail et l'anglais
travel. L'étymologie lointaine, commune aux deux termes,
est le latin populaire tripalium, qui désignait la
«machine où l'on assujettit les bufs, les
chevauxdifficiles pour les ferrer», par extension l'
«instrument de torture «Or Nicolas Bouvier écrit:
«Si on ne laisse pas au voyage le droit de nous détruire
un peu, autant rester chez soi». Le «Poisson scorpion»
I'atteste: ce traveller-travailleur a consenti à passer
par les tourments. Un aiguillon délicieux et douloureux
lui a fait rejoindre les «étonnants voyageurs»
évoqués par Baudelaire, qui sont «ceux-là
seuls qui partent pour partir», en s'enivrant «d'espace
et de lumière», pour en tirer un «amer
savoir».
L'usage du monde, pour Bouvier, c'était
donc aussi l'usure de soi. Il voulait savoir jusqu'où
il pouvait aller. Car aller au bout de la route et aller au
bout de soi, c'était un tout pour lui. Après
quoi, il lui importait de se ravoir, de revenir à soi,
mais décapé, rendu au sens des proportions de
l'humaine condition, qu'il reprochait aux sédentaires
de perdre trop souvent. Il I'a répété:
ce qui l'incitait à partir, c'était le besoin
de ne pas s'émousser, I'impatience de quitter le bien-être
quotidien, la somnolence qu'induit le confort. Le départ
était une mise en alerte, le commencement d'un rapport
constamment à vif avec le jour et la nuit, les humeurs
du ciel, I'état de la route ou de la piste. Une multiplication
de l'attente par le mouvement. Il a souvent cité cette
phrase d'Emerson: «Nous avons droit à ces élargissements
et, une fois ces frontières franchies, nous ne serons
plus jamais les misérables pédants que nous
étions. »
En quoi il ne se sentait pas une exception
parmi ses concitoyens. Il l'a très bien dit dans l'«Eloge
de la Suisse nomade» par quoi s'ouvre «L'Echappée
belle». Car il pouvait se réclamer d'une belle
lignée de prédécesseurs, depuis le petit
chevrier Thomas Plater qui sillonna l'Europe du XVIe siècle
avec les bandes d'écoliers. Les chassés du nid,
les aventuriers, ceux qui n'avaient d'autre ressource que
de s'enrôler au service étranger, Bouvier s'en
est voulu le frère. Rien, certes, ne l'y obligeait.
Simplement, il respirait mieux dans l'ignorance des lendemains
qui lui seraient imposés, sur des routes parcourues
avec peu de bagages. Quels logis, quelles odeurs, quels visages?
C'était vivre à la dure le tranchant de l'instant,
selon le principe absolu de la halte «chez l'habitant»...)
Le monde dont Bouvier nous parle a
été, en bien de ses parties, recouvert depuis
lors par un autre monde: plus brutal, plus monotone, crispé
sur des nationalismes destructeurs, à la fois plus
délabré et suréquipé pour l'exploitation
touristique. Ces livres vont nous devenir précieux
parce qu'ils portent témoignage sur une face de la
terre qui ne peut plus être vraiment revisitée.
Ceux qui voudraient imiter Bouvier retrouveront-ils le même
grand large? A regarder les cartes, l'on frémit en
voyant aujourd'hui s'étendre des zones grises - zones
de guerre, ou d'intégrisme, ou de trafics criminels
- sur les routes où Nicolas Bouvier et Thierry Vernet
avaient connu les antiques coutumes de l'accueil. Pour nous,
ce qui fut l'actuel brûlant de leur voyage s'est transformé
en regret. (...)
Il y eut d'autres voyages encore. Dans
les réserves des bibliothèques, dans les archives
des photographes, à l'affût des images. La prière
hérétique «Induis-nous en tentation»
appelle toutes les séductions du visible. Bouvier fut
récompensé par des trésors. Et nous lui
savons gré d'avoir partagé ses émerveillements.
Il m'avait demandé d'écrire,
pour le «grand public», une «Histoire de
la médecine », dont il avait accepté de
fournir l'illustration. Je fus séduit par l'idée
de faire uvre commune avec lui. Il trouva des documents
surprenants. Mais la hâte de l'éditeur, et les
décrets d'un maquettiste souverain nous empêchèrent
d'ajuster texte et illustrations selon nos désirs.
~ en resta l'espoir commun de tenter une nouvelle aventure
en maîtrisant mieux, à deux, la forme du livre.
Il devait s'agir d'une sorte de voyage à travers différentes
représentations du corps humain. Nous en reparlions
à chaque nouvelle rencontre. Cela restera un rêve.
Jean Starobinski
«Car aller au bout de la route
et aller au bout de soi, c'était un tout pour lui»
Jean Starobinski
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A l'occasion de l'exposition "Le
vent des routes" l'association "Montagnes du monde"
a édité en collaboration avec les Editions ZOE
un livre remarquable:
Entre errance et éternité
Regards de Nicolas Bouvier sur les montagnes du monde
Avant propos de Pierre Starobinski
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De 1993 à 1996,
Nicolas Bouvier a présenté quatre
expositions de photographies sur le thème
des montagnes. Le poète-iconographe a fait
siennes quatre approches universelles: les montagnes
du monde, I'homme et la montagne, I'eau et la
montagne et pour clore le cycle, les chemins et
les cols de montagne. Les images de trente-cinq
photographes ont permis d'illustrer les quatre
volets de cette recherche.
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Ces photographies ont été
exposées en plein air, à deux mille mètres
d'altitude. Dans un jeu de miroir, les montagnes environnantes
répondaient aux montagnes du monde sélectionnées
entre mille. Aux paysages, le paysage renvoyait son écho,
invitant le visiteur à une triple lecture: celle de
l'espace immédiat, de la photographie et des mots conviés
par le poète à souligner le travail de l'il.
Nicolas Bouvier nous invite à
découvrir une montagne sublime et rude, intemporelle
et fragile en une entreprise moins innocente qu'il n'y paraît.
Les images se succèdent, se superposent dans notre
mémoire, peuplent notre imaginaire; déjà
le présent modifie ces paysages, emporte les personnages,
efface les traces.
Pierre Starobinski
Postface de Bernard Crettaz
Les citadins ont conquis la montagne
pour en faire un vaste terrain de jeu, selon l'expression
infiniment ressassée. Avec passion, frénésie,
corps à corps, esprit de bataille, des envahisseurs
venus de la ville sont montés à l'assaut des
parois, des murailles et des cimes cependant que, plus bas,
dans les alpages et les vallées, ils installaient l'espace
immense du loisir de masse. Et l'on sait aujourd'hui que,
sous la nuance rose du développement ou verte de l'écologie,
cet espace pourrait devenir le plus grand Disneyland grandeur
nature.
Les mêmes citadins ont écrit
leur histoire de la découverte des Alpes, affirmant
sans cesse qu'il fallait les lumières de la ville pour
vaincre les prétendues terreurs des indigènes
face à la montagne. Et l'on sait que du XVllle siècle
à nos jours, ce stéréotype et cette fabrication
urbaine qui faisaient du montagnard un être peureux
et craintif face à son milieu, ont été
soigneusement entretenus par une littérature à
prétention scientifique.
Pourtant, c'est vers la tradition de
là-haut que se sont tournés ces citadins lorsqu'ils
ont cherché avec nostalgie une vraie montagne sous
celle qu'ils avaient conquise. Alors, interrogeant tout autrement
le monde des primitifs, passant de l'indigène arriéré
à l'exotique sublimé, ils ont demandé
aux légendes, aux mythes, aux symboles et aux religions
ancestrales, la trace d'une montagne qu'ils croyaient universelle
et éternelle.
Au cur de tant de manipulations
et de contradictions où peut se loger encore une démarche
de quelque authenticité? Elle est là où
l'être humain, qu'il soit urbain ou montagnard, sait
se faire tour à tour poète, savant, moine, passeur
de cols, quémandeur de sacré interrogeant les
signes de l'origine pour y déceler la trace d'une voie
possible vers l'initiation. De cette authenticité relève
la démarche de Pierre Starobinski et de Nicolas Bouvier.
Le premier, responsable touristique à Leysin, a fait
appel au second pour surimprimer sur les montagnes touristifiées
l'écho de la montagne originelle. Pour n'être
pas simple célébration nostalgique, leur oeuvre
commune doit être vue comme reflet fragile de la montagne
fondamentale dans les plis du théâtre alpin d'aujourd'hui.
Bernard Crettaz
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