Entretien avec Marion Ciréfice,
instigatrice et responsable
de " Par-dessus le mur, l'écriture "
Le Culturactif : Après
trois éditions, et pendant que la quatrième
prend forme, êtes-vous déjà à même
de tirer un bilan ?
Au vu des récentes votations,
par lesquelles la France a refusé d'adopter la Constitution
européenne, je suis plus convaincue que jamais de la
nécessité de tels projets, qui témoignent
d'une démarche citoyenne d'implication - une démarche
qui consiste à se raconter des histoires ensemble.
Le mot " ensemble " prend ici encore plus de sens,
mais cela requiert du travail que de lui donner tout son sens
- dans une époque de replis dus à des peurs
qui ne trouvent pas d'autre lieu où s'exprimer. Je
suis convaincue que notre place est aujourd'hui sur les frontières,
pour en faire des lieux de passage. En ce qui concerne les
zones de montagne, et notamment l'arc jurassien, je pense
que la communication était paradoxalement plus aisée
et plus naturelle par le passé qu'elle ne l'est aujourd'hui.
La montagne était aussi plus habitée.
Les expériences passées
ont elle contribué à donner une forme différente
à cette dernière édition, ou pour le
dire autrement, en quoi cette édition manifeste-t-elle
sa valeur de " cérémonie de clôture
" ?
Le projet contient depuis sa naissance
plusieurs objectifs. L'un de ceux-ci était de travailler
sur la relation entre la voix et le paysage, le texte et le
paysage. Petit à petit, cet aspect est devenu nettement
central, et nous avons peu à peu gommé d'autres
aspects que nous pensions développer à l'origine.
Au départ en effet, je comptais diversifier les approches,
et travailler aussi dans le domaine des arts plastiques, de
la musique, de la mise en scène. Mais nous avons en
fait simplifié toujours plus, pour mettre le participant
face au paysage et à la voix, parce que c'est là
l'essentiel, la magie qui fait l'événement.
Même si ça ne peut pas toujours marcher. La première
année, ça a marché. La deuxième,
ça n'a pas marché. Nous nous sommes demandés
pourquoi, et avons conclu que nous nous étions étalés
sur trop de lieux, dans un trop grand espace. Il faut une
unité de lieu, même dans une manifestation qui
prévoit que l'on marche et se déplace, que l'on
se croise
Cette dispersion a mis les participants dans
une situation d'insécurité, ne sachant plus
où aller, où s'arrêter. Et il y avait
plus généralement une trop grande diversité
à l'intérieur des " Pérégrinations
". Même si, comme l'a dit Jordi Bonells lors d'une
rencontre avec des élèves ce printemps : "
La consigne, c'est d'avoir tous conscience que nous prenons
tous un risque "
Un autre objectif de la manifestation
est d'ordre artistique et expérimental. Il a pris dès
2002 la forme de la résidence d'auteur, notamment :
Yves Laplace a tiré de sa résidence le livre
Un mur cache la guerre, qui s'est fait très
rapidement. En 2003, c'est Fabienne Pasquet qui était
l'auteur en résidence ; nous avons cherché a
intensifier ses contacts avec la population locale, et en
effet elle en a eu beaucoup. Et même trop. Ça
a pris trop de place, et les contacts ont pris le pas sur
l'écriture. Cette dispersion se retrouvait dans l'espace
trop grand et sans repères dont je parlais tantôt
(qui incluait le Val de Travers, le Mont d'Or, Pontarlier,
Neuchâtel., Yverdon
bref
). Du coup, on n'a
pas pu trouver de " substantifique moelle ", et
les personnes qui avaient accueilli Fabienne Pasquet ne se
sont pas retrouvées dans son travail - contrairement
à ce qui s'était produit avec Yves Laplace.
Ce sont les aléas de la formule " auteur en résidence
".
Mais nous avions aussi sollicité six auteurs (de la
Suisse italienne, alémanique, romande, de France) pour
écrire chacun un petit texte autour de quelques questions,
sans davantage de consignes - de sorte que certains ont opté
pour un traitement plus sociologique, d'autres plus littéraire,
etc. La cohérence a manqué entre ces textes.
D'ailleurs les auteurs ne s'étaient pas vus.
En 2004, pour l'édition " Au fil du Doubs ",
nous avons donc essayé de corriger le tir avec Michel
Beretti, et nous nous sommes retrouvés dans l'excès
inverse : il s'est trouvé trop cavalier seul ; d'ailleurs
il avait son sujet d'emblée. En revanche, les quatre
auteurs invités en 2004 ont abouti avec un très
beau travail lu à haute voix, enregistré et
édité sur un CD - d'ailleurs très réussi
aussi d'un point de vue technique grâce à Espace2,
qui en assurait la réalisation). La relation au paysage
s'est également tissée de très belle
manière, avec relativement peu de gens et de belles
rencontres le soir dans les bibliothèques. Une réussite.
Une nouveauté a en outre été introduite
en 2004 : la collaboration avec les établissements
scolaires de part et d'autre du Doubs, où les quatre
auteurs invités ont animé des ateliers d'écriture
avec les élèves, débouchant suer des
textes individuels ou collectifs. L'expérience a été
très concluante ; mais il y a manqué la dimension
de l'échange transfrontalier, essentielle dans notre
démarche.
Donc en 2005
D'abord, nous avons instauré
deux semaines culturelles en mai, au lieu d'une comme dans
les éditions précédentes. Les trois auteurs
invités (il devait y en avoir quatre, mais il y a eu
une dédite au dernier moment) ont passé les
soirées dans les bibliothèques avec le public,
et deux journées chacun avec une même classe
pour y animer un atelier d'écriture. La dimension de
déplacement géographique qui, comme je l'ai
dit, avait fait défaut en 2004, a été
intégrée. Tous les textes nés de cette
démarche paraîtront en septembre 2005 dans Le
Persil, le journal de Marius Daniel Popescu, l'un des auteurs
invités, qui s'est particulièrement engagé.
Ce travail avec les écoles semble être appelé
à se poursuivre : il y a une forte demande des écoles,
surtout des petites. Les communes aussi ont compris et apprécié.
C'est la première fois que j'ai le sentiment que l'une
de nos initiatives va rebondir, et durer indépendamment
de la manifestation proprement dite.
L'auteur en résidence cette année est Maryse
Vuillermet, que nous avons dirigée vers la relation
entre texte et paysage. Son temps est partagé en deux
: la moitié pour écrire, l'autre moitié
pour participer au projet dans les écoles, les bibliothèques.
Elle a simplement pour mission de nous livrer environ 40 pages
sur la thématique de l'année, " Confluences
". (Si Laplace avait sorti un livre tout de suite, Fabienne
Pasquet et Michel Beretti n'ont pas, ou pas encore, abouti
à un texte, d'où notre volonté de donner
cette consigne à notre nouvelle auteure en résidence.)
Le projet de Maryse Vuillermet est lié à des
histoires de migrations et de confluences humaines. Pour les
rencontres en bibliothèque, nous avons essayé
cette année une nouvelle formule : l'auteure avait
15 minutes pour se présenter et lire un extrait, la
parole était ensuite donnée à des personnes
invitées par les bibliothèques. Le résultat
a été formidable, des histoires extraordinaires
sont sorties, avec des moments extrêmement forts, et
même des révélations, des histoires importantes
pour le village. Ces histoires deviennent donc le matériau
que l'auteure va " retricoter " - selon son propre
terme - dans un roman.
Là., le travail s'est vraiment fait avec
les habitants, et il est pratiquement acquis qu'ils viendront
participer aux " pérégrinations littéraires
" en septembre. Avec une confluence vers la Borne au
Lion; des associations locales de marcheurs conduiront les
groupes. C'est très important, parce qu'un de nos objectifs
est de créer des liens entre gens " d'ici "
et " d'ailleurs ". Or l'accueil des visiteurs par
les habitants est la partie du projet la plus difficile à
réussir, c'est ce qui a marché le moins bien
jusqu'à présent en dépit de nos efforts.
De qui se compose le public ?
Ce sont surtout des urbains qui viennent
aux " pérégrinations ". Les gens de
la montagne les perçoivent comme du tourisme, et par
conséquent ils ne s'y intègrent pas. Le manque
d'engagement personnel des habitants du lieu est d'ailleurs
aussi un problème de l'industrie touristique : les
gens sont souvent d'accord de travailler dans ce secteur et
de gagner de l'argent, mais sans s'engager personnellement
et humainement dans l'accueil. D'où l'importance des
semaines culturelles de mai, où le public est justement
composé de gens du lieu.
A noter que parmi les " urbains ", 35% sont fidèles
à la manifestation et reviennent d'une année
sur l'autre. Il y a donc de nombreuses personnes qui auront
suivi la manifestation sur quatre années et auront
parcouru avec elle tout l'arc jurassien. Et ce ne sont ni
de grands marcheurs ni de grands lecteurs : ce sont des gens
curieux.
" Par-dessus le mur, l'écriture
" s'achève cette année. Quelles sont les
perspectives de Saute-frontière, l'association qui
porte le projet ?
Nous espérons faire émerger
un nouveau projet émanant davantage du terrain, des
élus, des acteurs culturels locaux, toujours autour
du thème de la montagne en tant que confin, mais aussi
lieu de passage, marge mais aussi refuge. Nous avons des propositions,
qui doivent aussi s'exprimer dans le forum de cette année
" Pensons ailleurs " : l'une des fonctions de ce
forum est justement de lancer des pistes pour l'avenir.
On peut avoir actuellement le sentiment
d'une " tendance " consistant à interroger
le paysage et la frontière par la littérature
: on peut penser à " Paysages en poésie
", à " Lettres-frontière ", par
exemple. Quelle est votre place là-dedans ?
Notre spécificité, c'est
la marche. C'est elle qui libère l'esprit pour l'écoute.
Les participants nous le disent : le contexte permet à
beaucoup de gens un accès à des textes dans
lesquels, sinon, ils ne seraient pas entrés.
Propos recueillis par Francesco Biamonte
Page créée le 16.06.05
Dernière mise à jour le 16.06.05
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