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Jean-Jacques Furer

  poèmes traduits par Jean-Jacques Furer

 

Claudia Taverna-Huder - P. Flurin Maissen -
Agnul di Spere - Andri Peer

 

  Jean-Jacques Furer

 

Et quand je serai assis
dans cette nuit sans lune
d’une immense caverne au toit trop bas

Quand je serai assis à attendre
dans la boue humide et l’air glacé
en frôlant de la tête le plafond visqueux

Quand je serai ainsi assis à attendre
écoutant dans une autre flaque
les soupirs d’autres attendants

Quand je serai ainsi assis à attendre
sous la longue plaine grise
la fin du long mot fin

Quand je serai ainsi assis
comment pourrai-je ainsi
rester assis à attendre

À attendre une attente
en comptant sur ma tête
les gouttes suintantes

Ne pas me lever
pour m’assommer au roc

Ne pas ramper ensuite
à croupetons dans la boue

Parmi les jurons irrités
des anciens momifiés

Ne pas hurler sans écho
de me perdre sans fin

À chercher un sens
à tout ce non-sens

Et mourir mille fois
tombant de niveau en niveau

Dans les flaques de boue
de nuits identiques

Extrait de: Agonie vitale

 

Et plus rien ne reste maintenant
que les os nus et la peau
desséchée

Plus rien ne reste des yeux
qui tellement ont pleuré
ni des lèvres
qui tellement se tendirent
ni des mains
qui voulurent s’entrouvrir

Et plus rien ne reste de ce qui
remplissait
ce crâne-coupe
abandonnée au sable

Et pourtant ces os
morts
et ce crâne
vide
et ces orbites
creuses

N’ont pas de paix
N’auront de paix!

Car ci le vent
joue son orgue
par les yeux
pleurant rosée
et bat en cœur
sous côtes-arceaux
pour gonfler ori-
peaux de vie

Et ci le gel
et le soleil
ouvrent et ferment
les doigts d’ivoire
en offrande ou refus
forçant conscience

Et ce squelette
jeté en vie
et ce squelette
mâchoire tombée
rit atrocement
sous larmes d’emprunt

Extrait de: Agonie vitale

 

 

Un ciel de lune immobile
un horizon écrasant
de montagnes déchiquetées
en pics de glace noire
une gorge profonde
où se rompent les os
des larmes gelées
en fleurs acérées
des reflets d’anthracite
en silence éternel
la solitude figée
et la mort à jamais
voici que de ma quête
je te retrouve
pour me coucher à ton sol
ô mon pays

Extrait de: Agonie vitale

Tu es une journée de printemps
brillant en plein novembre
Tu es le bras tendu
pour enlacer et consoler

Tu es le reflet de l’eau sur le mur
pour calmer la blessure des yeux
et les pins sur le ciel bleu
pour affirmer encore l’espoir

Tu es le visage entre les nuages
vers lequel se lèvent adorants
les sourires en larmes
et les mains aux doigts brisés

Extrait de: Fe agónica

 
ô Madonna du fond de la vase où j’ai lentement coulé au long de ces années les yeux pourris et mon âme perdue dissoute plus haut je t’ai encore dans ma mémoire où tu te confonds immense visage avec le ciel d’espoir que je ne vois plus

et Madonna ô Madonna tant que reste en moi ton ciel cadavre pourrissant dans ce mol cercueil noirâtre qui m’envahit par ces larmes de parfois qui se mêlent à la vase où étaient mes yeux je vis encore je vis encore je vis encore

Extrait de: Fe agónica

Mer de têtes innombrables de tous âges qui veulent dominer une mer de têtes aux lèvres déformées en hurle­ment rauque vers le soleil et l’espace mer de têtes se noyant dans un océan sans fond qui se remplit sans fin d’une marmelade de têtes aux yeux morts ouverts aux vagues salées de milliards d’yeux en pleurs immense filet de bouches déchirées avalant sans cesse une saumure toujours plus amère têtes bourgeonnant partout toujours plus vite et jamais plus haut têtes d’enfants apeurés qui apprennent à nager têtes de femmes aux longs cheveux fous collés gluants de larmes et de gelée tremblotante qui veulent aimer qui veulent aider qui veulent lutter qui ne comprennent pas et qui s’abandonnent têtes d’hommes bavant et mordant et têtes de vieillards hargneux qui s’enfoncent lentement sous d’autres têtes qui leur volent l’air et rejoignent les têtes sans chair des séries précédentes qui glissent éternellement dans la noirceur des abîmes sans lumière

Extrait de Tableaux

 
Désert.
Désert immense,
désert sans fin.
Jaune et ocre des dunes.
Pierre, roche tannée.
Gris brûlant du granit.
Croûte de sable et de sel,
croûte de blessure mortelle.

Pluie sur le désert.
Une goutte qui tombe.

Une goutte et pas d’autre.
Larme d’éternité,
larme sanglante de beauté.
Une goutte tiède
dans l’air en feu.
Et une fleur qui naît:
un instant d’espoir.

Un peu de vapeur
dans l’air en feu
et une fleur desséchée
qui tombe en poussière.

Extrait de Tableaux

Immobile dans la nuit plane l’aile noire.

Les yeux d’incandescence fixent et percent,
l’âme s’effrite en un néant de questions sanglotées.

Le voile s’entrouvre illuminant l’illusion et
se referme jouant avec les pleurs.

L’hiver vient et puis l’été et puis l’hiver et puis
la nuit.

Rien n’existe, le mur s’effondre et la lampe
s’éteint en un ricanement inventé.

Extrait de Tableaux

 

Visage vague
immuable

Visage de pierre
blanche noire
tranquille
à mon âme
au profond
de mon être

Visage

Et moi
devant toi
agenouillé
au cœur
de mon buisson
effeuillé
transpercé inextricable
d’épines acérément
molles
de gelée brûlante

Et autour et sur nous
pitoyable pour nous
s’agite s’affaire
et dit vivre
cet être mien
dans la triste bulle
qui est monde
aux ombres
inconscientes
et douteuses

Extrait de: Fe agónica


Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01

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