Giovanni Bonalumi : Une écriture à contre-temps
par Danielle Benzonelli
un exilé...
Giovanni Bonalumi peut faire figure
dexilé: exilé de lenfance par
la mort du père et lentrée au séminaire;
exilé de sa langue maternelle, le dialecte, par la
pratique obligatoire et constante de litalien au séminaire.
Et migrant de lintérieur, également:
durant une trentaine dannées, entre Bâle
et Locarno, entre lallemand et litalien, dun
train à lautre, dune semaine à
lautre. Migrant consentant, bien sûr, observateur
impénitent et "écouteur" raffiné.
Laccoutumance à la solitude trace de profonds
sillons.
un solitaire...
Le travail de Bonalumi est en effet
celui dun solitaire, en constante recherche dune
expression qui se tienne au plus proche du sentiment, par
approximations successives. Il entraîne le lecteur
dans sa quête de la focale la mieux appropriée.
Beaucoup de glissements, de souffle,
de bourdonnements, de froissements dans ses pages: sonorités
qui sapparentent plus à des frémissements
quà des coupes nettes. Il y a aussi ces objets
insignifiants qui se grippent, sans aucune raison, et ces
bulles dair qui viennent mourir, qui éclatent,
là où lon nattendait rien. Rien,
justement.
Dans cet univers, il suffit dun
rien pour que tout se mette à vibrer et dun
rien pour que tout sestompe. On est en suspens entre
une forme de résignation non dépourvue de
dignité et une obstination à rester debout
quoiquil arrive.
Les personnages sont souvent pris
par la torpeur ou le sommeil: engourdis, ils glissent de
létat de veille au rêve et, quand ils
reviennent à eux, la réalité leur apparaît
plus nette, comme si leurs yeux et ceux du narrateur venaient
dêtre rincés à leau fraîche.
On ne sait pas pourquoi.
On chercherait vainement, dans son
uvre, une vraie "histoire", qui se dilaterait
dans le temps. Pas la moindre trace de lyrisme. Latmosphère
est évoquée par touches légères,
estompées. Et le passage fréquent du discours
direct au discours indirect ajoute au trouble au
malaise parfois des personnages, du narrateur, du
lecteur.
l'ordinaire d'une vie...
Il nest question que de ce
qui constitue lordinaire dune vie "là"
et, si lon reconnaît ce "là",
les menus événements auxquels nous participons
sont de partout. Aucun folklore, aucun misérabilisme:
une écriture presque sèche, un ton allusif.
Pas de sarcasme; pas de misanthropie, pas de suffisance.
Ce qui nous saisit, cest un regard de fraternelle
compassion.
Dans Il Profilo delleremita,
dont la traduction est en cours, "Gita al faro"
raconte léchappée dun jeune garçon
à Gênes, en compagnie de son père: tout
Bonalumi est là, dans le récit minutieux dune
brève aventure de quelques jours, une épopée
du pauvre où les non-événements les
plus mélancoliques se colorent de nuances drolatiques
et inattendues. La tendresse dun père et dun
fils touchent le lecteur sans que rien ne soit dit. Lépoque
est bien là, comme offerte en sus, presque par inadvertance.
Ainsi en est-il, dans ce récit, de lévocation
de Mussolini, réduite à une inscription maladroite
et peu lisible sur le siège dune salle de cinéma,
ce monde dombres où passent des dessins animés.
Sur le même mode, les événements
de Hongrie dans Per Luisa, -paru ce printemps 2000- en traduction
française, entrent dans le texte comme sils
sétaient lentement déplacés jusquà
la petite ville qui ne les attendait pas: ils semblent avoir
perdu en route une partie de leur substance, mais ont gardé
un élan qui suffira à provoquer de multiples
fêlures dans ce milieu provincial qui ressasse les
problèmes de lécole, du passé,
de lItalie voisine, des idéologies de rechange
Tout narrive jamais que par ricochets, à retardement.
une voix si ténue
et pourtant si obstinée..
Persiste une voix si ténue
et pourtant si obstinée qui simpose
à la mémoire parce quelle sonne juste
et quelle a visé au cur.
Entretien
Giovanni Bonalumi, je sais
combien il est difficile de vous faire parler de vous, et
pourtant jaimerais que vous évoquiez votre
enfance dans un Tessin désormais disparu.
Il ny a pas grand-chose
à en dire. Nous habitions tout près de la
gare de Locarno et mon père, qui était une
sorte de chef des manuvres, sest vu attribuer
un appartement à lintérieur même
de la gare. Cet appartement a joué un grand rôle
dans mon enfance, surtout son galetas, aussi grand quun
garage
A lécole, nos maîtres étaient
sévères et je me montrais appliqué.
Notre pauvreté me semblait aussi naturelle que ma
solitude. Ma mère travaillait aussi chez les autres.
Je me rappelle que jaimais faire rire mes camarades
et que la mélancolie me reprenait dès je me
retrouvais seul. Ma vraie enfance na pas duré
longtemps. Elle a pris fin à la mort de mon père:
javais dix ans. Il ma fallu quelques années
avant de réaliser ce que javais perdu. Et lorsque
jai eu onze ans, le prêtre ma contacté.
Il ma parlé dun séminaire où
je pourrais mamuser, jouer et me faire des copains
de mon âge. Jai accepté et y suis entré
parce que je navais aucune idée de litinéraire
quil me faudrait parcourir. Ma mère était
daccord et je nai jamais vraiment connu ses
raisons: peut-être la fierté davoir un
fils prêtre, peut-être la possibilité
de pouvoir mieux soccuper de lautre fils, plus
jeune, quil lui fallait élever seule? Mon père
est mort à quarante ans
Quels liens entretient
votre premier roman, Gli Ostaggi, avec ces événements?
Sur la vie au séminaire,
jai écrit un roman et un roman nest pas
une chronique. Il mest permis de parler de pure invention,
même si de nombreux faits relatés trouvent
une correspondance dans la réalité de lépoque
Pour revenir à la réalité, justement,
jai essayé de me donner "la" vocation
et je pense y avoir réussi jusquà mes
quinze ans. Ensuite, jai lutté continuellement
et finalement jai jugé quil ne me serait
pas possible de faire face aux difficultés que jaurais
rencontrées en devenant prêtre.
A quel âge êtes-vous
sorti du séminaire, et avec quel bagage?
Jen suis sorti à
vingt et un ans, sans titre, les mains vides. Jai
dû récupérer deux ans de lycée
pour obtenir la maturité au Stift Institut de Einsiedeln.
Durant toutes ces années
détudes, séminaire et collège
confondus, quelles ont été vos rencontres,
vos découvertes, vos enthousiasmes?
Jai eu la chance davoir
de bons professeurs de littérature. Ils mont
fait connaître la revue florentine Il Frontespizio:
jy ai lu des traductions de Eliot, Yeats
qui
parlaient un langage tout neuf et surprenant pour moi. Ils
mouvraient les yeux sur une poésie inconnue.
A cette époque, jessayais encore dimiter
la poésie de Carducci
Aviez-vous dautres
aperçus sur la littérature anglaise, sur la
littérature des Etats-Unis?
Non. Il y a eu cette découverte
de Yeats et Eliot et la lecture des traductions des tragédies
de Shakespeare. En 1936-1937, je navais pas encore
entendu parler de littérature américaine.
Mais dès lâge de dix-huit ans, jai
lu avec passion les Odes de Claudel, Bernanos et Patrice
de La Tour Du Pin. Tous les jeunes séminaristes lisaient,
probablement, mais nous nen parlions pas. La lecture
de textes sortant de notre ordinaire nétait
pas du tout recommandée. Disons quil sagissait
de lecture intime.
Comment avez-vous décidé
dentrer à lUniversité de Fribourg?
Probablement par inertie.
Et parce que beaucoup de jeunes Tessinois y allaient.
La tentation de descendre en Italie
ne vous a pas effleuré?
Cétait lItalie
fasciste et nous la regardions avec une grande méfiance.
Ce monde du fascisme nous était étranger et
notre attrait pour la culture italienne était offusqué
par le régime qui létouffait. Javais
lu, bien sûr, Ungaretti, Montale, Cardarelli
et je suivais les journaux et les revues, mais cétait
encore à la manière dun bon élève.
A Fribourg, vous avez eu la
chance que beaucoup détudiants vous
envieront de rencontrer Gianfranco Contini, qui enseignait
la philologie italienne et française.
Ses cours étaient passionnants,
on sen doute. Il était encore très jeune
à lépoque
trente-cinq ans, peut-être.
Lorsque nous marchions ensemble, il parlait de Bilenchi
et de Gadda, alors presque totalement inconnu en Italie.
Ce nétait pas un homme particulièrement
friand de relations, mais il était généreux
de son savoir et ne se montrait pas avare dinformations
sur tout ce que comptait alors la littérature italienne.
Jai également suivi
les cours de Paolo Arcari, qui ma ouvert les yeux
sur les auteurs du XlXe siècle. Je lui suis encore
reconnaissant davoir accepté dêtre
mon directeur de thèse sur un poète inconnu
alors, Dino Campana, que javais découvert dix
ans auparavant grâce à un article que Carlo
Bo lui avait consacré.
La rédaction de votre thèse
vous a mis le pied à létrier. Quel jugement
portez-vous sur ce travail avec le recul du demi-siècle?
Je lai soutenue en 1947
et une version revue est sortie en volume chez Vallecchi,
en 1953. Cest un travail qui manque de maturité
mais, à ce moment-là, jai dû relever
le défi de lélaborer sans aucune aide.
De plus, des conditions de vie précaires me contraignaient
à faire vite
Il lui reste le mérite
davoir été le premier livre consacré
à ce poète que lon appelle volontiers
le Rimbaud italien.
Revenons à Fribourg. Vous
y découvrez la littérature française?
Je comble mes lacunes en lisant
Stendhal, Flaubert, Maupassant et surtout les auteurs contemporains:
Bloy, Bernanos, Mauriac et des poètes dont certains
me sont toujours très chers: Jouve, Emmanuel, les
poèmes de la Résistance dAragon et dEluard.
Je connaissais déjà Apollinaire, lié
à la première poésie dUngaretti.
Il faut insister sur la richesse de la Librairie universitaire
qui proposait toutes les nouveautés de lédition
française, même durant la guerre.
Je sais que vous avez effectué
un bref voyage à Paris, avant ou après votre
expérience londonienne. Lexistentialisme ny
battait pas encore son plein, mais pouvez-vous nous dire
quel accueil ce mouvement a reçu au Tessin?
Paris, cétait
avant tout un besoin de voir, de visiter, de vérifier
ce que javais lu, de respirer autrement
Quant
à Sartre, il ne me semble pas avoir laissé
de signes évidents dans la production littéraire
tessinoise de la décennie qui a suivi la guerre.
Il était plutôt rattaché à un
phénomène de société, comme
Simone de Beauvoir, les cafés de la Rive Gauche,
les caves, Greco
Heidegger nous est parvenu après.
Quant à Camus, il nous a échappé. Nous
ne connaissions pas son théâtre, par exemple.
Je ne suis pas sûr que lItalie ait été
plus attentive, à cette époque.
Que pensez-vous de la notion d
"écrivain engagé"?
Je ne me suis pour ainsi dire
jamais baptisé. Lécriture seule sengage.
Jai essayé de faire de mon mieux au quotidien,
dans mes rencontres. Dune certaine façon, je
me suis engagé en acceptant de devenir président
de la Société suisse des écrivains,
en 1971, quand elle risquait de disparaître au moment
de sa scission et de la naissance du Groupe dOlten.
Et en 1968, jai essayé de faire la part des
choses, de réfléchir avant de jeter le bébé
avec leau du bain. Je me suis efforcé de ne
pas entrer dans le simple jeu des exigences politiciennes.
Je sais que votre séjour
à Florence, au sortir de la guerre, revêt une
importance particulière dans votre formation. Pouvez-vous
lévoquer ici?
Ah! Cette saison a été
capitale. Au café littéraire Le Giubbe Rosse
où, vingt ans auparavant, Dino Campana avait vendu
son livre à la sauvette, jai rencontré
et fréquenté Montale, Traverso, Luzi, Parronchi
et Gadda. Et le peintre Ottone Rosai
Il y avait encore
des soirées littéraires et, chez Giovanni
Papini, en compagnie de Nicola Lisi, jai connu Bargellini
et Betocchi. Ce sont des liens qui comptent.
Navez-vous pas été
suffisamment tenté par lexpérience florentine
pour décider de rester en Italie? Pourquoi êtes-vous
revenu?
Au fond, je crois que les
Tessinois aiment revenir au Tessin. Et, bien que fasciné
par la vie culturelle de Florence, je suis rentré.
Il nétait pas facile de trouver un poste dans
lenseignement à cette époque. Jusquen
1949, la seule garantie était le chômage. Jai
effectué quelques remplacements, collaboré
à des revues, à des quotidiens, à des
émissions radiophoniques
et mon admiration
pour Eliot, que javais linnocence de vouloir
traduire, ma conduit à Londres, muni dun
petit pécule reçu de ma mère.
Les cours dispensés par le
Masterman Smith Institute portaient sur la langue commerciale,
mais la ville de Londres et mon enthousiasme compensaient
tout et jai voulu, pour commencer, matteler
à la traduction dun conte de Dylan Thomas.
Ce tout premier labeur ma confronté à
lécueil de la polysémie et il a fini
à la corbeille.
De retour au Tessin, jai repris
mes travaux de pigiste à la radio ou dans les rédactions.
Cest à cette époque que je commence
à écrire pour la revue Svizzera italiana et
mon premier roman, Gli Ostaggi, remonte à une nouvelle
publiée en 1949 par cette revue.
Le retour à une vie
provinciale dans le Tessin de la fin des années quarante,
après vos expériences de Florence et de Londres,
na-t-il pas été difficile?
Locarno, dans limmédiat
après-guerre, était en effervescence: Virgilio
Gilardoni, historien, avait fondé un ciné-club.
Le festival était un rendez-vous beaucoup moins médiatisé
quaujourdhui, mais véritablement stimulant.
Jy ai rencontré Jacques Becker, qui ma
proposé de remonter sur Paris avec lui et de devenir
son assistant
Chaque année, je retrouvais Freddy
Buache, que je connaissais depuis mon époque fribourgeoise.
Et Mario Soldati, écrivain et metteur en scène,
est devenu lami dune vie.
Vous avez toujours traduit
les poètes que vous aimez: votre dernier ouvrage
à paraître au printemps 2000
est en effet une sorte de parcours qui conduit des premières
découvertes aux plus récentes, de Hölderlin
à Bonnefoy en passant par Rimbaud, Jude Stéfan
et Réda. La préface de votre ami Jean Starobinski
éclaire admirablement ce travail. Mais une question:
avez-vous jamais pensé que ce travail sur la poésie
des "autres" vous avait peut-être distrait
de votre travail de poète? Nous ne connaissons de
vous quun mince recueil, Album, paru en 1990.
Je ny ai jamais pensé,
mais cest possible et lhypothèse est
intéressante, mais
Jai écrit mon
premier poème à Fribourg. Je me rappelle quil
avait plu à Contini! Pour mes septante ans, jai
réuni quatorze compositions et comme je pense quune
poésie réussie est un don du Ciel, une grâce,
jespère navoir pas fait preuve de présomption.
Et vous écrivez Gli Ostaggi.
Comment ce premier roman a-t-il été composé?
Comme je vous lai déjà
dit, je crois que les faits deviennent vite la proie de
limagination et contrairement à ce que jai
pu lire ou entendre, ce roman nest ni un livre de
libération, ni un livre dauto-compassion ou
de complaisance
Jamais je nai eu lintention
décrire un règlement de comptes. Il
ny avait aucun compte à régler. Le narrateur
na rien dun héros: il est victime dune
situation où il sest trouvé piégé
à onze ans.
Personne ne savait que jécrivais
ce livre. Jy travaillais deux heures par jour dans
mon petit appartement de Rivapiana, après mes heures
denseignement. Quand je lai eu terminé,
je lai adressé à Vittorini, qui la
apprécié mais na pu en assurer la publication
chez Einaudi parce quil avait déjà publié
La Sedia scomoda, de Terzi, sur le même thème,
quelque temps auparavant. Il ma conseillé de
ladresser à Betocchi, chez Vallecchi, où
le livre a été retenu. Montale lappréciait
et la très sévère Revue des Jésuites,
à Milan, lui avait réservé un accueil
favorable! Au Tessin, si lon excepte un article élogieux
dans un quotidien libéral, ce sera le silence.
Vous ne dites pas que ce roman
a obtenu le prix international Charles Veillon.
Oui. Ex aequo avec Lalla Romano.
Ce qui peut paraître drôle, cest que la
préface à la deuxième édition
de Gli Ostaggi sera écrite par le Père David
M. Turoldo
Ce succès en Italie change-t-il
quelque chose à vos projets, à votre vie?
Pas vraiment. Jécris
alors des essais, jenseigne à lEcole
Normale de Locarno qui formait à lépoque,
en quatre ans dinternat, les futurs enseignants de
lécole enfantine et primaire pour le canton.
En 1956, jobtiens une bourse du Fonds national et
minstalle à Milan pour y travailler sur Parini.
Milan, aujourdhui, paraît
bien proche du Tessin
Quen était-il alors?
Cétait un autre
monde, même si la langue était la même.
Ce séjour ma lui aussi ouvert de nouveaux horizons.
Jai beaucoup fréquenté Sereni, Solmi,
Erba, Borlenghi et les artistes Rognoni, Adami, Valieri,
Marino Marini
De retour au Tessin, jai repris
mes classes à lEcole Normale puis y ai ajouté
un poste de libero docente à lUniversité
de Bâle, où javais été
appelé par Walter von Wartburg. Jai commencé
à faire la navette entre Locarno et Bâle, en
train, chaque semaine. Et jai été nommé
en 1973 à la chaire dhistoire de la littérature
italienne. A Bâle aussi, les rencontres enrichissantes
ont été nombreuses: Karl Barth, Walter von
Wartburg, Ottavio Lurati, Theodor Gossen, German Colòn,
Robert Kopp
Jai aimé enseigner, vraiment;
jai aimé le contact avec les élèves
et les étudiants. Je crois avoir réussi à
séparer sainement mon activité denseignant
et celle décrivain.
A part les essais sur Parini,
Tasso et vos contributions régulières aux
revues et journaux, vous travaillez à une anthologie
destinée aux élèves des écoles
tessinoises, anthologie à laquelle vous tenez particulièrement
et qui est sortie en 1976.
Oui. Mon collègue Vincenzo
Snider et moi-même avions le désir de dresser
un panorama culturel qui ferait une large place aux écrivains
suisses de toutes les régions linguistiques, aux
scientifiques, aux historiens dici et dailleurs;
nous avons également voulu que cet ouvrage fasse
la part belle aux témoignages.
Je continue de penser que ce travail
jouait bien son rôle de passeur puisquil proposait
des traductions de Bichsel, Hohl, Marti, Dürrenmatt
et Frisch, Robert Walser, Bouvier, Rivaz, Pinget, Haldas,
Cingria, Bille
Jen oublie
Ce volume est
indissociable du souvenir de lami très cher
quétait devenu, au fil des ans, Vincenzo Snider.
Mais avant lanthologie
Situazioni e Testimonianze, vous avez écrit Per Luisa,
votre deuxième roman, paru en 1972. Ce roman paraît
aujourd'hui en traduction française, trente ans après
sa composition!
Per Luisa est un roman dont
la structure est traditionnelle, sans grands renversements
temporels. Cest un roman de formation. Il examine
la situation personnelle dun jeune intellectuel plutôt
de gauche dans ses relations à lépoque,
à la famille, à la société.
La petite ville provinciale où il vit subit les contrecoups
des événements de Hongrie. Cest une
espèce dexamen de conscience dun homme
porté vers un choix démocratique et qui perçoit
les ambiguïtés de ses actes politiques, de sa
vie dhomme marié, de ses amitiés. Son
désir daventure avorte, étouffé
par des événements imprévisibles
Au Tessin, en 1972, il na pas
plu à gauche; tout comme Gli Ostaggi, à sa
sortie, navait pas plu à droite
Pour
moi, il reste un constat impitoyable de la réalité
de ce monde-là, dans les années 50. En Italie,
Corti et Luzi lont accueilli chaleureusement.
Je noublie pas que vous
tenez beaucoup au travail accompli de 1982 à 1993
avec lAlmanacco.
En effet. Ce travail était
également une tentative délargir les
horizons tessinois vers les autres régions linguistiques
de la Confédération et vers létranger.
Nous avons essayé de construire des passerelles entre
le Tessin et le monde
Cette approche panoramique de
lannée examinée abordait les thèmes
les plus divers et leur traitement était con?é
à des spécialistes. Oui, si dautres
tentatives de cette espèce se multipliaient, dune
région à lautre, jen serais heureux.
Nous navons encore rien
dit de vos recueils de nouvelles.
Coincidenze a paru en 1986,
préfacé par Mario Soldati. Cest un recueil
de "micro-nouvelles". Le Nevi duna volta
est sorti en 1993. Dans ce genre, qui est celui que je préfère,
il me semble que Il Profilo delleremita, paru en 1996,
est plus abouti.
Sil fallait parler de modèles,
qui citeriez-vous?
Et bien je ne citerais personne.
Cela me semblerait incongru. Je relis encore Romano Bilenchi
et Beppe Fenoglio avec le même bonheur quau
moment de leur découverte, et pourtant ils sont si
différents! Et limage de Pavese, que jai
beaucoup apprécié je me rappelle être
venu à Genève, en 1949 ou 1950, pour donner
aux italianisants une conférence sur Pavese
cette image sest peu à peu ternie. Je ne sais
pas trop pourquoi. Alors, parler de modèles
Qua représenté
pour vous lécriture; que représente-t-elle
aujourdhui?
Lécriture? Elle
a vite été un besoin. Et en même temps,
passer de la lecture à lécriture me
semble aller de soi. Et le besoin de projeter ses sentiments
Quel est votre rapport au dialecte,
le vôtre, les autres, sil est encore légitime
dopérer de nettes distinctions?
Au fond, je nai jamais
eu à prendre position sur cette question puisquà
onze ans, à lentrée au séminaire,
il ma été interdit de mexprimer
en dialecte. Bien sûr, je le parle, mais je nai
jamais écrit aucun texte en dialecte: cela me semblerait
artficiel. Et si je lapprécie beaucoup comme
souche, il me faut cependant reconnaître quil
est malheureusement moribond; et jignore quelle pharmacopée
pourrait bien lui rendre sa vigueur.
Jai limpression que
vous êtes de Muralto avant dêtre de Locarno
et de Locarno avant dêtre Tessinois.
Mais cest vrai! Je nallais
à Lugano que si jy avais à faire. Quant
à Bellinzona, presque jamais: on y passait! Chacun
restait dans son igloo, doù limportance
des amitiés. Cest un peu moins vrai aujourdhui.
Un peu moins
Et nous roulions à bicyclette!
Comment se fait-il que vous nayez
encore jamais été traduit en français
ou en allemand?
Mes regards étaient
rivés sur lItalie. Au-delà des Alpes?
Javais limpression que personne ne sintéressait
à nous. Notre langue nétait pas vraiment
pratiquée et il ny avait pas de traducteurs.
Il aurait fallu provoquer, solliciter
Je ne lai
jamais fait
Et le temps a passé.
par Danielle Benzonelli
Revue du service de Presse Suisse
- numéro 2
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