retour à la rubrique
retour page d'accueil


Jérôme Meizoz
Terrains vagues, L’Aire, 2007, 71 pages

4ème - In breve in italiano - Terrains vagues, par Elisabeth Vust

Télécharger la page en PDF

Retrouvez également Jérôme Meizoz dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.

   Jérôme Meizoz / Terrains vagues

 


"Les vainqueurs ne savent pas ce qu'ils perdent" écrivait Gesualdo Buffalino. Ce recueil de proses brèves explore des lieux abandonnés où quelque chose attend, se prépare : les terrains vagues...

Après Destinations païennes (2001) et Les Désemparés (2005), l'auteur poursuit la minutieuse relation de l'envers des existences.

Jérôme Meizoz, écrivain, enseigne la littérature française à l'université de Lausanne.


  In breve in italiano

Terrains vagues (L'Aire), di Jérôme Meizoz (che è professore di letteratura francese all'Università di Losanna), si sviluppa attraverso brevi prose che esplorano - tutte - concreti o metaforici terreni vaghi, luoghi fisici o psichici abbandonati, derelitti. Sulle sue due identità parallele (sociologo e scrittore), Jérôme Meizoz afferma: «quando scrivevo Terrains vagues , non ho mai pensato al giudizio professorale o alle analisi tecniche. Si trattava di un'esperienza esistenziale per la quale andava trovata una forma».

 

  Terrains vagues, par Elisabeth Vust

Les lapalissades sont parfois bonnes à dire : le poète n'a pas les mêmes mots que le théoricien ; le lecteur n'est pas le même face à un essai ou un poème. Autant j'avais envie de converser avec l'auteur de Postures littéraires (cf. Livre du mois) , autant je ne désirais pas que celui de Terrains vagues m'en dise plus. Et pourtant, ces deux auteurs ne font qu'un.
Jérôme Meizoz est sociologue et écrivain. « Quand j'écrivais Terrains vagues , je ne pensais en rien au jugement professoral ou aux analyses techniques. Il s'agissait d'une expérience existentielle pour laquelle une forme était à trouver ». Chacun mettra ses propres images sur cette « expérience existentielle » en lisant ce bref recueil écrit dans la continuité de Destinations païennes ( cf Livre du mois ) et des Désemparés , mais sans doute plus abouti.
Comme leur titre le préfigure, ces proses explorent toutes un terrain vague, concret ou métaphorique, des lieux physiques ou psychiques laissés à l'abandon. L'auteur regarde où peu d'écrivains regardent (bien que le réel soit le héros de la rentrée littéraire de cet automne). En le lisant, j'ai pensé à Jean Rolin, chroniqueur de la fragilité qui écrit pour rencontrer la vulnérabilité du « marcheur qui se perd ». Jérôme Meizoz s'intéresse à l'envers de nos existences – derrière nos masques, sous nos griffes. Perdant, désemparé, découragé, chacun l'est (parfois), et si ce n'est pas le cas, « les vainqueurs ne savent pas ce qu'ils perdent ». Ici, pas de certitudes sur fond de ciel bleu impassible, non, on se trouve plutôt dans des entre-deux, des salles d'attente en plein vent, où les uns n'espèrent même plus voir le soleil et les autres attendent, ils ne savent pas forcément quoi. Textes ciselés dans le désarroi : celui d'un «Rimbaud à vélomoteur » écoutant vibrer sur le rail d'acier « le monde qui se refuse à lui », celui de Paulo, à qui un vieil amour « a lugubré » le quotidien. «Le carrosse s'est citrouillé » et l'encre noire s'accumule dans les réservoirs. Cet archange « perdu dans une brasserie » (Cingria), derrière quelle porte se cache-t-il ? L'exilé ne trouve pas d'asile ; errements sur le « débarcadère des vies perdues ».
Le poète ne se tient pas, telle une sentinelle, au bord du monde, à l'écart, retranché derrière des « il » et des « elle ». Il est dans l'arène, dans l'ère de ce « temps découragé », il a un corps, un « je » et une mythologie personnelle liée à un paysage minéral, avec clairières et lits de rivière. Nature blessante aussi, de ne pas avoir besoin des hommes, qui la défient ou l'interrogent, elle, la grande muette. « A quoi bon venir s'y geler à moitié ou s'y brûler les yeux », demande Jérôme Meizoz, qui grimpe régulièrement jusqu'à ces sommets où l'air est rare et le panorama suffocant. « Cherche-t-on la preuve du vide qui règne au-dessus de nos têtes ? ».
« Dire beauté qu'est-ce à dire ? ». Il y a des mots trop petits pour contenir tout ce qu'ils englobent, des mots devenus paradoxalement plats, durs et fades, à force d'avoir trempé dans toutes les sauces. L'oulipien Harry Mathews appelle cela le « langage cuit ». S'en méfie-t-il de ces termes ? En tous les cas, Jérôme Meizoz dit les sentiments forts, les émotions universelles sans les réduire en clichés, d'une écriture ailée et intense qui élargit l'horizon. « J'étais en garde-à-vue / Tu veillais en lisière, / A l'aveugle ». La rencontre a lieu, entre deux cavaliers seuls. « Maintenant on s'éclaire / l'un l'autre / comme deux falots-tempête ». Vient alors le moment de se défaire d'un mot magnétique : chagrin.

Elisabeth Vust

 

Page créée le: 23.11.07
Dernière mise à jour le: 23.11.07

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"