Une poésie qui hante
la nuit
Rencontre avec Claire Genoux, par Mireille Callu
L'Heure apprivoisée de
Claire Genoux
Un recueil de poèmes, le troisième
paru aux Editions Bernard Campiche, est l'occasion de rencontrer
Claire Genoux, l'espace d'une "heure apprivoisée".
C'est qu'elles peuvent aussi être sauvages, ces heures
d'errance et d'insomnie, de solitude et de tristesse. Mais
il faut tenter de les apprivoiser. C'est ce qu'expriment
les cinq séquences du recueil.
Quelle est votre source d'inspiration
?
Au cours d'un séjour dans
une grande ville, j'ai marché la nuit. Seule. Et
c'est alors que j'ai animé la nuit, le repos qui
ne venait pas, le vent, les saisons. J'avais besoin d'être
entourée pour ne pas être définitivement
seule et l'hiver est devenu un intrus qui sonne à
ma porte et l'insomnie un marchand des nuits sans repos
que j'ai reçu avec toute ma colère. Les poèmes
doivent être dynamiques, des lieux où il se
passe quelque chose. L'écriture, c'est ma manière
de boxer, de retourner les éléments comme
des crêpes pour savoir ce qu'ils ont dans le ventre.
Quand je suis bien entourée, je n'ai pas envie d'écrire.
C'est quand il manque quelque chose pour que tout soit rond
que je donne vie à ce qui m'entoure.
La nuit est très présente
dans vos poèmes. Qu'y trouvez-vous ?
J'aime la nuit, il se passe des choses
et c'est la liberté. C'est toujours le soir que se
réveille l'envie d'écrire. Je trouve une idée
dans la solitude de la nuit, et ça prend forme et
contour. En reprenant les esquisses jetées sur des
cahiers, j'écris une série de poèmes
à la suite. Chacun est une petite unité narrative
qui s'insère dans une plus grande. L'idée
de l'"Étrangère" est venue dans
la grande ville d'où je portais un regard sur mon
pays natal, tout en marchant. Avec un certain humour sur
moi, je me moque de ce lac trop présent, trop imposant.
J'étais étrangère et en même
temps de quelque part. Il faut partir pour sentir cela.
Et même en rentrant à Lausanne, je me suis
sentie un moment comme étrangère, sans point
de chute, mais légère et heureuse.
Parmi les poèmes de l'errance,
il y a "Avril", des poèmes d'amour ?
C'est plutôt l'"après",
la tristesse, la déchirure. En fait je parle lorsqu'il
y a incommunicabilité, rupture. Et forcément,
ce n'est pas lisse. Je mange des ventres, on recoud ou découd
des veines, tous ces petits travaux douloureux sur la peau,
cette cruauté des mots et des sensations.
Et voilà, ces métaphores
parfois un peu hermétiques. Faut-il vraiment tout
comprendre ?
J'aimerais être comprise mais
on peut aussi se laisser porter par la musicalité
du poème. J'y tiens beaucoup et relis à haute
voix pour que le rythme tombe juste.
Quels sont les poètes avec lesquels
vous êtes en résonance ?
Alexandre Voisard qui réalise
aussi de petites unités poétiques où
il saisit et retourne les choses pour voir ce qu'il y a
dedans. Chez Gustave Roud, je trouve la solitude, mais tragique
où parfois la nature fait aussi silence. Et puis
surtout Emily Dickinson qui a de petits poèmes où
elle personnifie la vie, l'amour, la nuit, de façon
très libre. Je sens là que le poète
agit et ne subit pas, comme moi qui m'empoigne avec les
éléments, non sans humour personnel.
"L'Heure apprivoisée"
est passée et Claire Genoux se "dérouille
les jambes en larges foulées" dans des nouvelles
qui l'emportent dans d'autres régions intérieures.
Mireille Callu
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