Eva ou l'universalité
romanche
Troisième traduction française
pour l'écrivain grison Oscar Peer. Et là,
le Romanche atteint définitivement à l'universelle
tragédie humaine dans un roman qui, pourtant, se
distingue avant tout par une grande économie de moyens.
[...] Eternel questionnement de l'homme écartelé
entre mystique et sensualité, le texte d'Oscar Peer
rampe et se développe jusqu'au sublime dépouillement
du drame final. Parce qu'il sait exploiter avant tout les
étreintes, les gestes, les visages, les tons de voix,
bref, tout ce qui décrit la condition humaine.
Oscar Peer,
Eva, traduit du romanche par Marie Christine Gateau-Brachard
et Caty Koenz Dentan, Editions Zoé, 2004
Jacques Sterchi
Un jardin des tentations dans
les Grisons
Le doyen des auteurs engadinois, Oscar
Peer, conte la venue d'une fée tentatrice dans un
village austère.
FABLE C'est en lisant une critique
élogieuse du Vieil homme et la mer d'Hemingway, qu'Oscar
Peer dit avoir eu l'idée de mettre en scène
un individu seul en proie aux forces élémentaires.
Ainsi naquit Coupe sombre (Prix 2000 des auditeurs de la
Radio Suisse romande), premier livre traduit en français
du doyen des auteurs engadinois, né en 1928. Ce drame
réaliste au parfum de conte retraçait le difficile
combat contre la forêt d'un vieil homme sorti de prison
qui cherchait à être réhabilité
devant ses congénères et devant Dieu.
Il s'agit également de lutte - physique et métaphysique
- dans Eva, que les éditions Zoé viennent
de publier. Oscar Peer a manifestement placé ce titre
(écrit en 1980) sous les auspices de Ramuz et de
La beauté sur la terre (1927), histoire d'une
orpheline américaine qui accepte l'hospitalité
de son oncle en pays de Vaud, où elle crée
l'émoi. « Car est-ce qu'on sait que faire de
la beauté parmi les hommes ?». Cette question
ramuzienne se pose également dans les Grisons, depuis
qu'Eva y est apparue.
Lorsqu'Eva débarque
à Falun, ce village vit à l'écart du
monde et de ses tentations grâce à (ou à
cause de) son pasteur Perl qui craint les plaisirs, même
les petits, comme la peste. Il a interdit fêtes et
bals, et intervient également dans les cuisines,
où il réprouve les fumets trop agréables.
« C'était un fait qu'à Falun, la morale
était presque devenue une seconde nature. Presque
- c'est-à-dire pas complètement », note
Oscar Peer distillant une douce ironie tout au long de sa
fable qui débute au printemps, avec l'arrivée
d'Eva. Elle vient de « nulle part » et
repartira on ne sait où six mois plus tard, abandonnant
derrière elle un village endeuillé et enflammé
au propre comme au figuré.
La chair est faible, celle d'un saint homme également.
Eva la bien nommée ne laisse personne indifférent,
surtout pas Perl l'inquisiteur qui la voue au bûcher
mais ne sait « plus s'il est la proie du ciel ou de
l'enfer » quand il la côtoie. « La nature
n'épargne personne, ni la nature autour de nous ni
notre propre nature » et « les voies de Dieu
sont impénétrables », dit, dans son
sermon final, le pasteur qui a gagné en humilité
au contact d'Eva. Ni ange ni démon, cette
créature d'Oscar Peer a été envoyée
parmi les hommes pour y confronter chacun à soi-même,
à ses désirs contradictoires, à son
hypocrisie. Elle est l'héroïne d'un délicieux
récit parabole dont la sérénité
de la langue cristalline contraste avec la fièvre
de la convoitise. « C'est sur la terre, et on n'a
pas assez de voir sur la terre. On y est gourmand, on y
a faim, on veut posséder. » (Ramuz)
Oscar Peer,
Eva, traduit du romanche par Marie Christine Gateau-Brachard
et Caty Koenz Dentan, Editions Zoé, 2004
Elisabeth Vust
25.05.2004
Le récit se déroule
du printemps à l'automne, il s'ouvre et se ferme
sur un enterrement, tandis qu'un train passe sur le viaduc
qui surplombe Falun.[...] «Est-ce sa faute si elle
plaît à tous? demande un paroissien rebelle.
La beauté est tout de même un don du ciel,
Monsieur le pasteur. Est-ce que c'est interdit d'être
attirant?» Rongé par la hantise du péché,
le prédicateur finira, bien sûr, par y succomber.
Avec ce correctif sympathique que sa «faute»
l'humanise et que désormais ses prêches parlent
de grâce autant que de condamnation.
Oscar Peer,
Eva, traduit du romanche par Marie Christine Gateau-Brachard
et Caty Koenz Dentan, Editions Zoé, 2004
Isabelle Martin
Samedi 24 avril 2004
Page créée le: 30.06.04
Dernière mise à jour le 05.07.04
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