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Matthias Zschokke
Maurice à la poule, trad. de l'allemand par Patricia Zurcher, Editions Zoé, 2009
La commissaire chantante ; L'ami riche ; L'invitation ; trad. de l'allemand par Patricia Zurcher et Gilbert Musy, Editions Zoé, 2009

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Retrouvez également Matthias Zschokke dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.

  Matthias Zschokke / Maurice à la poule - La commissaire chantante ; L'ami riche ; L'invitation

 

Matthias Zschokke / Maurice à la poule

Maurice passe ses jours crans son bureau du quartier nord de Berlin, là où débarquent les habitants de l'Est, une zone déclarée "sensible". Il écrit à son ami et associé Hamid à Genève, le plus souvent il ne fait rien. De l'autre côté de la cloison, quelqu'un joue du violoncelle, cela l'apaise, mais il ne réussit pas à dénicher le musicien tant le dédale des immeubles est inextricable. Il fréquente souvent le Café Solitaire, la Papeterie de Carole, passe devant le Bar à Films de Jacqueline, des lieux dont les propriétaires changent souvent pour cause de faillite. Dans ce roman fait de détails, d'esquisses et de lettres, Zschokke met en scène des existences sans gloire, des êtres blessés par la vie, pour qui il nourrit une tendresse sans limites. "Zschokke nous tient en haleine avec presque rien... Il raconte avec tant d'obstination et de dissimulation que l'on pense tantôt à Beckett, tantôt à Robert Walser."


Né à Berne, Matthias Zschokke s'est installé à Berlin en 1980. Écrivain, dramaturge, cinéaste, il a reçu le Prix Robert Walser pour son premier roman, Max (Zoé, 1988), et le Prix Schiller pour Maurice à la poule .

Maurice à la poule, trad. de l'allemand par Patricia Zurcher, Editions Zoé, 2009

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Si les personnages du théâtre de Matthias Zschokke sont des adeptes de l'autodérision, si leur esprit est férocement perspicace et lucide, ils restent capables de grandes amours et sont au fond des romantiques. C'est tout l'art de Matthias Zschokke. Il ressort de ses pièces un esprit sombre, mais aussi tendre, espiègle et brillant. La Commissaire chantante sait raconter des histoires comme personne et sa maladresse est bien plus charmante que désespérante; L'Ami riche incarne moins un espoir dérisoire que l'espérance réelle d'un changement fondamental; et les protagonistes de L'Invitation pratiquent l'art de ne pas tricher dans un contexte de convenances sociales qu'ils sont tous incapables d'adopter. Les trois pièces réunies dans ce livre sont d'une profonde humanité, notre désir d'être aimé y est omniprésent. L'élégance mélancolique de la langue de Zschokke permet à ce théâtre de se lire comme de la littérature de fiction.

 

Matthias Zschokke / La commissaire chantante, l'ami riche, l'invitation

Né en 1954 en Suisse précisément là où Robert Walser a passé son enfance et sa jeunesse, près du lac de Bienne, Matthias Zschokke s'est installé à Berlin en 1980 et n'a plus quitté cette ville. Ecrivain, dramaturge, cinéaste, il mène ces trois professions de front "comme on assaille une forteresse, en attaquant de tous les côtés". Il a reçu le Prix Robert Walser pour son premier roman, Max (Zoé, 1988), et de nombreux prix en Allemagne pour son théâtre et son cinéma.

Matthias Zschokke, La commissaire chantante ; L'ami riche ; L'invitation ; trad. de l'allemand par Patricia Zurcher et Gilbert Musy, Editions Zoé, 2009

 

 

 

 

  Entretien avec Matthias Zschokke (par Anne Pitteloud)

In breve in italiano - Kurz und deutsch

Dans «  Maurice à la poule » , Matthias Zschokke met en scène un personnage désœuvré qui tente de faire face au vide. L'auteur bernois établi à Berlin joue à merveille sur le fil entre mélancolie et dérision, douceur et douleur; son exploration à la fois tendre et cocasse de la solitude fondamentale de chacun est également au cœur de ses trois pièces de théâtre qui paraissent simultanément en traduction – «  La Commissaire chantante », « L'Ami riche et L'Invitation » .

Entretien

Traduire Matthias Zschokke? «Mon souci principal est de ne pas laisser le texte redescendre, s'alourdir», explique Patricia Zurcher, traductrice de l'auteur bernois. «Il s'agit de garder une écriture vivante, légère, de percevoir les différents registres de langage et de trouver en français ce ton qui tient le milieu, qui se situe sur le fil.» C'est que l'écriture de Zschokke est paradoxale, en équilibre entre douceur et douleur, ironie et tendresse, profondeur et cocasserie. Pour dire le désenchantement du quotidien, il crée des personnages aux rêves lézardés qui peinent à vivre leur vie; mais ce sont leurs mésaventures et leurs façons de déjouer la peur qui nourrissent l'humour. La tonalité singulière de ses textes surgit du décalage entre leur sujet, mélancolique, et une langue truffée de clins d'œil, de mots pris à la lettre. Ainsi de Maurice à la poule – titre emprunté à un tableau d'Anker qui fait rêver le protagoniste –, où comme souvent chez Zschokke l'intrigue est mince, basée sur de petits riens qui tiennent pourtant le lecteur en haleine.
Ecrivain public, Maurice passe ses journées à ne rien faire dans son bureau des quartiers nord de Berlin, zone sensible et désertée. En attendant ses rares clients, il écrit à son ami et associé Hamid, à Genève, se souvient, pense parfois à sa compagne en voyage, se promène à pied et à vélo, écoute un violoncelle jouer quelque part derrière la paroi, tente vaguement de trouver où est le musicien dans le dédale des immeubles tout en détestant l'idée de devoir parler à quelqu'un... Confronté au vide et à l'ennui, Maurice observe son environnement, attentif à l'infiniment petit pour conjurer la panique. Comme son personnage, Matthias Zschokke creuse le présent dans une écriture verticale, qui va en profondeur, attentive aux détails. Son art du récit emprunte lui aussi des chemins de traverse, et se dessine toute une méditation sur le temps, la fuite de soi, la solitude fondamentale de chacun.

Le drame de l'homme, c'est qu'il est incapable de rester seul dans sa chambre, écrivait Pascal. Maurice incarne une situation existentielle que nous partageons tous: cette peur du face-à-face avec soi...

Matthias Zschokke: Certains trouvent insupportable ce que je décris ici, mais c'est en effet notre situation à tous. Quand on n'a pas de profession ni d'activité, quand on reste assis à sa table à ne rien faire, là commence la vie... Maurice est forcé d'être dans le présent, il n'est pas héroïque mais essaye de vivre jour après jour, heure après heure. Il nous confronte à nous-mêmes: l'idée d'avoir du temps, de ne rien faire, nous terrifie.

Maurice découvre parfois, au-delà de l'angoisse, une façon d'habiter l'instant.

Dans la scène au bord du lac de son enfance, par exemple, il atteint une sorte de plénitude. Il se sent «empli du lac, du soleil, de l'air», «enflé», en adéquation avec l'instant: il est proche de la réalité de l'expérience, là où elle coïncide avec le présent. Je pense que le bonheur réside dans la capacité à vivre le moment, qu'il soit intéressant ou non. Quand j'observe vraiment ce que font les moineaux, je les trouve merveilleux et drôles. Si on arrivait toujours à regarder de cette manière, la vie serait belle...

Cette attention au présent passe-t-elle par le langage?

Oui, tout se joue dans la langue. Confronté au néant, le personnage se bat avec la langue: c'est tout ce qui lui reste, le lieu où respirer. Ce qui fait souffrir est moins douloureux si on peut l'exprimer, l'écrire.

Il est contemplatif, attentif aux détails du quotidien: une figure de l'auteur?

J'essaye d'aborder des sujets qui semblent cruels ou délicats en les décrivant de façon très objective. C'est ce qui les rend supportables. Je pense à la vieillesse, à la solitude, ou à cette scène de sexe sur le balcon: écrire sur ce sujet était neuf pour moi, et j'ai essayé de trouver une forme qui convienne, de décrire chaque geste très objectivement. Au final, il me semble que la scène est agréable à lire, pas pornographique. Le fait qu'elle se révèle finalement un fantasme de Maurice l'allège aussi.
Mais tout ceci est très théorique, et je ne fais pas de théories mais des expérimentations! Je n'ai pas de programme poétique ou philosophique, mais je suis une logique musicale: je cherche à équilibrer gravité et légèreté, à donner un rythme au récit par le biais des lettres et du narrateur – ses interventions sporadiques instaurent un écart entre moi et le personnage de Maurice. Cette juxtaposition de discours génère des ruptures, des changements de ton, qui créent une distance et une tension. Ainsi le roman est dynamique malgré l'absence d'histoire. Il y a aussi ce mystérieux violoncelle qui joue quelque part, suscitant une attente – la seule du roman peut-être. Même si, au fond, Maurice n'a pas vraiment envie de savoir qui joue, car cela le forcerait à avoir une interaction sociale – pour moi également, il est plus facile de ne pas voir les gens et j'aimais davantage les relations sociales quand j'étais plus jeune. Mais ça n'est pas bien! (rire) La Bible dit qu'il ne faut pas être seul, je cite d'ailleurs ce passage dans Maurice

Quel regard portez-vous sur vos personnages?

J'ai pour eux beaucoup de tendresse. Ce sont des paumés de la vie, mais ils sont là et essayent d'avancer malgré tout. Ils inspirent de la pitié, ils sont ridicules, mais le regard que je porte sur eux n'est jamais méchant ni cruel, simplement humain. Des lecteurs ont trouvé «horrible, sans pitié», la manière dont je décris la mère de Maurice. Mais je l'aime bien, elle est victime, et en même temps je hais cette vieille qui n'a jamais pensé de sa vie. Elle est comme ça, il faut l'accepter et l'écrire. C'est une question d'équilibre: je ne veux pas prendre parti pour ou contre, mais demeurer dans l'indécis.

Une indécision qui renvoie le lecteur à sa responsabilité.

Oui, c'est à lui de s'emparer du texte et de donner le rythme, de choisir son versant – grave ou drôle –, ou de vibrer dans les deux registres en même temps. Mais attention, il ne s'agit pas d'un effort intellectuel ni d'un concept, je veux raconter! Tout se passe dans l'immédiat, dans le mouvement même de la lecture.

Tous les lecteurs perçoivent-ils ces deux facettes?

J'estime en effet que mes textes sont comiques et tristes à la fois. En France et en Suisse, les gens rient et cela me fait très plaisir. Mais en Allemagne, le côté comique n'est absolument pas perçu – on n'y voit pas non plus la profondeur de Robert Walser, mais seulement son côté léger. Le public francophone a un autre arrière-plan culturel et littéraire – le mot «caustique» n'existe pas en allemand, par exemple. Mais la traduction rend-elle mes livres plus drôles? Ou alors est-ce l'humour suisse qui est différent, puisque les Alémaniques rient aussi? Mystère!

Vous vivez à Berlin depuis 1980. Qu'y avez-vous trouvé?

Je voulais être comédien, j'adorais jouer mais c'était catastrophique: je suis donc venu à Berlin afin de corriger mon accent suisse allemand. Ça n'a servi à rien, mais j'y suis resté. Je vis dans un quartier de l'ancien Berlin-Ouest où il n'y a aucune vie nocturne et c'est vraiment le grand luxe: les rues sont très larges et toujours vides, calmes. Les Berlinois définissent leur ville comme une grande métropole, très vivante, etc. Mais c'est une ville très étendue, avec beaucoup d'espace et des petits quartiers, dont certains sont aujourd'hui animés – je suis d'ailleurs toujours surpris quand j'y vais le soir, c'est comme si j'étais dans une autre ville. Je me dis alors qu'il faut que je déménage, mais en fait j'aime être seul.

L'Heure bleue ou la nuit des pirates, L'Invitation ou La Commissaire chantante avaient reçu un accueil chaleureux à Genève. Vos pièces sont-elles jouées à Berlin, et quelle est leur réception?

Elles sont peu jouées. Mes pièces sont très écrites, j'aime les acteurs qui parlent beaucoup. A Genève, j'avais mis en scène La Commissaire chantante , exemple extrême d'un personnage qui parle sur scène. Or le théâtre aujourd'hui a tendance à délaisser le texte pour l'image, le son, le multimédia, etc. La tendance à la logorrhée pourrait revenir, à condition de le faire de façon consciente et non au premier degré. Le théâtre est souvent une question de mode, il se doit d'être jeune et branché, il faut être dans le milieu et il existe aujourd'hui beaucoup de styles différents – parfois des sommets de théâtre, parfois nul. Mais les modes et les pièces changent vite.

Quelle différence y a-t-il pour vous dans l'écriture romanesque, théâtrale et cinématographique – vous avez également réalisé trois films?

Mes pièces de théâtre sont plutôt des monologues: les personnages parlent beaucoup mais ne se comprennent pas, ils sont très seuls et clos dans leurs univers – comme Maurice –, ils essayent d'entrer en contact mais se croisent, se manquent. La dimension temporelle du théâtre impose de tenir dans un certain cadre, de retenir les gens pendant deux heures par exemple. Alors que je ne suis pas responsable du temps de la lecture du roman, le temps réel du théâtre demande de trouver des solutions, de convaincre, d'attirer l'attention. Ce public qu'on ne doit pas perdre crée une tension insupportable pour le metteur en scène. Je me sens beaucoup plus libre dans le roman. Au cinéma, c'est encore plus difficile. Le rythme y est très important sous peine d'être ennuyeux, mais le matériau filmé n'est pas infini et chaque nouvelle prise coûte: le montage laisse peu de latitude. Si j'ai la chance de tourner un quatrième film, je travaillerai des mois à imaginer le rythme dans tous ses détails. Quand on écrit un roman, on peut sans cesse relire, réécrire, raccourcir. Et, après huit romans, je peux dire que j'ai une certaine expérience dans l'écriture de livres où il n'y a pas d'histoire!

Propos recueillis par Anne Pitteloud

 

  En bref

In breve in italiano

In Maurice à la poule [ Maurice con pollo ], Matthias Zschokke mette in scena un personaggio sfaccendato che cerca di far fronte al vuoto. L'autore bernese stabilitosi a Berlino giostra magnificamente sul filo teso tra la malinconia e la derisione, la dolcezza e il dolore.
L'esplorazione della solitudine - al tempo stesso tenera e strampalata - che sta alla base di ogni uomo è anche al centro delle sue tre opere teatrali, appena tradotte in francese simultaneamente: La commissaire chantante [ La commissaria melodiosa ] , L'ami riche [ L'amico ricco ] e L'Invitation [ L'invito ].

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Kurz und deutsch

In Maurice mit Huhn ( Maurice à la poule , Edition Zoé 2009) lässt Matthias Zschokke die Figur eines Untätigen agieren, der sich der Leere zu stellen versucht. Der in Berlin lebende Berner Autor lässt gekonnt Töne zwischen Melancholie und Spott, zwischen Herz und Schmerz anklingen. Seine zugleich zarte und drollige Erkundung der grundsätzlichen Einsamkeit eines jeden von uns steht auch im Zentrum der drei Theaterstücke, die jetzt gleichzeitig in französischer Übersetzung erscheinen - La Commissaire chantante , L'Ami riche und L'Invitation .

 

Page créée le: 12.06.09
Dernière mise à jour le: 12.06.09

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