LITTÉRATURE | Thierry Luterbacher
remet ça
Les Spendides Hasards d'un Biennois
inspiré
Par Catherine Favre
Ecrivain, dramaturge, réalisateur
de films, peintre, journaliste... Thierry Luterbacher est
un touche-à-tout mû par la passion généreuse
de ceux qui ne se résignent pas à la barbarie
des hommes.
Catherine favre
Après un premier roman très
remarqué, «Le Cerisier dans l'escalier»,
couronné de nombreuses distinctions (Prix Georges-Nicole,
Prix du canton de Berne et Prix Saint-Valentin), Thierry
Luterbacher publie un deuxième livre, «Le Splendide
Hasard des pauvres», chez l'éditeur Bernard
Campiche. Avec ce récit articulé en deux strates
autour des affres d'un écrivain miné par la
célébrité, l'auteur s'affirme dans
la voie d'une écriture originale, ramassée
comme «un cri de rage et de colère» qui
claque et explose à chaque page. Le verbe y est charmeur,
caustique, sarcastique; un ton sombre singulièrement
éloigné du lyrisme baroque du «Cerisier
dans l'escalier». Rencontre au Salon du livre de Genève
avec «celui qui parlait comme un vieil Indien»,
titre du film que Luterbacher vient de consacrer à
un autre Mohican, le chanteur Michel Bühler.
Avec ce deuxième roman, on vous
attend un peu au tournant?
Il paraît oui... Pour ma part,
j'éprouve une sorte de curiosité nerveuse,
sans plus. J'avais commencé ce livre bien avant la
publication du «Cerisier dans l'escalier» et
tout le ramdam qui a suivi. Toutefois, pour ce deuxième
livre, je me suis astreint à une exigence de concision,
une intransigeance que je n'avais pas précédemment.
Et alors?
J'ai passé de l'euphorie à
l'abattement. Finalement, après avoir travaillé
le texte au moins six fois et un entretien mémorable
avec mon éditeur d'où je suis ressorti complètement
épuisé, je me suis jeté sur ce manuscrit
comme une bête affamée. J'ai passé dix
jours - ou plutôt dix nuits d'insomnie - à
le retravailler entièrement... J'ai élagué,
sabré, traqué la moindre mauvaise herbe pour
ne garder que les phrases coups de poing...
Votre héros, cet écrivain
à succès... c'est un peu vous?
Ce n'est pas autobiographique, ce
serait vraiment présomptueux, mais comme toujours
je mets des morceaux de moi-même dans mes personnages....
L'idée de cette histoire a germé à
la dernière Exposition suisse de sculpture en juin
2000 autour d'une réflexion sur l'utile et l'inutile;
une ¦uvre était dédiée à
«Martin Eden», roman de Jack London. Cela m'a
donné envie de reprendre ce personnage issu d'un
milieu prolétaire, refusant de comprendre que ceux
qui le méprisaient alors qu'il était pauvre,
le louent une fois devenu célèbre. Dans mon
livre, les personnes qui écrasaient et humiliaient
le père et la mère de Youri Suarez, le personnage
de mon roman, lui déroulent maintenant un tapis rouge.
La célébrité est une supercherie qui
mine, détruit; un élixir qui dévore
la nature humaine...
Dites-donc... pour un auteur qui cumule
les distinctions littéraires, célébré
par PPDA, fêté par le gotha parisien...!?
... oui bien sûr, c'était
assez impressionnant d'être reçu par Poivre
d'Arvor dans les salons de l'hôtel Ritz à Paris
où se déroulait en mon honneur la cérémonie
du «Prix Saint-Valentin». Mais rien n'a changé,
je ne vis pas à l'envers de mes rêves. J'ai
vieilli, mais le sentiment de révolte est intact;
l'injustice, d'où qu'elle vienne, m'est intolérable;
la forme la plus insoutenable du mépris social est
certainement le regard de condescendance qui pèse
sur ceux qui n'appartiennent pas à la même
«caste». Mon livre est un cri de rage: je suis
resté le même homme alors pourquoi? Seul un
ancien maître d'école refuse de célébrer
Youri Suarez. L'enseignant qui le raillait, l'écrasait
de ses sarcasmes, continue à ne pas l'aimer et Suarez
le remercie de son honnêteté, d'être
resté fidèle à sa haine. Il préfère
l'antipathie du vieux professeur à la flagornerie
des autres.
Maintenant que vous avez vos entrées
dans les cénacles du Tout-Paris... vous allez rester
fidèle à votre éditeur vaudois?
Ma réponse se trouve dans
mon livre. Suarez reste fidèle à l'éditrice
qui lui a fait confiance à ses débuts, au
même titre qu'il demeure attaché à l'hôtel
du temps de la galère. Campiche est l'éditeur
qui m'a donné ma chance, la publication d'un premier
roman est une émotion extraordinaire, unique; en
changeant d'éditeur j'aurais l'impression de me trahir
moi-même, de renier mes convictions et ça,
ce n'est vraiment pas mon genre...
... et l'ambiance vin blanc - petits
fours du Salon de Genève... c'est votre genre?
Non plus. Mais les mondanités
à Palexpo sont tout à fait secondaires. Contrairement
aux vernissages d'exposition qui restent l'apanage de petits
cercles restreints, fermés, le salon rallie absolument
toutes les couches sociales, toutes les générations.
D'habitude je fuis les bains de foule, mais là, c'est
différent, c'est l'occasion d'aller à la rencontre
de mes lecteurs. C. F.
«Le Splendide Hasard des pauvres»,
par Thierry Luterbacher, Bernard Campiche Editeur.
02.05.2003
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