Les formes d'expression de la
peinture walsérienne.
1.1. L'ut pictura poesis walsérien.
1.1.1. Déviances stylistiques.
Au cour de cette problématique
d'ensemble sur l'écriture critique, voire mimétique
de Robert Walser avec la peinture, se trouve soulevée
la relation plus instable entre la peinture et la poésie,
entre ce qu'on pourrait qualifier de " erzählte
Bilder " et de " gemalte Texte." Cette concomitance
se lit volontiers entre les lignes de Ein Maler par exemple.
T.S Evans pose indirectement une question fondamentale dans
un article s'intéressant à cette sorte de
synesthésie esthétique lorsqu'elle déclare
:" why and how did Walser write about painters and
paintings if art is discussed in the local grocery store
as if it were a ' bouillon cube'." L'image du 'bouillon
cube' associe avec justesse les éléments du
feu et de l'eau, et porte à une possible distillation
de la peinture dans la poésie, oul'inverse. Cet engagement
esthétique en faveur d'une composition de la peinture
avec les mots rappelle les confusions de la Renaissance.
Dans un style littéraire le plus souvent, les peintres
de la Renaissance ont essayé de masquer leur compréhension
de la nature derrière des figures rhétoriques
davantage mises à profit en poésie. De même,
les poètes et écrivains rénovent en
profondeur leur art de manière à conjuguer
inspirations antiques et nouvelles figures allégoriques.
Ce qui devait insuffler un courant nouveau à l'Europe
se traduit par la suite par un style exagérément
ronflant, maniériste. Réduits à imiter
la " maniera " des Anciens, ces artistes parmi
lesquels on compte Arcimboldo, ou encore Pontorno, marquaient
leur besoin de rompre avec une peinture seulement figurative,
ils souhaitaient avant toute chose arriver à un équilibre
esthétique entre le sujet et l'objet et affirmer
ainsi leur volonté d'aller au-delà du naturel.
Robert Walser a été particulièrement
sensible à ces différentes orientations esthétiques
comme ceci transpire lorsqu'il parle de Bruegel, et participe
indirectement à la redécouverte du courant
maniériste en ce début de 20ème siècle.
Dans son ouvre, il se plait à esquisser les traits
d'un homme capable de dépasser les préceptes
de l'ut pictura antique afin d'opérer un changement
de compréhension dans le rapport entre les arts,
entre la main et le pinceau." L'oil est comme un oiseau
de proie, écrit-il dans Ein Maler, il perçoit
la moindre déviation d'un mouvement. Et la main de
son côté redoute l'oil dont elle est l'éternel
souffre-douleur." Un article de Renata Buzzo Margari,
intitulé simulation d'un échec, tient à
faire la distinction établie implicitement par Walser
dans les Enfants Tanner entre peintre et paysagiste . Walser,
nous apprend R. B Margari, acquiesce volontiers à
ce " caractère décoratif de l'écriture."
Et d'y voir, par delà cette surimpression, la présence
forte d'un " 'moi poétique' qui, construit selon
une intention artistique précise, renferme les fragments
d'une intériorité fondamentalement inconnaissable."
1.1.2. Une archéologie picturale.
Ulf Bleckmann, dans son article Thematisierung
und Realisierung der bildenden Kunst im Werk Robert Walsers,
montre la difficile lecture du binôme écriture/peinture
dans le travail walsérien. Cette dernière
ne considère plus sa recherche littéraire
que comme un contenu désorganisé d'images
poétiques sans lien particulier les uns avec les
autres. Elle devine, dans le travail de Robert Walser, un
réseau sous-tendant l'ensemble de sa réflexion
sur l'art, une sorte de trame archéologique et sémiotique
qui sereporterait presque fidèlement dans chacun
des 'tableaux-poèmes' ; relecture à laquelle
le lecteur participerait activement. En effet, c'est lui
qui rompt l'isolement de l'image poétique lorsqu'il
se décide à l'investir à l'intérieur
de sa conception imaginaire du tableau. D'un geste de dépit,
d'abord, il se désengage de ce poème qu'il
ne comprend pas, mais bien rapidement de se raviser, et
de poursuivre de l'intérieur le cheminement walsérien.
Walser perçoit de son côté dans la toile
ce que Ulf Bleckmann nomme un " potentiel narratif
" qui lui permet de laisser libre cours à son
imagination et de construire autour du tableau sa propre
histoire. Cette deuxième perception du tableau explique
les possibles erreurs de retranscription qui ne pouvaient
pas être seulement imputables à une défaillance
mnésique. Ces erreurs réfléchies témoignent
d'une sorte de liberté intrinsèque contenue
dans la toile et que l'écrivain visionnaire met à
jour. Dans das Ankeralbum et ein ABC in Bilbern von Max
Liebermann, Walser s'acharne à raconter sans mot,
à disparaître et à s'oublier dans l'image
poétique." Walser's language, écrit Susan
Bernofsky, tends to call attention to itself by other, more
playful means, flirting with awkwardness, affecting a bureaucratic-sounding
or sublime tone in discussing trifles, or making logical
connections based, often comically, on the sounds of the
words involved rather than their meanings." Cette tentative
fait écho aux expérimentations provocantes
d'Apollinaire dont les calligrammes adoptent la forme d'un
dessin et d'un poème se lisant comme des saccades
ou des circonvolutions graphiques afin d'approcher simultanément
et la portée sémantique du texte et son poids
visuel. Le vers pour Apollinaire devient le lieux de toutes
les facéties figuratives, de toutes les expériences
visuelles. Dans ces deux poèmes en prose, le message
poétique est véhiculé par le poids
de l'expérience qui semble le seul à même
de donner un certain dynamisme à l'ensemble. L'écrivain
cherche à établir un mouvement unifiant le
sens et la forme par delà toute allégeance
à un ordre supérieur, il nuance ensuite à
partir de ce thème les possibilités d'investigation
afin d'en accroître le sens. Ainsi, l'image n'a plus
rien de l'unité, elle brille par ses combinaisons
réutilisables à l'infini. Robert Walser écrit
sur des supports aussi divers que des papiers d'emballage,
des articles de journaux, des feuilles de calendrier que
des lettres de refus d'éditeurs potentiels comme
s'il désirait ainsi renvoyer à la face du
monde toute son amertume. Création esthétique,
ils revêtent un aspect pictural certain. Paradoxe
suprême : l'écrivain cherche à réduire
de plus en plus son écriture afin que ce repli sur
soi puisse lui offrir le plus de lisibilité possible.
Il existe 526 de ces compositions dites en microgrammes
conservées aux archives Robert Walser à propos
desquels Carl Seeling écrivait dès 1957 :
" Cette écriture secrète non déchiffrable
inventée par le poète dans les années
vingt et qu' il a utilisée dès le début
de sa mélancolie doit sans doute être interprétée
comme une fuite timide hors de la vue du public, comme un
ravissant camouflage calligraphique destiné à
lui cacher ses idées." A la manière d'un
César, peut-être, il compresse son texte poétique
et adopte le ton "leichtfertig oder kindlich oder weitschweifig,
der Ton von flüchtigen Worten, die von selbst verklingen."
En quête de disparition, Robert Walser ressemble à
ces artistes japonais qui peignent de plus en plus petitement
et qui décident de poser leur pinceau pour se peindre
entrant dans leur création. Les microgrammes walsériens
peuvent être lus en terme de mouvement interne comme
la tension " insistante d'un 'moi' suspendue entre
le figürlich et l'autorlich, le rapport ambigu entre
ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas, la tension entre
le travail d'artiste et le travail subalterne, le plaisir
de servir, de se faire petit." Autant que faire se
peut, l'écrivain essaie, futilement, de remplir cette
feuille, d'empeser ses idées dans le mot, de les
remettre entre les mains de quelque chose de concret et
de fixe, de les enveloppe à l'intérieur d'un
tissu de significations qui s'écrasent contre le
mur de la réalité. A l'origine orienté
vers un commentaire sur les manuscrits de Walser, l'article
d'Hans Nöhbauer exploite l'image de Champollion pour
rendre compte de la tâche pharaonique de Echte et
Greven. Ces petites proses le rendaient grands. En ce soir
de Décembre 56, tout restait à écrire,
à retrouver sur ce tapis de neige immaculée.
Il meurt dans le froid, laissant aux générations
futures le soin d'apprendre son alphabet. Son écriture
menait à une destitution de la lisibilité,
programmait un abandon de la lecture, et cependant, certain
se sont aventurés dans des sphères inexplorées
jusque là, dans lesquelles le texte walsérien
était encore épointé par un crayon
intéressé par le seul mouvement de la main
qui l'entraîne de gauche à droite, de haut
en bas. "Wie ein Detektiv muss der Herausgeber dabei
auf die unscheinbarsten Kleinigkeiten achten, muss sehen
welches Papier verwendet wurde und ob irgendhein Aufdruck
zu finden ist, denn Walser bevorzugte für die erste
Niderschrift gern alte Notizblätter, Fetzen von Packpapier,
Teil,. " L'écrivain a une vision intuitive du
monde et accorde un support matériel à sa
réflexion, son discours poétique ne repose
pas sur rien, sur le glacis d'une feuille sagement décrochée
d'un carnet tout neuf, les mots sont déjà
comme des récupérations, des vieilleries qu'on
poserait à plat. Sa démarche se prête
volontiers à un conception recyclée du langage
poétique. "It seems that Walser's choice of
these papers was deliberate, écrit-on dans un article
s'interrogeant sur la relation entre Walser et l'artiste
Joan Nelson, not necessitated by financial constraints.
Artistic concerns and a delight in playing informed his
fiction from the beginning. Walser accepted the size of
these envelopes or letters as parameters of his own narrative.
Indeed, he often cut the sheets into the smallest possible
rectangle and adapted the lenght of his texts accordingly.
" Se servant de support aussi divers, il témoigne
d'une volonté de délivrer son message dans
le quotidien , dans le 'tous les jours.' Klee utilise à
des fins signifiantes le papier journal afin de distinguer
l'atemporalité de son travail avec le quotidien,
Walser, au contraire, isolé des événements
politiques, se plaque contre l'histoire, tout contre. La
prose se promène sur ces instants présents
afin deréinventer une autre forme de représentation
palimpseste, le peintre walsérien s'aventurant toujours
au-delà des choses. Son Verbe part d'un point-limite
et s'étend, mystérieuse et froide, dans la
plénitude de sa réflexion. C'est pour cette
direction qu'il faut comprendre pourquoi il écrit
avec autant d'insensibilité : sachant peut-être
qu'il n'exprimera rien, il exprime tout. " Ja, es gab
Leute, die ihn um seines Sehnens willen, etwas Schönes
und nützliches aus sich zu machen, liebten .Jedenfalls
strebte er nachhaltig nach diesem und jenem." Une chanson
d'Olivier Messiaen, Le vitrail et des oiseaux, évoque
cette volonté de percevoir un monde de derrière.
1.1.3. Définition personnelle
de l'Art Bildnis.
" Prosa, écrit Tanja
Baumann, ist für ihn die Sprache der Kunstgeschichte
und Kunstkritik." Chez ce dernier, le concept du "
texte-image " est prégnant, et ce, jusque dans
les lettres qu'il écrit à son éditeur
à propos d'une possible illustration du volume Seeland."
Aufrichtig gesprochen bin ich immerhin überzeugt, dass
gerade Seeland sich entweder keineswegs oder nur in geringem,
d. h. in allzu geringem Grad zum illustrieren eignet, und
zwar deshalb nicht, weil der Autor hier zu wenig Lücken
offen lässt, mit der Schreibfeder, mit den sprachlichen
Worten - malt und illustriert." Seul Karl voit les
textes de son frère jusqu'à atteindre une
vision presque idéelle de son travail. L'un, nous
explique Tanja Baumann, " der erste transformiert einen
wirkliche existierenden Baum in ein Bild, der zweite transformiert
das Bild in einen Text." Dans cet enfilement de subjectivité,
l'écrivain a-t-il amoindri la perception de la réalité
ou l'a-t-il renforcée dans sa véritable signification.
Magritte parlera en 1930 de " trahison des images."
Walser expérimente une nouvelle approche de l'art
critique en burinant son langage de manière à
ôter au tableau toute maladresse, toute scorie. Il
fait en sorte de rendre le motif aussi familier et aussi
sympathique que possible et de résorber l'écart
entre celui-ci et le discours poétique. " Ebenso
wie der Rezipient eines Kunstwerks durch eine allzu genaue
Darstellung ermüdet und umgekehrt durch eine verschwiegene
Gestaltung in seinem (nach-) schaffenden Vermögen bestärkt
wird, erfährt auch der Inhalt eines Kunstwerks durch
dieses Verfahren eine Belebung, durch jenes aber eine petrifizierende
Fest-Stellung " remarque Ulf Bleckmann. L'écrivain
n'arrache des tableaux que des détails prégnants
autour desquels il s'arrange de sa rêverie. Son univers
poétique ne se dessine pas exactement sur les lignes
de la toile, il le thématise plus volontiers afin
de grandement l'investir d'une autre modalité expressive.
Sans cela, la toile se pétrifierait et mourrait sans
que personne ne se souvienne plus d'elle. Robert Walser,
selon Bleckmann, reprend à partir d'un matériau
littéraire ou pictural existants un thème
qu'il conceptualise. Lorsqu'il écrit sur la peinture,
il n'esquisse qu'une toile de fond sur laquelle il jette
ses impressions premières. Par là même,
il lui est plus facile de se détacher du tableau
originel pour se retirer à l'intérieur de
sa propre création. Par pudeur, encore étonné
peut-être de son larcin, il tente de mimer ironiquement
toujours un geste de recul, un geste de dépit. Mais
alors qu'il croit ne valoir rien en s'assujettissant les
créations d'autrui, il commet là sa plus impardonnable
bévue. Walser, à forcer le trait, tombe dans
lepiège de la caricature. Ses poèmes en prose
sont autant de portraits personnels qu'il se plait à
se reconnaître de double. Dédoubler sa manière
de voir le monde l'amène à tourner plus facilement
autour de lui-même, à apprécier la profondeur
de sa personne. Ces nouvelles perspectives ne le confinent
plus dans la seule phrase, l'écrivain se libère
de cette écriture fausse qui ne vise qu'à
remplir uniformément la page pour écrire en
mots de couleur des tableaux qui éclatent de mille
feux. Bleckman élabore une théorie en trois
temps dans laquelle Walser imagine, envisage puis intériorise
le tableau. Dans un premier moment, l'écrivain est
celui qui imagine une fiction qui " vor dem im Bild
festgehaltenen Zustand liegt, so dass sich die Erzählung
gleichsam auf das Bild zubewegt und dieses zum Ziel von
jener wird." Ensuite, cette narration est envisagée
dans une acception moins rigoureuse de manière à
permettre une introspection dans l'univers intérieur
de Walser. Ce mouvement particulier rappelle les jours de
fête où l'on tire un feu d'artifice et où
l'on redevient un enfant. L'écriture walsérienne
va ainsi, elle se jette dans le blanc inquiétant
de la page pour s'éployer dans des filaments de lumière
qui retombent en émotions enfantines. Pour l'écrivain,
l'art permet d'assigner un rôle à chacune des
figures qui le hantent. A loisir, il intervertit les caractéristiques
propres en ayant soin de toujours garder la même forme.
La critique parle de 'figure' pour tenter d'apposer une
grille de lecture sur l'ouvre walsérienne, mais elle
se bat contre des moulins à vent tant cette dernière
est ductile. Elle n'a d'autre recours que de montrer comment
le narrateur permet à une " Art Bild "
d'être une " Art Bildnis ", comment l'image
poétique se singularise en devenant comme une icône."
Le peintre, remarque Renata Buzzo Margari, constituerait
donc pour l'écrivain comme un point de référence
nécessaire, une sorte d'alter ego positif, dont le
succès souligne et rend irrévocable sa propre
négativité." Le noyau 'irradiant' de
notre travail est là mis à plat, lequel renforce
l'idée d'une sorte d'inhérence, de concomitance
entre le peintre et l'écrivain chez Robert Walser,
tant l'un permet à l'autre de retrouver son "
équilibre instable." Ce mouvement de l'écrivain
vers le peintre, cette démarche esthétique
en somme, le rend plus vrai, moins complaisant à
l'égard de sa propre disparition, mais il implique
aussi " une comparaison plus ou moins explicite avec
le procédé verbal et le procédé
pictural." Walser écoute le langage secret de
la nature afin de ne pas s'empêtrer les pieds dans
une description trop détaillée. Il préfère
à ces dispositions réalistes - notons qu'il
n'a guère écrit sur le mouvement réaliste
- une forme d'art plus cérébrale, et plus
lyrique à la fois, qui " sert surtout à
créer des arabesques verbales modelées selon
une ligne ondulée typique du Jugendstil. Mais cette
ondulation est très souvent interrompue par une pointe
d'ironie ou une réflexion insistante sur le langage."
Un tel jeu de ricochet laisse une succession de cercles
concentriques à la surface de son écriture
de manière à ce que les propos ironiques ou
profonds temporisent l'action. Dès lors, le langage
ornemental fait partie intégrante du processus scriptural.
L'esthéticien italien, Giorgio Agamben, engage dans
La communauté qui vient une réflexion sur
l'indétermination en tant que tel, c'est-à-dire
se sachant elle-même indétermination. Walser
a fait le choix légitime de cette disparition, de
cette " déroute " pour Nicolas Bouvier,
de cet état " quelconque " pour Agamben.
A aucun moment, il ne s'émeut du sort de Vincent
van Gogh, de son existence misérable dans laquelle
il peignait pour ne pas se consumer dans la mesure où
il se définit volontiers " nach " cette
exigence d'indétermination." Ce que le quelconque
ajoute à la singularité n'est qu'un vide,
une limite ; le quelconque est une singularité plus
un espace vide, une singularité finie et, toutefois,
indéterminable selon un concept " écrit
Agamben avant de poursuivre : " mais une singularité
plus un espace vide ne peut être autre chose qu'une
extériorité pure, une pure exposition."
Le personnage walsérien, en homme arrivé,
cristallise, un instant, son besoin de reprendre son souffle
sur la page, puis, voyant qu'il ne peut saisir le "
concept " repart en quête de cette " pure
exposition." Les toiles d'un Rembrandt ou d'un Fragonard
dessinent dans son esprit un lieu de création, une
sorte de béance infinie par l'intermédiaire
de laquelle son imagination de poète se distingue
de celle du peintre. Walser représente l'archétype
du héros solaire qui " a cru qu'il pouvait éblouir
la vie en écrivant comme une tempête de grandes
choses (.) mais de plus en plus, il s'est retiré
dans un petit trou de souris." Il endosse le costume
d'un " schaffende Maler " qui recrée "
beyond the reaches of painting " un monde quelconque
prônant les valeurs singulières de la métaphore.
1.2. La métaphore romantique
de la forêt.
1.2.1. Le langage secret de la nature.
L'usage de la figure de style ne
correspond pas comme dans la critique d'un Diderot à
une ornementation, elle ouvre sur un espace personnel dans
lequel Walser " benutzt Metaphern aus dem Bereich der
bildenden Kunst nicht nur, um seine Prosastücke zu
betiteln ; seine Äusserungen über die Malerei
und Zeichenkunst stehen oft in nächster Nähe zu
seinen poetologischen Überlegungen und können
dann selbst als solche gelesen werden." La forêt
dans l'ouvre de Walser représente le modèle
paradigmatique de la nature, qui évoque dans son
esprit un langage personnel fait de bruissements de feuilles
et de chuchotements. Dans les Enfants Tanner déjà,
Sylvie apparaît comme une fée de la maison.
Elle est associée à l'idée de promenade
et reste indissociable du destin de l'homme. Mais ce rapport
particulier éclate avec plus de force dans un poème
en prose composé en l'honneur du peintre français,
Narcisse Diaz de la Pena. Ce dernier appartient à
l'école paysagiste de Barbizon, désireuse
de récuser les sujets d'inspiration religieuse et
la peinture d'atelier pour leur préférer le
motif en extérieur. Dès 1836, Théodore
Rousseau invite à Barbizon les artistes, dont Diaz,
voulant se libérer du joug académique et ouvrir
la voie à un mouvement paysagiste moderne. Jusqu'alors,
la peinture de paysage est considérée comme
un genre mineur, et ne trouve de justification sérieuse
que par l'intermédiaire de références
religieuses, historiques ou mythologiques. Succédant
au mouvement romantique, qui a été l'élément
libérateur ayant permis l'épanouissement du
panthéisme, le naturalisme s'affiche en faux contre
les dogmes du passé. La forêt de Fontainebleau
offre aux peintres de l'école de Barbizon un cadre
privilégié pour travailler sur le motif et
se rapprocher et se familiariser avec la nature. Des peintres
tels que Millet, invité par Diaz lui-même,
Corot ou encore Charles Jacque, animés d'une semblable
passion, vivent là au gré des saisons les
petits bonheurs et les meurtrissures du monde paysan. A
l'Exposition Universelle de 1855, les peintres paysagistes
se font un nom et reçoivent l'opinion favorable de
critiques tels que Thoré Burger ou de Th. Silvestre.
Millet ira jusqu'à écrire : " qu'on ne
croie pas qu'on me forcera à amoindrir les types
de terroir, j'aimerais ne rien dire que de m'exprimer faiblement."
Les travaux de " Millet le père " sur ce
terroir seront repris par Van Gogh dans des toiles telles
que Le Semeur ou bien Paysan bêchant qui sut reconnaître
en lui un guide spirituel et un maître audacieux.
Le thème de la forêt n'est guère exploité
dans sa recherche esthétique, si ce n'est à
quelques allusions comme dans Le Bûcheron (1889) ou
Ramasseurs de bois mort dans la neige. Cette dernière
toile s'inscrit à l'intérieur d'une entreprise
plus large, celle de composer une copie du cycle des saisons
de Millet. Ce thème reste cependant mineur dans l'ouvre
de Millet qui ne découvrit Barbizon que fort tard,
à l'instar de Diaz chez lequel celui-ci est au cour
d'une démarche esthétique et intellectuelle
presque existentielle. Robert Walser a écrit der
Wald von Diaz de manière originale en ayant soin
de lui sacrifier une autre réalité. Il campe
son histoire " in einem von Diaz gemalten Wald "
et simule un échange entre une mère et son
fils. Surprend-t-il véritablement les propos que
tient la mère à son enfant, lit-il simplement
sur ses lèvres? L'écrivain a-t-il percé
dans ce poème en prose l'instant en suspension qui
se joue entre cette mère et ce fils ou bien a-t-il
été sensible à la solitude de l'enfant
et a tenté de retrouver la mère par l'écriture
? De telles questions sont indissociables afin de comprendre
ce tableau-poème.
1.2.2. La forêt de Diaz.
L'oil de l'écrivain, en effet,
ne se pose pas directement sur un arbre, un sous-bois ou
une clairière, il s'attarde sur l'échange
presque existentiel qui naît au cour de cette forêt,
sur cette sorte de respiration haletante et nasillarde qui
émane du plus profond de l'espace vert. Le paysage,
là, à l'instar de celui chanté par
les peintres de l'école de Barbizon, ne porte en
soi aucune signification, les troncs participent à
ce débat, à cette conduite au même titre
que la mère. A l'image d'un chour antique, ils épient
chaque mouvement de lèvre afin de le retranscrire.
Le poète walsérien capte alors les évanescences
verbales qui se dégagent aussi bien des arbres de
la forêt que du souffle d'effroi né de la conversation.
Le thème de la forêt est exploité par
Walser à seule fin d'argumenter sur la conduite immature
de l'enfant. Il est d'autant plus touché par ses
réprimandes ( ou sa solitude si l'on lit la saynète
plus en avant ) qu'il semble s'y dédoubler. Par l'entremise
de la forêt, l'écrivain entend ces propos moralisants
qui l' atteignent violemment tant il a pu lui-même
les essuyer. La mère ressemble à la marâtre
des contes abandonnant sa progéniture dans l'impénétrable
forêt. Car il faut, nous dévoile en substance
le texte walsérien, que l'enfant apprenne à
penser, la mère le laisse transi de froid aux chuchotements
de cette forêt, qui, nous apprend malicieusement Walser,
représente notre monde." Die Mutter war gegangen.
Das Kind stand allein da. Vor ihm stand die Aufgabe, sich
in der Welt, die auch ein Wald ist, zurechtzufinden, von
sich selbst eine geringe Meinung hegen zu lernen, die Selbstgefälligkeit
aus sich zu vertreiben, damit es gefalle." A l'abri
des regards de la société, cette dernière
enferme pour la mère toutes les paresses, toutes
les
suffisances. Mal lui en prend, cependant, nous dit le narrateur,
qui se range du côté de ce " Kindchen
" pour qui l'odieuse forêt va exacerber son imagination
et va susciter en lui des bourrasques de créativité.
La mère rêve que son rejeton embrasse la carrière
de banquier ou de notable, mais Walser a déjà
ses idées bien rangées sur la question : il
l'honore du costume de l'artiste, qui laissé à
sa solitude, cherche dans la compagnie des arbres une réponse
spirituelle simple. Il commente sur le ton de la plaisanterie
l'irréalité de sa perception du tableau, et
par là même de l'univers tout entier : "
Was in diesem kleinen Aufsatz steht, ist scheinbar sehr
einfach, aber es gibt Zeiten, darin alles Einfache und Leichtbegreifliche
sich vom Menschenverstand total entfernt und daher nur mit
grosser Mühe begriffen wird." La forêt doit
se comprendre comme l'occasion pour l'enfant d'une épiphanie,
d'une révélation du désir fondamental
de son être, d'une " vision panthéiste
de la nature, orchestré par l'homme qui en est le
trait d'union." Il demeure confronté à
un désir qui se sait désir et qui, de ce point
de vue, prolonge la finitude humaine. Les artistes du Land
Art s'inscrivent dans cette mouvance qui établit
avec la nature un lien consanguin afin de sceller plus étroitement
le devenir de l'un avec l'autre." A mi-chemin entre
un vagabondage de la sensibilité à la manière
du voyageur romantique et le refus dadaïste des pratiques
artistiques habituelles " , ce mouvement trouve des
antécédents dans le travail de Robert Walser
pour qui la forêt se voit et s'appréhende au
présent. Dans une de ses pièces, l'écrivain
relate un incendie de forêt, mais reste distant sur
la possible vérité du fait. Il décrit
ainsi les flammes venant lécher la montagne :"
Le jour suivant, chacun put voir à la place de la
montagne verte une montagne noire et fumante, la belle forêt
était calcinée, tous les endroits charmants
et tenus secrets, la mousse sur les hauts rochers, les halliers
de plantes et de buissons, les grands sapins et les chênes
avec leur belle charge de feuilles vertes dans les bras,
tout cela ne faisait plus qu'un spectacle lamentable. "
Et de conclure : " Un peintre a fait de cela un tableau,
il s'appelle Hans Kunz, c'est un ivrogne et un contemplateur
des bonnes mours et des bonnes manières." Encore
une fois, il semble que le tableau du dit Kunz contamine
la description walsérienne de manière à
piquer davantage au vif la curiosité du lecteur.
Ce peintre " in Rosenheim soll, wie Lipowsky, angibt,
um 1334, die Marienstatue, die heute noch als Gnadenbild
auf dem Choraltar der Wallfahrtskirche zu Tutenhausen steht,
geschnitzt haben." Rien ne nous permet d'affirmer avec
certitude qu'il s'agit du peintre graveur auquel fait allusion
Walser dans Un incendie de forêt, mais le thème
de la forêt apparaît, hasard ou non, avec trop
d'insistance pour qu'on ne lui accorde pas crédit.
L'écrivain perçoit la réalité
de la forêt envahie par " cette terrible rougeur
" sous le signe de la métamorphose. Il ne reconnaît
plus dans ce décor apocalyptique les vallons verdoyants
qui donnaient à ses rêveries un goût
si authentique." Quelquefois, remarque-t-il, cela ressemblait
à une peinture murale de grand format, une fresque
décorative, représentant un incendie, jusqu'à
ce qu'un bruit quelconque vint nous rappeler la plastique
et mobile réalité." Médiation
entre la terre et le ciel, entre le terreux, l'humain, et
le céleste, l'arbre possède chez Walserune
forte valeur expressive et renseigne sur sa propre sensibilité.
On se souvient du dramatique contenu dans la peinture d'une
forêt chez Dürer ou encore Ruysdaël et du
passage presque messianique du plus sombre à la lumière.
Dans un incendie de forêt, le " schaffende Maler
" embrase l'horizon de manière mystique et rend
plus proche, non le crépitement du feu, mais le feu
lui-même. Dans Vorschule der Ästhetik, Caspar
David Friedrich écrivait : " der Maler soll
nicht blos malen was er vor sich sieht, sondern auch was
er in sich sieht. Sieht er aber nichts in sich, so unterlasse
er auch zu malen, was er vor sich sieht." Nous voilà
au cour de sa peinture : une maîtrise parfaite du
détail, une sensibilité encourageant la rêverie,
une nature infinie décrite par un regard fini. Walser
se réclame de ce peintre nouveau qui ne peut encore
directement regarder " in sich " ( Cf. le surréalisme
) " Il n'y a que des fumistes pour vouloir étudier,
peindre, et rassembler des observations, écrit-il
dans l'Institut Benjamenta. Qu'on vive d'abord, et les observations
se feront d'elles-mêmes." Et il se tourne, gêné
par son audace, vers la nature dans la mesure où
il a une vision parcellaire de cette réalité
qu'il agence, ordonne et unifie dans le rêve. On est
loin des élans passionnés des écrivains
romantiques, cependant, puisqu'il éprouve à
l'égard de cette nature les mêmes sentiments
qu'une mère a pour son fils. Cette faculté
de voir doublement lui permet de reconquérir le monde
des hommes en donnant un nom aux choses, et en comprenant
ses contraintes." Eine ganze Generation , écrit
métaphoriquement Walser dans Eine Art Bild, war anschienend
aufs Wandern im Freien versessen. Nun ist ja häufiges
Umherspazieren zweifellos gesund, verführt jedoch anderseits,
uns illusionistische Lebensauffassungen anzueignen, d.h
sich über sich und die Mitwelt angenehm zu täuschen."
Pour Frenhofern, dans Le chef-d'ouvre inconnu de Balzac,
la ligne est une pure création humaine pour suppléer
à la béance qu'il suppose entre lui et la
nature. La ligne n'évoque que cette intention avortée
de coloriser la nature. Pour cette dernière, nous
dit le maître, tout se tient : le rouge des feuilles
d'Automne, diluées par la rosée du matin,
s'atténue dans le blanc du ciel . Tout doit être
subordonné à de telles compositions de couleurs,
lesquelles n'interviennent en rien dans les contours, remplissages
ou autre débordements. Paradoxe : la nature ne déborde
jamais, et cependant elle ne peut se limiter à un
simple coloriage d'espace. Devant Catherine Lescault, son
modèle imaginaire, voilà les propos qu'il
tient : " vous ne vous attendiez pas à tant
de perfection !Vous êtes devant une femme et vous
cherchez un tableau. Il y a tant de profondeur sur cette
toile, l'air y est si vrai que vous ne pouvez plus le distinguer
de l'air qui nous environne. Où est l'art ? Perdu,
disparu ! Voilà les formes même d'une jeune
fille." Ce discours, en contradiction avec la leçon
de choses tenue par Porbus, met cependant en exergue le
modèle au dépend de la toile, lequel est sorti
de son cadre et se promène dans la réalité.
Seul l'artiste, fatigué par sa longue quête,
voit réaliser son chef d'ouvre : " ce vieillard,
écrit le romancier français, était
devenu, par une transformation subite, l'Art lui-même,
l'art avec ses secrets, ses fougues et ses rêveries."
La vision balzacienne de l'artiste sublime imprègne
cette allégorie, dans laquelle l'art, chagrin, à
la fois synonyme de vitalité et de démesure,
consumerait l'homme et le grandirait. On perçoit
ce double mouvement dans les poèmes en prose de Robert
Walser, mais ce dans l'unité de l'écriture.
1.3. Le mot en mouvement.
1.3.1. L'alphabet des couleurs.
Il convient de fixer quelques termes
génériques avant de montrer l'art walsérien
donner au quotidien, au banal une tonalité esthétique
manifeste. Les images sont dans son esprit semblables à
des " coupes ", des instants en suspension qui
n'appartiennent aucunement au mouvement. Cette fixité
imprègne par exemple le travail de Cézanne
dont les pommes ne tombent jamais de la table ni ne s'échappent
hors du tableau comme si elles étaient maîtrisées
dans leur élan par la main de l'artiste. A l'instar
du peintre français, Robert Walser écrit d'un
seul jet, se relit rarement. Jamais il ne lui vient à
l'idée de tracer un quadrillage qui délimiterait
sa pensée. Au moment de l'énonciation, l'émerveillement
du regard est tel que le mot acquiert sa propre centralité.
Il est doublement motivé : par sa substitution par
rapport à l'objet pictural et par le regard substantiel
que lui porte l'écrivain. Cette tension entre "
Gleichnis und Rapport " est sensible dans Das Alphabet,
publié en 1921 dans le " Neue Zürcher Zeitung."
" A reitet als Amazone durch eine Allee. Was für
ein nobler prächtiger Anblick. Ick könnte mich
in die schöne Gestalt beinah's verlieben. B ist ein
Berg. Du bist ja auch ein Freund vom Bergsteigen. C bleibt
unbestimmt, aber in D seh'ich eine Droschke, die ins Land
hinausfährt. Gern möcht'ich auch mit drinsitzen."
Walser épelle dans le poème son alphabet de
manière à rendre l'association poétique
la plus vibrante correspondant à la forme de la lettre.
Le C ouvre sur le monde, il ne circonscrit l'espace que
pour mieux lui découvrir d'infini. Le langage se
comprend comme une promenade (Cf. récurrence des
verbes dynamiques.) L'arc-bouture du A évoque dans
l'esprit de Walser une fière amazone chevauchant
son destrier et partant à la conquête des vingt-cinq
autres lettres." M gleicht der Meer. Ich und du und
noch jemand Drittes ergingen uns am kühlen, blumingen
Ufer. Du denkt doch noch bisweilen daran ! N stellt sich
als mondhelle Hacht dar. Ich stehe und schaue wie ein echter
Poet mit Lockenhaar zu den Sternen hinauf. Locken hab' ich
zwar leider keine." Crescendo, l'écrivain va
au contact des mots poétiques de telle sorte qu'il
se construit, à part égal avec le lecteur
pour qui il fait don de son émotion esthétique,
un monde étoilé. Le poète, dans l'esprit
de Walser, apparaît comme celui qui, depuis le langage,
écoute une musique sourde, une musique que seul rend
compte le choc des mots. ( Cf. le jeu des chuintantes et
des dentales dans " ich stehe und schaue wie ein echter
Poet." ) Cette tentative de synesthésie rend
des sons rimbaldiens." A noir, E blanc, I rouge, U
vert, O bleu : voyelles " écrivait le poète
maudit. Robert Walser, de prime abord, ne semble pas écrire
la couleur par les seules voyelles. Son poème jaillit
dans le blanc de la page comme un éclatement solaire.
Depuis cette amazone, cavalière effrayée par
" l'avenir " du texte, le narrateur a réfréné
ses intentions picaresques, voire exotiques. Il a posé
sa plume afin de mieux s'éprendre de cette "
mondhelle Nacht." L'écriture walsérienne
naît de l'écriture elle-même, qui, non
contente d'avancer sur la page, crie son besoin de conter
par la couleur toutes les harmoniques de la nature."
M gleicht dem Meer " :dans ces tableaux successifs,
l'écrivain donne à penser différemment
le mot. Pénurie d'adjectifs dans de telles évocations
qui mettent à profit l'élan interne du texte,
les adjectifs comme " mondhelle " ou " unbestimmt
" portant le véritable sens. Par l'écriture,
Walser réussit à exorciser ses vieux démons
et se réconcilie avec la Lumière." S
breitet sich wie ein See, T leuchtet als goldiger Tag, U
wird wohl der Ulmerdom sein. V hör'ich Vöglein
singen, bei W weht ein Wind, der den Wald rauschen macht.
X hat nix. Über Y weg komm 'ich zu Z, einem Zeitungsbureau
und gehe mein Alphabet ab." Fait à noter : le
U walsérien évoque directement le poème
rimbaldien, en ce sens qu'il s'associe à la nature.
Dans cette ultime strophe, l'écrivain mobilise les
quatre éléments comme pour appuyer l'idée
d'une nature poétisée.
" U, cycles, vibrements divins
des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux. "
Arthur Rimbaud, à travers
ces formes elliptiques, révèle déjà
l'immédiate présente du langage. Le vent,
l'eau et le soleil fonctionnent dans das Alphabet aussi
comme trois déités : la mer, par exemple,
est vue de manière identique, enlevée par
ce " Wind " compris comme le symbole de l'âme
agissante de l'artiste. Le thème de la terre, associé
bassement à "Zeitungsbureau " permet de
faire la distinction avec un poème traditionnel.
Il renvoie à ce qui porte au plus près l'écriture
walsérienne, c'est-à-dire l'acte d'écrire
lui-même.
1.3.2. L'écriture
fantaisiste chez Walser.
Astrid Stark cherche à démontrer
que Les Enfants Tanner joue avec le regard comme s'il s'agissait
d'une arme pour échapper à une écriture
trop aliénante. Simon, selon elle, s'amuse avec les
formes subversives de ce regard qui le place dans un monde
de ' l'entre-deux', entre la double vision du critique et
celle présente de l'homme. Cet article s'insère
dans notre approche critique de la peinture, car il jette
une attention autre sur la compréhension de l'être
et du paraître, et sur le problème de la représentation
en général. Selon Walser, ceci transparaît
clairement dans ses poèmes en prose, Walser n'attend
rien de ses sujets. Il agit comme s'il était unique
maître de sa destinée, et de ce fait, accorde
maigre intérêt, en apparence du moins, au regard
des autres. Pourtant, sans être assujetti à
une quelconque force, il s'effraie souvent à l'idée
de ne pas recevoir en échange les regards qu'il donne.
Monsieur Meili, par exemple, ne lui rend pas, dans La Promenade,
sa malicieuse oillade. Séjournant chez sa sour, Simon
éprouve le regard de la nature, l'apprivoise, joue
avec lui comme d'un " faisceau dans lequel on peut
se déplacer." De retour dans la grande Ville,
une impression de manque le tenaille et lui fait prendre
conscience de son atrophie. Débat roussauiste entre
la nature et la culture, Les Enfants Tanner apparaissent
comme une "cristallisation des aspirations de Simon
et leur matérialisation visuelle." Cette remarque
rend la définition de la peinture plus juste, elle
lui assigne une dimension temporelle. Robert Walser la comprend
comme une fulgurance de couleurs à l'intérieur
d'un cadre fixe. Les images sont comme fixées sur
la cimaise du temps, mais agitées dans un grand vent
de couleurs. Le rêve et la fantaisie inversent les
données initiales et régulent le flux de réalité
jusqu'à en apaiser la représentation. Avant
que l'écrivain ne porte son attention sur le mot
objectivé chaise par exemple, celui-ci n'avait aucun
poids esthétique. Le lecteur de Walser voit pour
la première fois cette chaise, restituée avec
passion, et continue, angéliquement, la promenade
qu'a engagé ce dernier avec les mots.
2.1.
La figure de l'ange.
Quelques occurrences permettent d'affirmer
que cette utilisation de la figure angélique dans
les Prosastücke n'a rien d'hasardeux ni d'abusif. Elle
répond à une volonté signifiante des
plus manifestes. L'ange walsérien est caractérisé
par sa légèreté et sa blancheur, il
s'ébat dans les cieux sans se soucier de l'attraction
terrestre. Il est seul capable d'atteindre à une
conception purifiée du monde, de se placer entre
cette terre qu'on éventre d'un sillon et celle-ci,
plus dansante, qu'on foule lors d'une promenade, et l'écrivain
se prête volontiers dans ses écrits à
de telles évocations. " Du ciel s'ouvrant comme
un rideau, décrit-il dans Les Enfants Tanner, un
ange venait de s'élancer vers la terre."
" Einst dem Grau der Nacht enttaucht
Dann schwer und teuer
Und stark vom Feuer
Abends voll von Gott und gebeugt
Nun ätherlings vom Blau umschauert,
Entschwebt über Firnen
Zu klugen gestirnen."
Etablir une relation entre Robert
Walser et Paul Klee est pure fantaisie dans la mesure où
il semble ne s'être jamais rencontrés ni avoir
parlé l'un de l'autre. "Une étonnante
coïncidence, rapporte cependant Carl Seeling : je lui
raconte [à Walser bien évidemment] que j'ai
appris par son frère Karl que quelqu'un avait proposé
à Cassirer de faire illustrer les poèmes de
Robert et de Morgenstern par Paul Klee. " Et d'ajouter,
presque désappointé: "Mais Morgenstern,
qui était à l'époque lecteur aux éditions
Cassirer, avait décliné cette proposition
parce qu'il trouvait Klee trop maniéré. "
Une relation de principe se dessine entre les textes walsériens
et les tableaux de Paul Klee. Tamara S. Evans compare Walser
à un "Paul Klee in prose " en esquissant
des affinités entre les deux hommes. Dans sa démonstration,
la " ligne active " a ceci de nouveau qu'elle
renseigne sur la relation entre le trait incisif ou caressant
du peintre et le pas traînant ou alerte du promeneur.
Mais cette linéarité walsérienne se
ressent aussi dans la totale compréhension de l'espace
et du temps. De montrer que " the structural impact
of Walser's poems can be better understood with the help
of Klee's theories concerning linear principles. "
Le poème-tableau de Paul Klee, einst dem Grau der
Nacht enttaucht, est composé de manière
instable, et cet " équilibre instable "
pour reprendre le titre d'une toile du même Klee,
est également reconduit par l'emploi dichotomique
et isotopique des milieux aqueux et aérien. Même
si la figure de l'ange n'est pas implicitement développée,
son double mouvement est figuré par les verbes "
enttauchen " (surgir) et " umschauern." (s'envoler)
." Les lignes, constate Bonfand, ne représentent
pas l'ange, elles sont l'ange. " Bachelard ne doit
ni rester en marge d'une possible interprétation
psychanalytique de ces sept vers, qui, comme nous l'apprécierons,
transparaissent aussi chez Walser, ni faire oublier une
possible rêverie des éléments dans son
travail. Entre les deux strophes s'établit un jeu
sonore entre le Blau et le Grau, la couleur de " l'entre-deux
" pour le peintre, entre l'élévation
et le nocturne. Klee rencontre la couleur en Tunisie lors
de son séjour avec Moilliet, et Auguste Macke. "
La couleur me possède, écrit-il dans son Journal.
Point n'est besoin de chercher à la saisir. Elle
me possède, je le sais. Voilà le sens du moment
heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre.
" A partir de cette épiphanie, Klee se démarque
de ses acquis et de ses influences pour mettre en pratique
un art dans lequel le Moi se lit " d'après nature.
" Cependant, cette explication binaire masque l'explication
logique du poème de Paul Klee. En effet, celui-ci
omet d'apposer un sujet à ces deux phrases si l'on
peut ainsi les définir. Qui parle ? De qui est-il
question ? Le déroulement de l'ensemble impose un
sujet renvoyant plus implicitement à un " hors-texte
", à un "hors-tableau." Le titre de
la toile, habituellement fort empreint de poésie,
s'affirme ici comme la reprise décevante du premier
vers. Un passage emprunté aux Enfants Tanner jette
un nouvel éclairage sur le tableau. Walser écrit
à propos de Simon : " il aimait en été
le passage du soir à la nuit, ce lent effacement
de la forêt rougeoyante dans l'obscurité finale
de la nuit." Robert Walser semble moins tourmenté
que Paul Klee ; le glissement du soir à la nuit s'opère
également à l'intérieur de deux phrases,
mais cette fois, celles-ci sont juxtaposées. La première
reprend les substantifs " soir " et " matin
", la seconde la thématique du feu et de l'opacité.
Le " je " du narrateur s'affiche chez Walser avec
beaucoup plus de prise, il s' étend sur la description
de telle manière que la référence à
Dieu demeure inutile. Klee, au contraire, n'affirme pas
ce " je ", ou plutôt, il l' enferme dans
des mots-prison tels que " umschauert ", ou encore
" klugen." Les deux esthétiques se confrontent
sans jamais s'être connues. Dans son poème-tableau,
Paul Klee distingue le poème du tableau dans la mesure
où ils ne reprennent pas les mêmes thèmes.
Pour lui, peinture et littérature, quoiqu'en dise
Kandinsky lorsqu'il parle de son principe de nécessité
intérieur, ne seront jamais parfaitement identiques."
Les mots, écrivait Kandinsky, ne sont et ne peuvent
pas être autre chose que des allusions aux couleurs,
des signes visibles et tout extérieurs. C'est cette
impossibilité de substituer à l'élément
essentiel de la couleur le mot, ou tout autre moyen d'expression,
qui rend possible l'Art Monumental." Ce projet d'Art
Monumental se retrouve dans la peinture polyphonique de
Paul Klee et, à moindre égard, dans l'écriture
promenade de Walser. Bien que le poème soit incrusté
dans le tableau, celui-ci n'est pas traduit d'après
ce qu'il dégage. Le gris et le bleu chromatiques
ne se répondent pas aussi ouvertement que dans la
poème, comme si la couleur grise figurait l'équilibre
retrouvé entre le blanc et le noir. En effet, sur
la palette de Klee, le gris ajoute un peu d'innocence au
noir, mais aussi un peu d'opacité à cette
même innocence. A l'intérieur d'un tel espace
manichéiste, le flamboiement écrit différemment
par Paul Klee et Robert Walser pose un problème de
compréhension, ou plutôt non, car il évite
toute interprétation délictueuse et complaisante.
Ce flamboiement ne renvoie nullement à une conception
artistique de l'Enfer bien que le contexte de la Grande
Guerre ne soit pas effacé des mémoires, ce
flamboiement est tout simplement celui de la couleur. Instant
de feu au cours duquel le soleil incandescent se noie dans
le bleu noir de la nuit, instant de plénitude où
le gris peut rivaliser avec le bleu : Klee tente d'approcher
par l'écriture et par la peinture un moment de rupture.
" La ligne de texte, commente Michel Butor à
propos du poème de Klee, soigneusement manuscrite,
possède un vecteur d'autant plus puissant qu'elle
est langue.(.) Notre oil doit suivre ce trajet pour comprendre.
" La lettre, selon Butor, s'enfante dans un sol chromatique,
elle croît à l'ombre de la couleur du tableau.
Dans le poème de Paul Klee, on devine un va-et-vient
continuel entre le mot, c'est-à-dire le poème,
et la lettre, c'est-à-dire la couleur. La nasale
" n " de Nacht, par exemple, permet de faire la
distinction entre deux teintes de marron de part et d'autre
de la diagonale. Elle a comme substrat naturel la couleur.
Cette capture de l'instant liminaire est particulièrement
prégnante dans le tableau Séparation du soir
(1922) figuré par deux flèches, l'une montante,
l'autre descendante. Klee n'a pas la rigueur mathématique
de Mondrian, et ses deux pivots portent en eux le signe
de leur inefficacité dans la mesure où l'artiste
tente là d'expliquer une alchimie de couleurs en
dosant de manière infinitésimale ce qui n'est
qu'une impression immédiate. Le poème de Klee
peut se comprendre comme une réflexion sur le temps
et sur le mouvement du temps : quatre actualisateurs temporels
se déséquilibrent et donnent une unité
interne aux sept vers. " Paul Klee s'en prend à
l'éphémère " lançait Roger
Vitrac. Avec le " einst " ( jadis), on appartient
encore à une sorte d'écriture de conte, à
un temps hors le temps, le " dann " ( ensuite)
lui procurant une impulsion qui, bien qu'une chronologie
n'ait pas été établie,la recentre dans
un présent plus palpable. Progressivement, le temps
devient déliquescent et se restreint jusqu'à
ce " nun " qui rappelle étrangement le
" hic et nunc " du poète." "
Klee and Walser freed themselves provocatively from the
representation of space and time as separate categories.
Clocks and yardsticks were buried either to recreate a world
uncorrupted by cognition or to create a world structured
by the impulses of the self. " La langue poétique,
constate Alain Bonfand dans un essai sur le peintre, se
veut alors, dans l'ordre des mots, l'analogue des dessins.
" Dans une sorte d'alphabet glagolitique, le peintre
travaille à traquer l'invisible, à le faire
sortir de sa tanière afin de l'exposer au grand jour.
" On peut lire et comparer toute chose visible et claire,
écrit Robert Walser dans Ballonfahrt. Il y a sur
toute chose une clarté presque brunâtre. La
belle nuit de lune semble prendre le magnifique ballon dans
ses bras invisibles. " Seul, " l'oil unique "
de l'écrivain ne réussit pas à pénétrer
l'opacité des choses. Son imagination l'entraîne
au-delà des formes visibles jusqu'au plus proche
de leur substance. Dans son art, la couleur joue un rôle
prépondérant dans la mesure où Klee
a su en exploiter au mieux les combinaisons à l'infini,
du plus chatoyant au plus subtil, du plus sombre au plus
ténu. Ses promenades au royaume des monstres, ou
encore de l'opacité, confèrent à son
travail une sorte de prescience. Cette dichotomie entre
visible et invisible rappelle la leçon esthétique
de Paul Klee qui écrivait dans son Journal : "Ce
que nous voyons est une proposition, une possibilité,
un expédient. La vérité réside
d'abord invisible à la base de toute chose. "
Et de poursuivre : " Du point de vue chromatique, ce
qui nous fascine n'est point l'éclairage, mais la
lumière. La lumière et l'ombre constituent
le monde graphique. " Chez le peintre, deux mouvements
se laissent apprécier : la tonalité (du clair
vers l'obscur), et le chromatisme. La ligne, au centre de
son expérience artistique, porte les secrets espoirs
de cette quête angoissée jusqu'à devenir
elle aussi une quête angoissée. Elle "
se trouve au premier plan de l'intérêt visuel
" , elle forme des abstractions à même
de répondre à son engourdissement. Parvenu
à la Vision - aveuglante quête-, il peut à
l'infini être imprégné par la musicalité,
la plasticité de son ouvre. Le regard du peintre
se fait multiple, sa création devient 'polymorphique',
polyphonique. Cette démultiplication du voir initial
est sensible dans la toile Routes principales et routes
secondaires. La parallèle verticale allonge les limites,
donne à l'ensemble une force nouvelle en même
temps qu'elle le canalise. L'échelle choisie par
Klee renforce l'impression de rigidité et se prête
à cette ascension vers les derniers échelons
de la toile. Les droites parallèles découpent
l'espace et le subdivise de façon à pervertir
le bon déroulement du mouvement linéaire.
Dans ce tableau, ce n'est plus l'épaisseur du trait
qui témoigne ou non de l l'importance d'une route,
c'est la linéarité, son parallélisme,
" la troisième dimension adjointe par le faux
semblant de la perspective " pour Klee.
2.2.
Mise en place d'un travail structurel.
Robert Walser entend, quant à
lui, la parallèle comme " la progression simultanée,
prolongée, côte à côte, de divers
désirs, intentions ou inspirations qui ne sont pas
semblables à s'y tromper. " L'écrivain
nous explique le principe régissant sa démarche
critique, il préfère l'idée d'un "
équilibre instable " à l'imitatio insipiens.
Au contact de la toile, de nombreuses impressions de lecture
naissent : le peintre semble s'être approprié
l'espace afin de figurer et l'horizontalité et la
verticalité d'un paysage. Cette montée de
lignes et de couleurs vers le haut du tableau dégage
un chemin, jusque là invisible, de singularités
qui conduit le regard. " Walser's treatment of linear
structures is thus comparable to Klee 's écrit Tamara
S. Evans. By shifting balances, by making minute additions
or omissions, both Klee and Walser are playing with simple
formal elements until a counter world of complexities and
ironies is created. Walser's poems and Klee's drawings are
studies in structural as well as semantic antitheses and
ambiguities. " Tamara S. Evans a laissé une
question sans réponse : les tableaux de Walser et
les poèmes de Klee répondent-ils à
un tel fonctionnement ? Il ne semble plus l'heure pour démontrer
le poids sémantique de l'image chez Walser, ceci
nous ayant mené jusqu'ici. L'enfance de Paul Klee,
pour sa part, a été bercé par la lecture
des tragédies classiques, des romantiques allemands
ou des " burlesken und kritischen Geister : wie Rabelais
und Voltaire. " Sa sensibilité le porte au contact
de " l'expressionnisme berlinois ", du mouvements
dadaïste au sein desquels son besoin radical de provocation
trouve une pleine expansion. L'art réfractaire prôné
par Tzara donne à ses tableaux une impulsion poétique
qui prend source dans un ailleurs esthétique. "
Neben der Umkreisung des Dichterischen von der bildnerischen
Seite her erscheint das sprachliche Element als starke künstlerische
Potenz in Klees Werk und er selbst als Schöpfer des
Wortes, dem eigentlichen Medium der poetischen Vision. Denn
Sprache ist für Klee durchaus nicht nur ein rationales
Mitteilungsinstrument, sondern Sprache erfährt bei
ihm immer eine eindrückliche poetische Erhöhung.
" Le tableau Tout le monde suit peint par Klee en 1940
renseigne parfaitement sur cette constante lutte entre la
recherche d'une poésie riche et la toute puissance
de l'image. Par son allure grossière en apparence,
la toile de Klee renvoie à la maturité et
à l'expérience de son auteur. Grise ( notons
l'importance de ce juste milieu entre la naissance et la
disparition de la couleur), elle nous présente à
plat une succession de 'personnages' à qui l'on tarde
à prêter le nom d'humain. L'homme-fanfare,
à l'extrémité de ce cocasse défilement,
serait la plus proche représentation de l'homme,
il tient comme Mademoiselle Benjamenta ses Mitlaüfer
à la baguette. Enfilée dans une coquette toilette,
une dame du mode accompagne une précieuse à
la coiffe extravagante. Toutes deux pérorent, jacassent
pendant que Monsieur le dandy se croise les jambes en attendant
son heure pour entrer dans le tableau. Sa position excentrée
dans le tableau, ainsi que la surface qu'il occupe, le rendent
insignifiant. En fait, on devine comme une progression de
cette surface dès l'instant où le regard se
rapproche du chef d'orchestre, une sorte d'amplitude spatiale
et temporelle. L'homme se relève, il n'a plus honte
de sa condition dans un premier temps. Il se découvre
ensuite une intériorité qui le force à
se vêtir. Recouvert d'un vêtement, il peut choisir
de partir découvrir le monde et attirer vers lui
toutes les possibilités de découvertes.
2.3. Kandinsky ou " le tournant
spirituel. "
Klee et Kandinsky ont appris à
se connaître au Bauhaus de Weimar et leurs ouvres
respectives ont subi les effets de cette amitié.
Cette " maison de la construction ", voulue par
Walter Gropius, se voulait une union entre les Arts et l'architecture.
Un tableau de Klee, Livre ouvert (1930), appréhende
la réalité comme une création mathématique
de l'esprit. Le peintre part d'un triangle isocèle
mais se refuse à lui adjoindre un autre triangle
isocèle pour ne pas poursuivre l'équilibre
qui " dérange. " Toujours cette limitation
de la forme : un carré donne toujours un carré.
C'est pour cette raison que Klee baigne l'un dans l'autre,
sans frottements. Il préfère la sobriété,
l'égale mesure dans la restitution de ce livre ouvert.
Progressivement, le peintre nous convie à des assemblages
de plus en plus audacieux, dans lesquels on perçoit
une troisième dimension, la " pensée
de derrière ", dans la tranche. Dans celui-ci,
objectivé, on retrouve la tranche, la deuxième
de couverture, quelques feuillets, mais aussi, ce qui peut
surprendre, une échelle. Cette norme de construction,
au bas de l'objet livre, donne au lecteur un angle de vision
possible de son ouvre, mais n'impose aucunement une lecture
de l'ouvre. Walser joue aussi de cette perspective changeante
en modifiant les points de vue et en multipliant les angles
de compréhension de manière à ce que
" quelque chose, qui de soi-même ne faisait pas
le poids, gonflait et montait à la surface dans [le]
livre. " Kandinsky compare dans Du spirituel dans l'art
l'humanité à un triangle qui aura ce "
mouvement à peine sensible avance et monte lentement.
" . Tandis que Nietzsche et Kant mettaient à
mal la conception universellement reconnue de la nature
en tant qu'entité stable, et ainsi bousculaient la
vision matérialiste de la réalité,
Kandinsky, dans son essai, retrace les moments qui l'ont
conduit à préférer ce qu'il appelle
" la nécessité intérieure. "
Le peintre refuse les préceptes du mouvement de "
l'art pour l'art ", lequel ne se fait l'écho
que d'une beauté toute ornementale, et préfère
trouver, par son enthousiasme créateur, une voie
dans laquelle il puisse pleinement se satisfaire. "
L'objet de sa recherche n'est pas l'objet matériel
concret auquel on s'attachait exclusivement à l'époque
précédente - étape dépassée-,
ce sera le contenu même de l'art, son essence, son
âme sans laquelle les moyens qui le servent ne sont
jamais que des organes languissants et inutiles. "
A aucun moment, Kandinsky, ou Klee, .ou Walser ne parlent
pas de l'inutilité de leur art, ils s'interrogent
sur l'essence même de cet art qui leur procurent tant
de joie. Implicitement, ils soulèvent une question
fondamentale : que dit un artiste quand il crée ?
L'impressionniste se bornait à rendre compte de leur
Moi baignant dans une nature lumineuse, mais cette esthétique
semble en ces années d'avant-guerre se fragiliser
au contact d'un moi du peintre qui ne se trouve plus en
face d'une nature à reproduire mais d'une infinité
de couleurs et de formes à agencer en vue d' une
harmonie presque originelle. La peinture moderne entend
jouer avec tous les registres et toutes les modulations
de l'art (musique, poésie, architecture, littérature.)
car ils pressentent q'il existe un " tournant spirituel
" capable de fédérer les différents
modes de pensée. Pourtant, dans l'esprit de Kandinsky,
reconnaître une relation entre musique et peinture
par exemple ne revient pas à substituer les deux
arts. Tous deux se complètent sans que jamais l'un
puisse se faire l'écho parfait de l'autre. "
Un mot qu'on répète, jeu auquel la jeunesse
aime à se livrer et qu'elle oublie ensuite, finit
par perdre toute référence à son sens
extérieur. La valeur devenue abstraite de l'objet
désigné disparaît ; seul, le 'son' du
mot demeure. " Cette dénaturation du réalisme
produit et conduit à l'abstraction de l'art : le
peintre, néanmoins, refuse l'abstraction pure, sans
autre sujet que l'abstraction elle-même. Dans son
travail, il entend supprimer les contours par trop précis
de l'objet, les démembrer pour en mieux savourer
les nouveaux contours. L'objet n'est plus inspiré
par la nature tel que pouvait l'être un arbre par
exemple, il en revêt la forme sans que cela signifie
qu'il soit évincé d'un tel système
de compréhension du monde. Dans la mesure où
l'artiste n'est plus réfréné dans son
élan créateur, et que la nature ne lui impose
plus de schémas conceptuels précis, il se
décharge sur la feuille de ses impressions les plus
tenaces. C'est la répétition d'un objet qui
lui confère une certaine stabilité, une existence
dans le mot. La couleur agit différemment sur le
spectateur qui doit l'entendre respirer. L'essai de Kandinsky
jette les bases d'un nouvel art où tout devient possible
grâce à l'infinie puissance de la couleur,
des formes et des objets eux-mêmes. Paul Klee ne voulait
guère d'un tableau photographique reproduisant la
surface de l'objet, désirant davantage s'insérer
à l'intérieur de chacun. Ainsi, Alain Bonfand,
dans Le geste en sursis, note une étrange relation
entre sa sclérodermie et la surface de ses toiles.
Il parle, référence faite à Aloïs
Riegl, d'un espace haptique, propre au toucher. " Difficultés
de l'écriture, son épaisseur dès l'origine,
écrit l'écrivain français Michel Butor,
tout l'espace laborieux de son invention, de son apprentissage,
de sa pratique, tous ses entours : bâtons, brouillons,
ratures. " Robert Walser agit de la sorte lorsqu'il
critique la peinture en articulant ses réflexions
autour d'un mouvement introspectif. Ce " mouvement
simple que rien d'extérieur ne paraît motiver
cache un trésor immense de possibilités "
écrit Kandinsky. Et de poursuivre : " On ne
le sent jamais mieux que lorsqu'on est plongé dans
des pensées abstraites. Elles arrachent l'homme au
train-train utilitaire de la vie quotidienne. " Le
promeneur walsérien côtoie ce " mouvement
simple " à partir duquel il peut penser l'abstraction.
Et Kandinsky, à vouloir qu'on le compare à
Walser, ajoute la danse à son " Art Monumental
",conscient que cette dernière retranscrit ce
mouvement de l'intérieur.
Cependant, remarque Renata Buzzo
Margari, Walser et Klee ont " une façon tout
à fait opposée de comprendre le rôle
de l'homme et de l'artiste dans la société."
Et de poursuivre : " Klee cherche donc à reproduire
la réalité dans sa structure originelle (.)
Chez Walser, on note au contraire une sorte de défiance
envers son moyen d'expression." La visibilité
dans son travail ne relève que d'une incompréhension
et d'une disparition face au monde réel. Conscient
de cette atrophie, Paul Klee avoue dans son ouvre une impossible
tentative pour remonter aux premiers balbutiements du monde,
pour symboliser la création , pire, pour vivre. L'écriture,
un vague souvenir des hiéroglyphes vus lors de son
voyage en Egypte en 1928, sonne comme " la dernière
tentative d'approcher du réel, son ultime mode de
représentation." " In seiner weiteren Entwicklung
aber war Klee immer mehr zu den 'Müttern', zu den Urquellen
herabgestiegen, um zu einer symbolhaften Bildsprache vorzudringen,
mit der er Begriffliches und Emotionales zu fassen suchte,
Symbole, die nicht attackierten, sondern die 'tröstend'
waren - wie er es formulierte-, weil sie über den tragischen
Einzelfall hinauswiesen in eine höhere Welt der allgemeingültigen
Beziehungen und Gesetze. "
CONCLUSION
Il n'est plus temps de considérer
les rapports de Robert Walser avec la peinture européenne.
Sans être explicitement dites, de telles connexions
sont fondées sur une conception nouvelle de la création
esthétique, comprise comme une réconciliation
entre le pictural et le verbal. La plume walsérienne
devient un pinceau qui apprend à rendre toutes les
'fluctuances' de la nature. " Tout cela, lit-on dans
Les Enfants Tanner, on pouvait le voir distinctement sur
le mur que regardait Simon, qui avait beau n'être
qu'un mur, qui n'en reproduisait pas moins le tableau d'un
dimanche heureux parce que le reflet de ciel bleu y respirait."
Parler de peinture est dans l'esprit de l'écrivain
l'occasion d'une projection au devant de lui-même.
Le texte critique fonctionne comme un premier niveau de
compréhension à partir duquel l'écrivain
peut rendre compte de sa relation avec la peinture. La relation
qui unit l'écriture et la peinture ne s'exprime pas
en terme de tension, mais plutôt de dualité.
Le commentaire de Walser parlant de peinture est tout en
contrastes, ses mots s'élancent vers le ciel pour
signifier le moment entre l'émoi et la mise en écriture
de cet émoi. Il semble que l'écrivain cherche
à entraîner son lecteur dans une folle chasse
à travers la vie et l'ouvre du peintre, dans ce qu'elles
recèlent de plus intime et de plus original. "Si
rapide, l'oil du peintre, et si lente, si lourde peut être
sa main" confesse-t-il. D'une nature peut-être
trop romantique, il embrasse les élans du siècle
avec un tel détachement qu'il est impossible de lui
reconnaître des influences artistiques. Il ne se réclame
d'aucune école, d'aucun maître, mais en même
temps, il s'identifie si pleinement à ceux dont il
brosse le portait qu'il évite tout isolement. On
lui devine des périodes d'écriture influencées
par le Jugendstil, ou l'expressionnisme allemand, on s'accorde
à reconnaître dans son parcours trois moments
au cours desquels son style s'aiguise sous l'influence de
telle ou telle circonstance. C'est en particulier le cas
lorsque son frère Karl contribue à lui ouvrir
les portes des cénacles berlinois. Ils se découvrent
les mêmes enthousiasmes pour le théâtre
et la peinture. A Berlin, Walser ressent le talent comme
une affaire de rencontres et d'intérêts communs.
En dépit des illustrations de son frère, ses
livres ne se lisent pas et pire, attirent des commentaires
critiques. Ces dernières jettent un regard autrement
plus complexe sur la production littéraire de Robert.
La forme poétique de sa peinture entre souvent en
concurrence avec la peinture réaliste de Karl, mais
on dénote une influence manifeste entre les deux
démarches esthétiques, une formulation identique
entre la prouesse raffinée des huiles d'une part,
et l'ironie et la candeur délibérée
des mots de l'autre. Ce contact n'agit pas de manière
sporadique, il intime une existence à leur lecture
créatrice du monde, à la différence
près, peut-être que pour Robert, "l'art
doit se placer avant tout sous le signe de la vraie vie."
Sans trop y croire, celui-ci tente de courir là après
les honneurs, mais il finit par écrire sa propre
disparition. Dans son esprit, la ligne et le mot s'entremêlent
afin d'imprimer une dimension totalitaire à lacréation,
et un parallèle prégnant entre l'image ( picturale
ou verbale ) et le temps humain. Ce qui perdure dans les
textes de Walser consacrés à la peinture,
ce n'est pas tant l'idée d'une fuite du temps que
la conscience d'une écriture consciente de s'écrire
à l'intérieur d'un mouvement ordonné.
Désireux de déconstruire le temps de l'expérience,
l'écrivain compose essentiellement avec une représentation
spatiale et temporelle de la peinture.
L'influence de Walser sur nombre
d'artistes contemporaines marquent ce renouveau de l'écriture
plurielle, d'un choix distancié entre le verbal et
le pictural. Dans son article, Towards a promenadology and
about peripheries, Hans-Ulrich Obrist recense quelques photographes,
en particulier, qui se sont inspirés de l'ouvre walsérienne
pour signifier cette discordante ressemblance entre "erzählte
Bilder" et "gemalte Texte."Le photographe
allemand, Thomas Ruff, par exemple, organise, comme Walser,
l'espace en complémentarité avec les objets
qu'il désire voir de manière à ne pas
donner à sa composition un sens de lecture unique.
Une impression d'impersonnalité habite ses clichés
qui ne cherchent pas tant l'originalité qu'une certaine
pertinence dans le quotidien. Thomas Ruff ressemble en cela
à Walser qui s'interroge toujours, même de
la plus allusive façon, sur le pouvoir des images.
Ce qui transparaît au premier abord dans les séries
de Thomas Ruff, c'est la présentation progressive
des personnages, leur dévoilement depuis le plus
profond de l'espace photographique. Mais cette excitation
temporisée de la pellicule laisse une image fragmentée
par de nombreux détails qui, bien qu'inspirés
par la nature, rendent une tonalité abstraite. Jamais
l'objectivité nuancée de Robert Walser ne
parvient à un tel vis-à-vis face à
la réalité. Parlant d'un tableau, l'écrivain
semble se souvenir qu'il n'en est qu'un des spectateurs.
Sa voix a l'humilité de l'enchantement, elle se porte
un étonnement enfantin sur quelques coups de pinceau
bien couchés. Hans-Ulrich Obrist est d'avis que le
Lyonnais Paul-Armand Gette s'inspire dans son travail des
promeneurs walsériens sans développer davantage
cette association. Il est au cour de ce débat walsérien
entre science et arts, peinture et photographie, texte et
image. Sa formation scientifique lui procure les dispositions
nécessaires pour photographier les choses les plus
quotidiennes, mais en cela les plus admirables. " Ce
qui met mal à l'aise une partie du public, ce ne
sont pas les images que je montre mais celles qu'ils imaginent"
pense ce dernier. Le monde minéral tient dans son
imaginaire un rôle déterminant qui cristallise
toutes ses inspirations poétiques. Il répond
en 1992 par l'affirmative à la suggestion du fonds
auvergnat d'art contemporain pour réaliser une exposition
sur la chaîne des Puys. Au gré de ses excursions,
son regard se porte sur cette terre volcanique qui a jeté
sur son chemin des morceaux de basalte et blocs de lave.
" Au fur et à mesure que se précise l'identification
de P-A Gette avec sa recherche sur la Nature, écrit
Marie Lapalus dans le catalogue de l'exposition, son champ
d'investigation se rétrécit, devient banal
ou bien l'exotisme est désigné de manière
dérisoire. (...) La réalité géographique,
géologique, morphologique est annulée par
la juxtaposition d'éléments qui relèvent
des lisières, des marges ou plutôt de la marginalité.
La mosaïque d'images, de notes, de dessins rassemblés
tend à montrer, comme chez Claude Monet, l'insignifiance
du sujet pour le seul plaisir de la variation." Paul-Armand
Gette refuse, comme Walser, de ne considérer que
la partie visible du monde, et par-là même
démontre l'impossibilité d'une création
esthétique par un "oil unique." "Il
est assis là, le visage penché en avant, comme
s'il devait être prêt pour le saut mortel dans
l'image de cette belle profondeur, écrit Walser dans
Kleist à Thoune. Il voudrait expirer en elle. Il
voudrait n'avoir plus que des yeux, n'être plus qu'un
oil unique." Cette pensée a quelque chose de
tragique: l'écrivain se reconnaît des possibilités
de création infinies, mais en même temps il
a le pressentiment que celles-ci le fragilisent et le détruisent.
L'essentiel de la réalité walsérienne
se traduit par ce mouvement périlleux dans l'image,
en même temps qu'il progresse vers une restriction
de son exploration. Il lui semble impossible d'atteindre
l'émoi esthétique, et ce jusque dans les formes
que prend sa création. Il jalouse les peintres qui
dans leur élan ne travestissent pas la réalité,
mais qui laissent au temps l'occasion d'une ivresse. Ce
péché d'envie le grandit puisqu'il provoque
de telle façon la peinture qu'il parvient à
une expression transcendante de sa poésie. Robert
Walser ne s'est jamais essayé à la peinture,
pas plus qu'à la photographie. Il aurait pourtant
excellé dans cette dernière discipline en
cherchant à figer sur la pellicule un passé
reconquis et à établir un apport d'adéquation
entre ses aspirations à la disparition et ses rêves
de feuilletoniste d'art.
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trad. par Jean-Claude Schneider, coll. Arcades, Ed. Gallimard,
1993, Paris.
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Lortholary, Ed. Gallimard, 1987, Paris.
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Ed. Gallimard, 1987, Paris.
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Le Passeur, 1996, Nantes.
- Le Brigand, trad. par Jean Launay,
coll. Folio, Ed. Gallimard, 1996, Paris.
- La Promenade, trad. par Bernard
Lortholary, Ed. Gallimard, 1987, Paris.
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Marthe Robert, coll. L'imaginaire Gallimard, Ed. Grasset,
1993, Paris.
- Les Rédactions de Fritz Kocher,
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2. Literatur zu Robert Walser
2.1. Zeitungsartikel
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de 1909.
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1994, Biel.
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3. Weitere
Literatur
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Editions E.A Seemann, 1928, Leipzig.
- Antonin Artaud, Van Gogh, le suicidé
de la société, Ed. Gallimard, 1974, Paris.
- Honoré de Balzac, Le chef-d'ouvre
inconnu, in coll. " La Pléiade ", Gallimard
Editions, 1950, Paris.
- Charles Baudelaire, Vers pour le
portrait de Mr Honoré Daumier, coll. " La
pléiade ", Ed. Gallimard, 1993, Paris.
- Stefan Biffiger, Ernst Morgenthaler,
Ed. Bentelli, Berne, 1994.
- Alain Bonfand, Paul Klee, le geste
en sursis, Ed. Hachette, 1995, Paris.
- Michel Butor, Les mots dans l'écriture,
coll.' Les sentiers de la création',Albert Skira
Editions, 1969, Genève.
- Der kuriose Dichter Hans Morgenthaler,
Briefwechsel mit Ernst Morgenthaler und Hermann Hess,
Lenos Verlag, Basel, 1984.
- Peter Handke, La Leçon de
Sainte-Victoire, trad. de Georges-Arthur Goldschmidt,
coll. Folio bilingue, Ed. Gallimard, 1991, Paris.
- Josef Helfenstein, Chronologie,
in der sanfte Trug des Berner Milieus, Künstler und
Emigration, 1910.1920, Ausstellungskatalog Kunstmuseum
Bern, Bern, 1988.
- Kandinsky, Du spirituel dans
l'art et dans la peinture en particulier, trad.de l'all.
par Pierre Volboudt, Ed.
Nous remercions l'auteur de nous
avoir autorisé à reproduire ce travail.
Pour en savoir plus sur les recherches
de F. Pouzol
http://www.chez.com/frpouzol/
Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
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