ADRIEN PASQUALI : Une vie de
papier
Décidément,
nous sommes hors du monde.
Rimbaud
"On écrit parce quon
lit", disait Adrien Pasquali. Cest une condition
nécessaire, oui. Mais insuffisante.
On écrit aussi parce quon
ne vit pas assez. On écrit parce quil manque
quelque chose à ce monde. On écrit parce quon
ne peut pas faire autrement. On écrit parce quil
est des choses quon ne peut pas dire.
Depuis Eloge
du migrant, son premier livre, jusquau Pain
de silence, Pasquali na cessé de traquer
lindicible. Comme lalbatros de Baudelaire exilé
sur la terre ferme, il sest toujours senti ailleurs,
déplacé, déchiré, déraciné.
Lécriture était sa patrie.
Et dabord, lécriture
des autres. Comment prendre la plume en effet quand "on
na jamais été un enfant" ? Symptomatiquement,
le premier volume du Portrait de lartiste en jeune
tisserin, intitulé Lhistoire
dérobée, emprunte à quelques
écrivains romands leur voix, sous forme de pastiches.
La littérature devient parfois jeu, non parce que
lauteur na rien à dire, mais ainsi
faisait Georges Perec mais parce quil a trop
à dire et quil na pas pu le dire de vive
voix. Autre désespoir, nest ce pas: il y a
tant décrivains qui disent les choses mieux
que nous
Mieux peut-être. Mais pas les
mêmes choses. Notre histoire nest celle de personne.
Dès lors, comment la dire ? Pasquali commence par
des fragments: Eloge du Migrant,
Les Portes dItalie. Après les pastiches,
il cherche à rassembler des bribes, et cest
Passons à louvrage, dont le narrateur, qui
tient un journal, essaie de semparer du monde, dy
trouver sa place: "Le bambin devenait plus grand que
le monde, se non te parti, amore, sarò morto. Vita
mia dolce, e io ti farò scorta."
Puis lécrivain se lance
dans la fiction, avec Un Amour
irrésolu et Le Veilleur de Paris. Encore des
lettres: sous forme épistolaire dans le premier livre,
martelant le pavé parisien dans le second; lalphabet
sinscrit directement dans le sol pour marquer à
jamais de leur écriture, de leur empreinte, le territoire
de la capitale francophone.
Suit La
Matta, son chef-duvre. Lhistoire
dune folle fascinante, être de terreur et de
pitié. La vraie vie: enfin Pasquali créait.
Mais il conservait ses doutes: "Si malgré tout
il lui arrive de parler, ce nest pas pour ne rien
dire, plutôt pour nêtre pas entendu. Il
aime les histoires, mais ce quil cherche, cest
une manière dêtre; une ligne de conduite."
Donc logique avec Le
Pain de Silence, Pasquali revient à lautobiographie.
La boucle est ainsi tragiquement bouclée. Après
avoir commis le crime suprême décrire,
ou de finir par écrire à nouveau sa vérité,
le criminel retourne son arme contre lui.
"Voici le temps des Assassins."
Rimbaud
Ou encore:
"Jai
brassé mon sang. Mon devoir mest remis. Il
ne faut même plus songer à cela. Je suis réellement
doutre-tombe, et pas de commissions."
Rimbaud, Vies
"Non
scriverò piu cosi."
Adrien Pasquali
par François Conod
© Le Passe-Muraille, Journal
littéraire, CH -1003 Lausanne
Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
|