"Ainsi
il répond à toutes les créatures
qui gémissent leur rapide printemps au bord des routes
salées entre le Jura bleu
et la blanche Savoie."
Réunis sous le titre mélancolique et confiant
de À-Dieu-Vat! ces
entretiens ont été réalisés
les 29, 30 mars et 1er avril 2001 à l'Abbaye du Châble,
à l'occasion du tournage du film "Maurice Chappaz"
dans la série "Les Hommes Livres" proposée
par Jérôme Prieur.
Sur presque neuf heures de bande-son, à peine quarante
minutes ont suffi pour les besoins du documentaire télévisé.
Relisant la version complète, le souvenir de ces
heures d'entretiens familiers au premier soleil de printemps,
celui de confidences rares et de commentaires saillants
de la part d'un Chappaz en grande verve nous a fait réfléchir,
à l'invitation de l'écrivain lui-même,
à l'opportunité d'en publier l'intégralité.
Soucieux de précision et de clarté, Chappaz
a alors suggéré, tout en respectant la spontanéité
de l'oral, de reprendre l'ensemble de son texte. Celui-ci
souffrait, comme tout libre propos en situation d'oral,
d'erreurs diverses, ellipses quant aux dates et aux noms,
répétitions, confusions. Fin 2001 et durant
les trois premiers mois de 2002, avec l'aide précieuse
de son épouse Michène, Chappaz a repris six
fois son manuscrit, pour aboutir au livre que voici.
L'écriture de Chappaz, depuis la fin des années
1970, s'est faite plus directement autobiographique. Le
rapide parcours de L'Apprentissage
(1977) a été complété par Le
Garçon qui croyait au paradis (1989), rêverie
autobiographique qui retrace les étapes de sa vie
de 1916 à 1961. Mais aucun de ces deux textes n'a
la spontanéité vagabonde de l'entretien, et
surtout aucun n'a comme lui, vertu d'ultime bilan ou confession
d'un homme en son grand âge. Le titre le dit: tout
se passe comme si Chappaz s'adressait en fait à Dieu,
comme saint Augustin qu'il a tant lu.
Dans un libre regard en arrière, l'écrivain
reconsidère et justifie ses choix de vie: les vagabondages,
le refus d'un métier utile, le besoin d'une disponibilité
intérieure pour écrire. Mais la logique de
l'entretien l'oblige aussi à sortir de son récit
intérieur, et à se confronter aux questions
d'autrui. Ainsi lira-t-on des pages originales - celles
d'un Chappaz moins connu - sur la filiation, la relation
au père, les crises de vocation littéraire,
les circonstances du départ à la Dixence,
sa relation avec Corinna Bille, la famille, les voyages,
les projets d'écriture à venir ou avortés.
Et des commentaires rétrospectifs sur des uvres
majeures, comme Le Valais au
Gosier de Grive ou La
Haute Route.
La reconsidération de sa vie, le grand âge
et l'approche de la mort ont amplifié et déployé
deux voies (ou deux versants de sa voix) que ses lecteurs
lui connaissent bien.
D'une part, la sensibilité poétique au monde
naturel, inséparable pour Chappaz d'une théologie
heureuse, qu'il partage avec Cingria, pour laquelle le monde
fait indéniablement sens par son créateur.
Dans ces entretiens, les évocations d'une ombre,
d'une trace, d'un filet d'eau, prennent leur place comme
les couleurs dans un tableau abstrait.
De l'autre, plus méditative, une reformulation intense
de la question de Dieu. Si la fidélité au
catholicisme transparaît tout au long de son uvre,
celle-ci semblait ludique et chaleureuse dans des ouvrages
comme Le Match Valais-Judée
(1968). Elle devient poétique et théologique,
sur un ton plus anxieux sans doute, dans les textes récents.
Relief nouveau est donné ainsi à une longue
réflexion sur Judas, considéré comme
un double ambigu du poète, à la relecture
de saint Augustin, aux thèmes chrétiens de
la culpabilité et du pardon, au bilan d'une vie devant
le dernier seuil.
Durant l'été 1995, Maurice Chappaz avait
achevé le premier jet d'un livre nouveau, Evangile
selon Judas, dont les Pages
choisies II (1996) ont donné l'extrait d'une
première version. L'ouvrage en projet se situait
à mi-chemin entre le récit épique,
le roman policier et la réflexion théologique.
Chappaz a lu, entre autres, les remarques de Karl Barth
sur Judas dans la Dogmatique.
Evangile selon Judas explore la faute, retrace les
agissements du traître, afin de saisir la part d'ombre
du personnage et de l'homme en général. Après
une longue pause, puis la réécriture du manuscrit
à quatre ou cinq reprises en 2000 et 2001, l'ouvrage
est paru chez Gallimard à l'automne 2001. Dans ces
entretiens, Chappaz revient longuement sur ce travail, celui
qu'il nomme son dernier livre.
Incontestablement, parmi la génération des
auteurs romands entrés en écriture dans l'immédiat
après-guerre, Maurice Chappaz fait figure d'auteur
majeur, dont l'uvre a libéré, inspiré
ou fait créativement réagir un nombre important
d'écrivains plus jeunes (Bouvier, Chessex, Farquet,
Voisard, Lovay et d'autres).
Si l'uvre de cet infatigable lecteur et poète
errant semble s'inscrire dans ce qu'il nomme la "Ramuzie",
ce pays du Rhône si riche en poètes, elle est
cependant avant tout reliée à des voix surs
- Trakl, Roud, Cingria, Pavese, London, Walser, Bashô,
et tant d'autres - qui ont surmonté le faux problème
de leur origine.
Jérôme Meizoz
Retrouvez
un extrait de ces entretiens publiés par le Culturactif
Suisse en cours de rédaction
Page créée le: 28.04.03
Dernière mise à jour le 29.04.03
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