La lumière des mots
nus
[...] Ce récit évoque
des moments les plus intérieurs, parmi les plus enfouis,
les plus lointains et décrit en même temps
la dureté d'un monde d'adoption qui ne fait pas que
des cadeaux. Les trous de mémoire et la misère
de la vie réelle trouvent dans la simplicité
drastique et la construction en courts chapitres leurs figures
justes. Toute une existence s'incarne sous nos yeux dans
la lumière d'un vocabulaire qui nous renvoie à
nos émotions les plus fortes, douleur de la perte,
de toute forme d'exil, bonheur de prononcer et souvenirs
d'enfance clairs ou obscurs, dans lesquels un peu de chaleur
a subsisté et réchauffe encore peut-être
cet écrivain dont la souffrance s'est parfois transformée
en amertume. Mais ce n'est pas elle ici qui gagne, plutôt
le défi, celui d'écrire dans cette nouvelle
langue, d'écrire dans et pour ce nouveau pays pas
toujours accueillant, mais suffisamment pour que reste réveillé
le puissant désir qui anime Agota Kristof, désir
dont ce livre témoigne comme une pierre lumineuse
aux arêtes vives. [...]
Qu'un si court récit nous soit donné d'une
vie par la mise en oeuvre si intense des mouvements les
plus infimes ou apparemment anodins de la langue et que
rien ne semble y manquer tient du prodige, le miracle d'une
langue réellement réinventée...
Françoise Delorme
No 62
septembre 2004
L'impossible légèreté
de l'être
[...] Un récit qui comporte
onze textes brefs. Agota Kristof y raconte un peu de son
enfance, quand elle faisait croire à Tila qu'il était
un enfant adopté - « Je l'ai beaucoup embêté
» -, quand Staline est mort, quand elle s'ennuyait
à l'internat. Ou quand elle est arrivée en
Suisse, en 1956, avec son mari et sa petite fille. Elle
avait 21 ans, elle s'est retrouvée à l'usine,
à côté de Neuchâtel. Elle n'est
jamais repartie.
[...]« Pour le moment, je n'écris pratiquement
pas. C'est trop pénible. On n'est jamais content,
il faut refaire et encore refaire. [...]» Sortira,
malgré tout, un livre en janvier 2005, au Seuil cette
fois. « Ça ne sera pas un livre autobiographique.
» Et il y aura un autre livre. « Il y a longtemps
que je l'ai commencé. Je parlerai de mon père,
qui était instituteur et qui a fait de la prison.
Ça s'appellera « roman », mais je parlerai
de ma vie. »
Elle parle peu. Elle écrit court. « C'est ma
nature profonde. »
[...] Elle reconnaît aussi que sa vision tragique
de l'existence est impossible à dépasser.
Comme si, avec ses livres, elle jetait de petits appels
au secours depuis sa tour de silence ...
Aimé Corbaz
05.09.2004
Agota Kristof résume toute
sa vie en 55 pages
[...] Chez Agota Kristof, le style
suppose un art de la synthèse qu' on suppose anticipé
par de longues réflexions.
[...] Telle est la force de cet auteur:
parler de soi, d'événements intimes, en donnant
l'impression de s' adresser à tout le monde, de réveiller
des souvenirs chez tout un chacun. L'analphabète
ne cultive pas précisément le détail,
pas plus qu' il ne digresse à l'envi sur des aventures
annexes. C'est un survol auquel nous convie l'écrivain,
un survol autobiographique qui s' apparenterait aux balades
d'un Stendhal ou d'un Hermann Hesse. En même temps,
on apprendra ici beaucoup sur la vocation de la dame, son
goût pour la lecture et l'écriture, ses réactions
par rapport à telle ou telle langue. Mais pas d'impudeur
en revanche: douleurs et souffrances sont ici du domaine
de la suggestion.
[...]Chez Agota Kristof, la drôlerie peut s' assimiler
à de la naïveté. En fait, l'humour, chez
elle, est encore affaire de style. Comme chez Pinget - comparaison
non fortuite - il tient à la fois dans l'élémentaire
sécheresse d'évidences basiques « lâchées
» dans sa prose que dans la description minutieuse
de certains gestes de la vie quotidienne qui confinent tout
à coup à l'absurde. Un seul regret, lorsqu'
on arrive à la 55e et ultime page de cet opuscule:
qu' il ne soit pas un peu plus épais.
Pascal Gavillet
27.09.2004
La confession pudique
[...]Onze brefs chapitres, à
peine plus qu'une brochure et voici que vous avez le sentiment
de mieux connaître, de mieux comprendre celle dont
Le grand cahier, La preuve, Le troisième mensonge
ou Hier vous ont probablement bouleversé.
[...] Tout cela dit en phrases courtes, simples, qui use
de sa froideur même pour traduire la brûlure
de l'injustice, de la blessure, d'un désespoir pudique.
Prose admirable dont le dépouillement accroît
le pouvoir d'expression, de suggestion. Le non-dit affleure
à chaque ligne, cet art pauvre enrichit le monde
intérieur du lecteur.
C'est si bref qu'aussitôt on relit, pour percevoir
les subtilités, les ironies, les amertumes légères
et les cocasseries déposées au coin d'un silence.
Jacques Poget
01.09.2004
Page créée le: 10.11.04
Dernière mise à jour le 10.11.04
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