Marion Graf, traductrice
de Robert Walser, répond aux questions d'Anne Pitteloud
pour Le Courrier
«Traduire est un jeu de
rôles»
De Cigogne et Porc-épic
aux récents Vie de poète et Histoires
d'images, en passant par Seeland, sa traductrice
Marion Graf vit en compagnonnage avec Robert Walser depuis
plusieurs années.
Les premiers textes que vous avez
traduits sont ceux du «territoire du crayon».
Marion Graf: Oui. C'est une littérature
expérimentale, très libre et moderne. Walser
est à l'apogée de son écriture et fait
montre de plus d'audace et de liberté dans ses textes
au crayon que dans ses proses et poésies de l'époque
berlinoise. Il ose des phrases interminables, invraisemblables,
joue sur une logique non narrative. Il est proche du collage
et de la libre association d'idées. Mais il ne s'agit
pas d'une écriture automatique. Il y a un grand contrôle
et une grande précision au niveau de la syntaxe.
Tous les petits mots sont importants pour articuler sa pensée
et sa réflexion. Quand on traduit, il faut être
attentif à tous les détails du texte, enregistrer
le rythme de la moindre virgule. Quand ma traduction est
flottante, je sais qu'il faut que je revienne vers l'allemand,
par rapport auquel on ne peut se permettre aucun écart.
Quelles sont les difficultés
que vous avez rencontrées?
Walser fait un usage très
construit du dialecte, qui introduit une polyphonie dans
les textes. Il y prend différents rôles, dont,
parfois, celui du traducteur qui explique le sens de telle
expression dialectale. Son style a des aspects parfois enfantins:
il choisit des adjectifs très plats. Quand il les
juxtapose, on aurait envie de transformer leur platitude
en quelque chose de pittoresque mais il impose cette sorte
de gentillesse, qui crée une certaine naïveté.
Je me suis aventurée dans la traduction des poèmes,
qui est en projet aux éditions Zoé. Souvent,
quand on traduit de la poésie, on est appelé
à renoncer à la contrainte des rimes pour
ne pas écrire des vers un peu forcés. Chez
Walser, il faut revendiquer cet aspect «vers de mirliton».
Il est soucieux de la rime, avec une maladresse voulue.
C'est amusant, un jeu, vrai défi. On essaie de se
glisser dans l'attitude de Walser qui attrape ses rimes,
et de garder le côté maladroit.
Qu'est-ce que la traduction, pour
vous?
C'est une forme de lecture avec d'autres
moyens que ceux de l'histoire de la littérature.
On essaie de rendre compte des différentes dimensions
du texte, telles qu'on les perçoit. Chaque traducteur
travaille avec sa sensibilité, mais aussi avec sa
relation à la langue. Si je recommençais à
traduire certains textes, cela donnerait sans doute quelque
chose de différent. Ça n'est jamais fini!
La traduction est aussi une sorte de jeu de rôles.
On s'identifie à l'écrivain, au code qu'il
a choisi, au rôle qu'il endosse. On se met dans sa
peau.
Vous vous déguisez, comme
le fait Walser dans «Vie de poète»...
Oui, Walser décline ici une
imagerie du déguisement qui crée une connivence
pour son traducteur. Il s'affuble de divers costumes et
poursuit un questionnement sur l'extravagance. Le poète
est un marginal, mais doit-il montrer son extravagance dans
sa manière de s'habiller, ou doit-elle appartenir
à son texte uniquement? Il est partagé entre
une éthique des marges, de la liberté, et
une envie d'être accepté par la société,
voire de servir - il a été laquais et homme
à tout faire. Dans «Vie de poète»,
il se déguise en poète romantique, raconte
des histoires de manière linéaire, et fait
référence à un poète qui change
tout le temps d'identité...
Propos recueillis par Anne Pitteloud
9.09.2006
Page créée le: 13.08.06
Dernière mise à jour le: 13.08.06
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