[...] Avec des élans non dénués
de romantisme, il emprunte à l'idylle et célèbre
les beautés de la nature, cède au rêve
et à une douce harmonie.
Cette propension à l'évocation poétique
et ces plongées oniriques ne vont pas, comme on pourrait
le supposer, au détriment de l'allant et de la spontanéité
de l'écriture. Même quand «la contrée
semble rêver sa propre beauté» et que
«le monde est poème et le soir un rêve»,
reste présent au c¦ur du texte et l'anime
un moi «étrange et original [...], nature enflammée
d'idéal et d'une volubilité jaillissante»,
qui exprime ses sensations et ses sentiments tout en veillant
pudiquement à en atténuer les effets par des
commentaires amusés adressés à «ce
cher et gracieux lecteur», qui «voudra bien
en sourire».
Ici, ce moi exhorte: «Réponds à son
sourire», là, il avoue avec candeur qu'il est
«plus un zéro qu'une énergie»
et confesse «une abyssale mésestime de soi».
Toujours, il veille à créer la distance, et
l'auteur, dans la composition du recueil, fait de même.
[...] Amusé et maintes fois dérouté
dans ses attentes, le lecteur est sans cesse tenu en éveil.
Et cette présence d'esprit
s'impose s'il veut répondre comme il se doit aux
multiples sollicitations du texte. Des impromptus de l'invention
à la variété des tons et des rythmes,
aux sous-entendus de l'humour, à sa sensibilité
fine et à la gamme de ses nuances, rien ne doit échapper
dans cette composition d'orfèvre. Il faut, à
tout instant, prêter au détail l'attention
la plus vive, non seulement pour augmenter le plaisir de
la lecture, mais parce que c'est ainsi qu'il convient également
d'aborder le monde, «si beau, si généreux»
selon le poète. Lui aussi se porte sans cesse «vers
ceci, cela», car il y a «toujours quelque chose
à voir».
[...]
Wilfred Schiltknecht
25.02.2006
Article
disponible dans son intégralité sur le site
du Temps:
http://www.letemps.ch/livres/Critique.asp?Objet=4077
Walser, au-delà du mythe
[...] La découverte récente
de ses 526 « microgrammes », prodige d'écriture
miniature qui aura nécessité dix années
pour être entièrement déchiffrée
et ne s'est achevée qu'en l'an 2000, a durablement
ébranlé l'image du génie autiste dans
les pays de langue allemande. Or cette immense créativité,
la modernité de cette écriture, à la
fois contrôlée et exploratoire, capable de
conjuguer l'observation et l'imagination, la critique sociale
et le discours sur soi, ne sont pas encore pleinement reconnues
en France. La publication aux Éditions Gallimard
des Petits Textes poétiques est l'occasion de s'arrêter
quelques instants sur une période charnière
dans la vie et l'oeuvre de Walser : les années biennoises,
de 1913 à 1920, années durant lesquelles Walser,
délaissant la grande ville de Berlin, se replie dans
la petite idylle de sa ville natale, Bienne. Car, à
l'instar du grand Rinaldini, délinquant notoire qui
figure dans l'une de ces petites proses, Walser va devenir
un brigand de la langue, un redoutable maître dans
l'art de se dérober aux autres et à lui-même.
Ses années biennoises sont
paradoxales. À la fois heureuses et anxieuses, elles
marquent incontestablement la première étape
d'un repli social dans les marges du milieu littéraire.
Mais la petite mansarde de l'hôtel de la Croix-Bleue
où Walser trouve à se loger n'a rien d'un
enfermement. Elle ouvre au contraire à l'écrivain
les portes d'une nouvelle demeure artistique. Abandonnant
la forme trop vaste du roman, Walser va progressivement
se retirer dans ce qu'il appelle « la coquille de
la nouvelle et du feuilleton ». Dans cet espace étroit,
Walser va dès lors se livrer à toutes sortes
d'expérimentations formelles et typographiques et
trouver dans les mots une liberté de mouvement toute
proche de la danse. [...]
Christine Lecerf
L'Humanité
Article
disponible dans son intégralité sur le site
de L'Humanité:
http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-02-23/2006-02-23-824783
[...] Les personnages de Walser ont
à voir avec ceux de Kafka pour leur manière
d'assumer leur incapacité, leurs limites, et avec
ceux de Hamsun pour leur goût pour les promenades
mentales et physiques où aimer, admirer, emplit tout
l'univers."[...]
Dans un splendide texte du précieux Robert Walser
coédité en 1987 par L'Age d'homme et Pro Helvetia,
Walter Benjamin écrit à propos des textes
courts du Suisse : "Ces histoires sont d'une délicatesse
tout à fait inhabituelles, cela, chacun le comprend.
Ce que tous ne voient pas, c'est qu'elles renferment non
pas la tension nerveuse d'une vie décadente, mais
l'atmosphère pure et alerte de la convalescence.
[...] "L'idée m'effraie
que je pourrais avoir du succès dans le monde",
dit Walser, paraphrasant Franz Moor. Tous ses héros
partagent cet effroi. Mais pourquoi ? Pas du tout par dégoût
du monde, ressentiment moral ou pathos, mais pour des raisons
tout à fait épicuriennes. Ils veulent jouir
d'eux-mêmes. Et ils ont pour cela un talent tout à
fait exceptionnel. Et ils manifestent, le faisant, une noblesse
tout à fait inhabituelle. Et ils ont pour le faire
un droit tout à fait inhabituel. Car personne ne
jouit comme un convalescent. Loin de lui toute orgie : le
flux de son sang renouvelé chante dans les ruisseaux
et le souffle épuré de ses lèvres vient
des cimes. Cette noblesse enfantine, les personnages de
Walser la partagent avec ceux des contes qui eux aussi émergent
de la nuit et de la démence, celle du mythe. (...)
Walser commence où s'arrêtent les contes. "Et
s'ils ne sont pas morts, ils vivent encore." Walser
montre comment ils vivent.
5.01.2006
[... ] ces poèmes en prose sont la meilleure voie
d'accès pour découvrir l'oeuvre déconcertante
du solitaire. Il y est simple, ironique, intense, souvent
fantaisiste et d'un romantisme tragiquement sublimé,
incrédule vis-à-vis de lui-même. Amoureux
aussi - mais des étoiles, ou, comme Nerval, de silhouettes
entraperçues.
Jean-Maurice de Montremy
Livres
hebdo
17.11.2005
[...] Le succès le boude et
sa situation financière n'est guère reluisante.
Il s'enferme alors dans sa ville natale, où il lit
et écrit de petites proses poétiques, qu'il
compare à des ballerines qui «dansent jusqu'à
ce qu'elles soient totalement usées et s'écroulent
de fatigue». Ce sont ces ballerines-là de 1914
qui nous parviennent aujourd'hui dans une très belle
et sobre traduction... Toute l'éthique de Walser
est là dans ces pages confettis. Son sens de l'injustice,
sa défense des pauvres ("La Millionnaire"),
son goût de la nature. Les fantômes et les fantasmes
habitent ses paysages intérieurs et extérieurs.
La douleur n'est jamais loin de l'acidité tendre
du bonheur volé. Et Le Rire de l'enfant (de l'enfance
?) résonne seul, cristallin et fragile. Robert Walser
écrit : «Seuls savent les enfants ce qui les
rend heureux.»
Michèle Gazier
15 mars 2006
Page créée le: 15.08.06
Dernière mise à jour le: 15.08.06
|