Vies antérieures
Croyez-le : la réincarnation…
C’est bien vrai qu’elle
existe.
Peu se souviennent de leurs
vies. Surtout de celles quand ils n’étaient
pas humains.
Jérémie le sait
mieux qu’un autre, il sait qu’il vient d’ailleurs.
Il a été fourmi,
guêpe, termite. Il a été sauterelle
et chenille, chenille verte parce qu’il aime
le vert. Il a été corbeau. Peut-être
aussi renard ? Condor ? aigle ? marabout ? Un loup?
Il a même été
vorticelle. C’est un infusoire péritriche
qui vit dans les eaux douces et salées, un
protozoaire rigolo dont le corps a la forme d’une
coupe garnie au bord de cils vibratiles et portée
par un long pédoncule généralement
enroulé en spirale. Il vivait dans un marais,
du côté de la place Pépinet et
de celle de la Palud, aux jonctions de la Louve et
du Flon. C’était il y vraiment très
longtemps.
Il dut être rat. Dès
qu’on eut voûté les rivières
en ville et construit les égouts. Et peut-être
phoque, mais l’espace d’un dimanche seulement,
quand chaque jour il voulait être un animal
différent en suivant l’ordre du bestiaire
qu’on lui avait donné pour Noël.
Il a été grillon,
comme Jiminy Cricket qui dans les collines tout là-haut
élève des chenilles à fourrure.
C’était dans un pays habité de
fleurs sauvages et carnivores. La guerre qu’il
leur livra avec ses amis insectes est le sujet d’une
grande épopée.
Jérémie aime
bien les insectes, sauf les mantes religieuses, celles
cruelles qui dévorent leur mari, sauf les puces,
les poux et les punaises, les blattes et les cafards.
Encore que les puces savantes, lesquelles au cirque
sautent et dansent chaque hiver, puissent être
si mignonnes, si pleines de joie de vivre…
Paon, il a habité Sauvabelin.
Il se souvient des repas du soir en été,
dans la maison remplie de foin, maison sur pilotis,
tout en bois, en plein milieu du parc aux biches.
Pour la veillée, les animaux se retrouvaient
tous ensemble, les biches, les bouquetins, les canards,
les oies.
Il fut ensuite perroquet dans
les volières de Mon-Repos, devant les anciennes
écuries. Un grand ara jaune et bleu. Qui parle.
Ce qui est très rare. Les grands aras rouges
et verts dans la volière de Mon-Repos n’avaient
encore jamais parlé.
Puis singe au jardin zoologique
de Bâle. Un chimpanzé qui partageait
sa cage avec une jolie fille chimpanzée.
Il habita Duckburg. Il tomba
amoureux de Daisy. Il eut la chance de Jonathan le
Veinard, la fortune de Jérémie Mac Duck
et le génie inventif de Géo Gyroscope.
Il fut ainsi un canard heureux entre les pages de
Mickey Magazine.
Il fut aussi un robot, un Martien,
habitant de planètes lointaines. Il navigua
sur Space Girl, le vaisseau de l’espace, avec
Sam Spade, Texas et le Dr Spencer, pendant des années
de lumière. Il rencontra Diana Trenton et Pamela
Stuart dans les bandes dessinées de la collection
Artima. Il fut héros de beaucoup de livres
et même de contes qui n’existent pas.
Aujourd’hui que des années
ont passé, il est resté un rien naïf
comme Dingo.
Il a été un hibou
surtout. Qui vit la nuit. Qui lit.
Il l’est toujours.
jean-pierre.cousin@bluewin.ch
