Odile
Cornuz (1979). Auteur de récits comme Terminus
(2005) et de pièces de théâtre comme
Saturnale à la Comédie de Genève
(2003).
Elle fait partie de la deuxième volée de Textes->en->scène,
initiative de soutien à l'écriture de la Société
Suisse des Auteurs.
Quel a été votre
cheminement vers l'écriture dramatique ? Est-ce une
suite de hasards heureux, un choix délibéré
ou l'aboutissement d'un travail en relation avec la scène
comme comédien, dramaturge, metteur en scène,
etc ?
J'ai écrit pour la voix avant
d'écrire pour la scène. La radio m'a poussé
vers la découverte de ce qu'est l'expérience
de dépossession de son propre texte lorsqu'un comédien
investit cette matière textuelle.
Au théâtre suivent metteur en scène,
scénographe, vidéaste, musicien, bref toute
une troupe qui m'a fait entrer dans la troisième
dimension accordée au texte. C'est une opération
délicate et bouleversante. Je considère comme
un grand privilège d'être le témoin
de cette métamorphose. C'est donc pour cette rencontre,
pour l'étincelle, pour les frictions, que j'écris
pour les arts vivants.
L'envie de faire surgir des voix a été mon
mode d'entrée en écriture. Je poursuis toujours
ces voix. Le regard constitue pour moi un point de départ
essentiel. L'observation, la lecture. De signes, de personnes,
de mots, d'images, de la nature, d'uvres de tous horizons.
J'avance ainsi en me construisant peu à peu une sémiotique
qui m'est propre et qui prend des formes distinctes selon
ce que je souhaite exprimer. Je tente de ne pas perdre humour,
comme on pourrait perdre courage - ce qui permet de garder
les yeux ouverts.
Dans cette discipline artistique, le relais par ses pairs
(conseils, encouragement, etc.) semble important. Quelle
a été pour vous la rencontre avec vos pairs
? Ces relations sont-elles fortes, enrichissantes, ou lointaines,
voire inexistantes ? Comment appréhendez-vous le
paradoxe apparent entre le geste solitaire de l'écriture
et la dimension collective propre au théâtre
? Quels sont vos liens avec les praticiens de la scène,
comédien, metteurs en scène, et directeurs
de salle ?
La richesse d'une rencontre peut
être totalement inattendue. La perspective d'un enfant
sur son jeu ou la détermination d'un chien à
ronger son os peut m'offrir une leçon aussi déterminante
qu'une discussion d'enjeux dramatiques.
Il n'en reste pas moins que le dialogue entre pairs m'est
précieux. Dans la mesure où je considère
que je procède à une série d'expériences
de laboratoire dans ma création solitaire, j'apprécie
la découverte ou la confrontation avec des univers
et réflexions autres, émanant du théâtre
mais aussi de diverses démarches artistiques.
La fascination m'est nécessaire pour entrer dans
un rapport de travail avec un metteur en scène et
des comédiens. S'élabore alors un processus
de construction éphémère sur un sol
mouvant - un mystère collectif qui éprouve
la scène.
Vous écrivez et résidez en Suisse romande,
y-a-t-il pour vous une singularité d'une écriture
en Suisse romande, un état d'esprit particulier ?
Pourriez-vous de fait vous retrouver dans les derniers mots
de Raison d'être de Ramuz qui se fixe pour
objectifs de pouvoir écrire un livre, un chapitre,
une phrase qui ressemble à la terre de ce pays ?
Bien que j'admire Ramuz pour la force
de la langue qu'il s'est forgée, et l'opiniâtreté
avec laquelle il a défendu sa vision artistique,
je ne me sens pas ramuzienne dans ma démarche créatrice.
Le lien à la terre helvétique, au pays de
Vaud dont je suis originaire, non loin de Cully et Saint-Saphorin,
ne se manifeste pas de manière impérieuse
comme volonté expressive. Si je voulais revendiquer
un ancrage suisse, ce serait plutôt comme carrefour
de cultures, dans l'esprit de Madame de Staël, mais
aussi comme coin de terre solide d'où prendre son
élan pour aller voir ailleurs, où la mouvance
est plus palpable, le flux plus impétueux, le quotidien
moins prévisible. J'envisage la Suisse comme un pays
composite qui s'ignore parmi, multilingue où règne
souvent l'incompréhension et l'étanchéité
culturelle, obtus, contradictoire, riche et sournois - qui
n'en est pas moins mon port d'attache et me permet de partir
et de revenir en toute lucidité (je l'espère).
La création romande est particulière dans
le sens où, très souvent, elle tourne son
regard vers Paris, avec l'humilité d'une petite sur
quelque peu maladroite. Le rapport que la Suisse alémanique
entretient avec l'Allemagne et l'Autriche est autre, notamment
en raison d'une centralisation moins marquée pour
des raisons historico-politiques. Le petit bassin romand
regorge de créativité et de talent. Il s'agit
de ne pas avaler un quelconque complexe d'infériorité
infusé pour toutes les régions francophones
" périphériques ", prêt à
la consommation. Dans le sillage de Ramuz, peut-être,
il faudrait considérer sa propre création
comme point de départ et centre de préoccupation.
Sain nombrilisme s'il en est, mais qui n'empêche en
aucun cas de traiter de thèmes et personnages "
d'ailleurs ", quelque part entre la lune et le no man's
land, sans parler drapeau.
En 2003 l'antenne suisse des Ecrivains Associés de
Théâtre (EAT-CH) a été fondée
à Neuchâtel. Depuis quelques années
d'autre part, la SSA multiplie les innovations pour promouvoir
l'écriture en Suisse romande. Comment percevez-vous
ce mouvement ? Quelles sont les perspectives que vous voyez
pour l'écriture en Suisse romande ?
Un mouvement qui permet de croiser
textes et expériences m'apparaît comme salutaire.
Les projets lancés par les EAT-CH tentent également
de créer pour les auteurs des ponts vers leur public.
En quelque sorte, et pour user d'un concept très
à la mode, les EAT-CH tendent à la visibilité
des auteurs contemporains en Suisse romande et le font de
manière inventive et intelligente. Reste que le mouvement
est encore jeune et que ce n'est que dans une dizaine d'années
qu'il sera possible d'évaluer si la proportion de
mises en scènes d'auteurs contemporains de Suisse
romande sur ce territoire aura augmenté grâce
aux actions des EAT-CH. Je me permets d'espérer que
ce sera le cas.
En ce qui concerne la SSA, elle poursuit des buts similaires
(avec l'ouverture à tous les arts vivants) tout en
disposant de moyens plus conséquents. La collaboration
EAT-CH et SSA est évidemment indispensable.
Les perspectives que j'entrevois pour l'écriture
en Suisse romande, malgré tous ces louables efforts
de mise en valeur, sont toutefois assez étroites,
dans la mesure où un auteur désire ne vivre
que de son écriture. Il s'agit alors de cumuler les
expériences professionnelles, de se constituer en
satellite culturel et de rayonner entre l'enseignement,
la coordination culturelle, d'autres métiers du spectacle
et tous les petits boulots alimentaires imaginables. Dans
une vision optimiste, tout ceci concourt à nourrir
tant la vie que l'écriture. Si l'on use de lucidité,
on s'aperçoit que le temps de l'écriture se
raréfie comme l'air en haute montagne - et si l'on
noircit le tableau, on baisse les bras, si les pièces
ne sont pas lues, pas montées, pas vues. Et l'écriture
risque de tarir. Mais je voudrais conclure sur une note
moins pessimiste. J'écris, ils et elles écrivent.
Nous écrivons. Il nous échoit de créer
de beaux textes. Le reste devrait suivre.
Propos recueillis par François
Marin
Page créée le 12.09.06
Dernière mise à jour le 12.09.06
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