Résumé en
français
Dans l'entretien qui suit, Marie Caffari
et Daniel Rothenbühler définissent le profil qu'ils
souhaitent donner à l'Institut Littéraire Suisse
(ILS, nom provisoire). Résolument orienté vers
la création littéraire elle-même - plutôt
que vers les métiers connexes comme la critique, l'édition,
etc. -, il propose une perspective fondamentalement différente
de celle des facultés de lettres universitaires, en
accord avec son insertion dans la structure d'une école
d'art (la Haute Ecole des Arts de Berne, HEAB). D'une part,
il ne s'agit pas tant ici de transmettre et élaborer
des savoirs que des savoir-faire. D'autre part, le défi
majeur consiste à construire un enseignement ouvert
sur l'avenir, sur les formes de littérature que l'on
ne connaît pas encore. Un tel enseignement ne peut être
normatif. Il s'agit plutôt d'accompagner, soutenir,
conseiller l'étudiant, de l'aider à construire
son propre chemin, en sachant adopter sa perspective.
Ce projet trouve sa place dans une vision positive du postmodernisme.
Il témoigne d'une conception de " l'auteur "
aux antipodes de la mytholgie du poète seul dans sa
tour d'ivoire ou sa mansarde. Il s'agira pour les responsables
de cet enseignement d'identifier, puis transmettre les compétences
nécessaires à l'auteur non seulement dans le
travail sur le texte, mais aussi autour du texte - se faire
lire, critiquer, éditer, jouer
.
La dimension bilingue de l'ILS est affirmée fortement
, même si les formes concrètes que prendra ce
bilinguisme sont encore peu dessinées. En revanche,
il est acquis que la traduction littéraire y sera incluse
et fera l'objet d'une filière à part entière.
Fruit d'une initiative supportée conjointement par
l'HEAB, les Hautes Écoles de Zurich, l'association
des Autrices et Auteurs de Suisse et le Centre de Traduction
Littéraire de l'Université de Lausanne, l'ILS
se présente comme un lieu d'échange productif
et concret entre les perspectives différentes de ces
organismes, et un lieu de recherche appliquée sur la
production littéraire.
(Francesco Biamonte, d'après
l'entretien ci-dessous)
auf deutsch
Eine
Schule der Schreibkunst
Das Projekt des Schweizerischen Literaturinstituts
(SLI), anders gesagt einer Schule der Schreibkunst, hat im
März 2005 eine Doppelleitung bekommen: Marie Caffari
und Daniel Rothenbühler werden sich gemeinsam an die
bedeutende und schwierige Aufgabe machen, diese Schule aufzubauen.
Im Herbst 2006 sollte sie bereit sein, die ersten Studierenden
aufzunehmen.
Durch seine Zweisprachigkeit und seine Eingliederung in das
europäische Bildungssystem stellt das Projekt stellt
eine entscheidende Neuerung für die Schweiz, aber auch
auf internationaler Ebene dar. Literarische Kreise bringen
ihm Enthusiasmus, aber auch Skepsis entgegen. Deshalb unser
Wunsch, der Sache in einem langen Gespräch auf den Grund
zu gehen.
Das Projekt, das Daniel Rothenbühler und Marie Caffari
darin beschreiben und kommentieren bildet einen Wendepunkt
für die Literatur in der Bildung und Forschung unseres
Landes und damit auch für das literarische Leben selbst.
Wir wollten den beiden Projektleitern deshalb allen nötigen
Raum für ihre Äusserungen geben. Daraus hat sich
ein Dossier ergeben, das sich schlecht nur auf dem Bildschirm
lesen lässt. Deshalb geben wir ihm neben einer Druckversion
auch noch eine Zusammenfassung bei.
Eine weitere Vorstellung von dem Projekt kann sich ausserdem
noch durch ein Arbeitsdokument der beiden neuen Projektleiter
des SLI machen, das wir unseren Seiten auf französisch
und deutsch beifügen.
Zusammenfassung
- Im folgenden Gespräch
umreissen Marie Caffari und Daniel Rothenbühler das
Profil, das sie dem Schweizerischen Literaturinstitut (SLI,
der Name ist provisorisch) geben möchten. Sie legen
das Hauptgewicht auf das literarische Schreiben selbst und
weniger auf die Berufe im Verlagswesen, in de Kritik usw.,
die es umgeben, und schlage so eine grundsätzlich andere
Perspektive vor als diejenige der universitären Literaturwissenschaft.
Dem entspricht die Eingliederung des Literaturinstituts
in eine Fachhochschule, die Hochschule der Künste Bern
(HKB). Zu einen geht es darum, weniger theoretisches als
praktisches Wissen zu vermitteln, zum andern besteht die
hauptsächliche Herausforderung darin, den Unterricht
auf die Zukunft auszurichten, auf ein literarisches Schreiben,
das es noch nicht gibt. Ein solcher Unterricht kann nicht
normativ sein. Es geht ihm vielmehr darum die Studierenden
zu begleiten, zu unterstützen, zu beraten, ihm zu helfen,
seinen eigenen Weg zu bilden, seine eigene Perspektive zu
entwickeln.
· Dieses Projekt hat seinen Platz in einer positiven
Sicht auf die Postmoderne. Es geht von einem Bild des "Autors"
aus, das dem Mythos des einsamen Poeten im Elfenbeinturm
oder in der Mansarde diametral zuwiderläuft. Es wird
die Aufgabe der Lehrenden sein, Fähigkeiten zu identifizieren
und zu fördern, die der Autor nicht nur in der Arbeit
am Text braucht, sondern auch in der Arbeit mit dem Text
- wenn er ihn öffentlich liest, veröffentlichen
oder spielen lässt, der Kritik aussetzt usw.
- Die Zweisprachigkeit des SLI
wird besonders betont, auch wenn die konkreten Formen, die
sie annehmen wird, sich noch nicht genauer bestimmen lassen.
Ganz sicher ist aber, dass die literarische Übersetzung
einbezogen wird und Gegenstand eines eigenen Studiengangs
wird.
- Das Projekt des SLI ist das
Ergebnis einer gemeinsamen Initiative der HKB, der Hochschulen
der Künste in Zürich, des Autorenverbandes AdS
und des Centre de Traduction Littéraire der Universität
Lausanne. Es bildet so einen Ort des produktiven und konkreten
Austauschs zwischen den verschiedenen Perspektiven dieser
Institutionen und einen Ort der angewandten Forschung zur
literarischen Produktion.
(Francesco Biamonte, nach
dem unten stehenden Gespräch)
Entretien
Le Culturactif : A un certain moment
dans les discussions autour de l'Institut Littéraire
Suisse (ILS), certains proposaient pour cette école
une dénomination qui ne fasse pas directement et uniquement
allusion à la littérature, mais plus largement
aux " métiers de l'écrit ", voire
aux " métiers du livre ". Le communiqué
par lequel vous faites état de la version actuelle
de votre projet parle de " métiers littéraires
", et cet adjectif revient à plusieurs reprises
sur le document en question. Au-delà de la nomenclature,
quel profil souhaitez-vous donner à l'ILS ?
Marie Caffari: En premier lieu,
il faut rappeler que la dénomination " Institut
Littéraire Suisse " est provisoire. Ensuite, que
l'ILS sera intégré dans la Haute Ecole des
Arts de Berne (HEAB). Nos propositions seront donc orientées
vers la création, la créativité dans
l'écriture - ou dans la traduction littéraire,
qui comporte aussi une part de créativité. Cela
dit, on accède naturellement par là à
d'autres aspects parallèles de l'écriture. Lire
des textes d'autres écrivants (nous distinguons ce
terme de celui d'écrivain) et en débattre forme
naturellement aussi à la critique.
Daniel Rothenbühler : Un
point essentiel est qu'il n'y a pas une écriture,
mais des écritures, une pluralité d'écritures.
Au centre de cette formation, il y aura donc évidemment
les écritures littéraires ou artistiques, mais
un " écrivant " doit aussi tenir compte des
autres formes d'écritures qui existent dans la société.
Cette formation doit également préparer les
étudiants à d'autres professions dans lesquelles
l'écriture revêt une place centrale.
Evidemment nous envisageons une formation au travail sur
le texte, mais aussi au travail avec le texte. Un auteur,
aujourd'hui, n'a pas seulement besoin de savoir écrire,
mais aussi de savoir défendre ses textes, de les faire
lire, publier, critiquer, jouer, et donc de savoir comment
tout cela se passe.
MC : L'appartenance à
une école d'art implique que l'on n'est pas seulement
dans le domaine des savoirs (qui sont plutôt le domaine
de l'Université), mais aussi dans les savoir-faire.
La situation au sein de l'HEAB ouvre de nombreuses possibilités
de collaboration - par exemple avec le département
de théâtre, de musique ou des arts visuels ,
etc.
DR : Pour élaborer le
programme, nous devons voir en premier lieu quelles sont les
compétences qui font partie du métier d'auteur
aujourd'hui. Cet examen s'avère parfois surprenant.
Ce sont des compétences plurielles, et changeantes
: l'auteur aujourd'hui ne correspond plus du tout à
l'image que l'on pouvait s'en faire il y a cinquante ans.
Votre document parle aussi de "
recherche appliquée "
A quoi pensez-vous
au juste, et en quoi cette recherche se distinguera-t-elle
d'une perspective universitaire ?
DR : Il y aura évidemment
des recoupements, et l'organisation des études devra
trouver ses articulations et ses éventuels échanges
avec les universités et les perspectives qui leur sont
propres. La lecture sera naturellement une activité
importante, et la perspective historique ne peut pas être
négligée. Mais la perspective sera fondamentalement
différente. Depuis le début du XXème
siècle, les Facultés de lettres se sont spécialisées
dans la lecture, et ont renoncé à examiner la
production, notamment parce que la théorie ne peut
saisir la production jusqu'au bout. Dans une Haute Ecole comme
celle-ci, on a la grande chance de faire une recherche tentant
de cerner de plus en plus près la pratique de l'écriture,
et dès lors de faire des pas en avant dans ce domaine
négligé -pour de bonnes raisons - par les universités.
MC : L'objet de recherche que
nous souhaitons approcher n'est donc pas le texte, mais "
comment le texte s'écrit ". Un pôle de cette
recherche pourrait se connecter au bilinguisme, dans une direction
plus expérimentale. Cet aspect expérimental
est également complémentaire à ce que
proposent les universités.
DR. C'est très important.
L'université, dans le domaine des lettres, est toujours
dans " l'après-coup ". Notre projet est d'ouvrir
le champ vers l'avenir : non pas vers ce qui existe, donc,
mais vers ce qui n'existe pas encore - vaste programme !
MC : On lira aussi à
l'ILS, comme à l'université, mais dans la perspective
de l'écriture.
DR : Un exemple : à l'université,
les étudiants ont des listes de lectures obligatoires,
qui font partie du canon. Nous pensons aussi qu'il faut des
listes de lectures dans l'ILS, mais dans l'idée d'un
portfolio personnel : ce sera la tâche de chaque étudiant
d'élaborer le sien,. On ne peut pas orienter les étudiants
vers un canon déterminé, puisqu'il s'agit justement
aussi de déplacer ce canon et de faire des découvertes
avec ce qu'amènent les étudiants eux-mêmes.
C'est un institut bilingue : est-il
conçu " à la suisse " (selon le principe
" chacun dans sa langue "), ou souhaitez-vous faire
des tentatives plus expérimentales en faisant par exemple
écrire les étudiants dans l'autre langue ?
MC : Tout n'est pas décidé
!. Il est clair que la maîtrise des deux langues du
canton (français et allemand) sera un prérequis
pour accéder à l'ILS. A priori, on garderait
l'idée d'un travail d'écriture dans la première
langue de chaque étudiant, mais il faut réfléchir
aux expériences possibles - voir si certains étudiants
veulent essayer de travailler dans l'autre langue, réfléchir
aux diverses situations de bilinguisme, très fréquentes
(si l'on pense à toutes les personnes ayant une langue
maternelle différente de leur langue d'éducation
; au suisse-allemand face à l'allemand ; etc). L'ILS
sera un lieu pour réfléchir à ces questions.
DR : L'ouverture vers l'expérimentation
est très importante. Aujourd'hui la langue bouge. On
le sent bien en Suisse, on ne peut plus définir les
communautés linguistiques comme autrefois, et la littérature
doit aussi en tenir compte. Au cours des deux derniers siècles,
on a beaucoup rattaché la langue à la question
de l'identité et de l'appartenance, et ce lien a joué
un rôle prépondérant pour la littérature
et pour le concept même d'auteur. Cet aspect de la langue
est en train de se déplacer, d'évoluer vers
quelque chose qu'on ne connaît pas encore, et la littérature
doit en tenir compte. Du point de vue de l'ILS, ce sont des
ouvertures, des possibilités, pas des exigences.
L'enjeu majeur si l'on résume,
et c'est un vrai défi, c'est d'inventer quelque chose
de pertinent tout en restant ouvert sur ce qui n'existe pas
encore
DR :
et sans aboutir
dans le " n'importe quoi ". Cela a à voir
avec le débat sur le post-modernisme. Certains l'identifient
au " n'importe quoi ", puisque " tout est possible
". Mais je l'orienterais plutôt vers une pluralité
nouvelle, une multitude de recoupements potentiels dont il
faut tenir compte. Pour ce qui est de l'écriture :
autrefois, Roland Barthes pouvait encore distinguer clairement
des écritures de différentes époques,
et le " degré zéro " de l'écriture.
Aujourd'hui, on est passé plus loin. On a dépassé
sa vision - qui était aussi politique - de la possibilité
d' une nouvelle écriture dans une nouvelle société.
On ne l'a pas dépassée par une nouvelle société
(malheureusement), mais par une résignation à
une pluralité d'écritures reprises du passé.
Un écrivain aujourd'hui doit faire face à une
multitude de possibilités et faire ses choix. Notre
devoir sera de faire connaître ces possibilités.
Du côté de la traduction
: il existe des théories, des écoles. Aurez-vous
une orientation définie?
DR : Il existe de nombreuses
théories de la traduction, mais aucune n'est convaincante
seule. Là encore, il s'agira de débattre, de
délibérer. Il est impossible de dire dans l'absolu
ce qui fait une bonne traduction, comme il est impossible
de dire ce qui fait un bon texte. On devra regarder des cas
concrets, voir en quoi une traduction est convaincante ou
non. Comme pour le reste de l'enseignement de l'ILS, il ne
pourra être normatif, mais devra être délibératif.
Justement, votre document parle
de cet enseignement " délibératif ".
Pouvez-vous nous commenter ce terme ?
MC : Quand on parle d'un tel
projet, il provoque souvent une réaction de peur :
peur de la bride, de la rigidité, de la norme, du standard,
de l'autorité " scolaire ". L'idée
que nous défendons est celle d'un dialogue dans lequel
la part du travail personnel sera importante. Les propositions
des étudiants sont accueillies dans un cadre qui les
soutient, ouvre leur palette: à travers des propositions
techniques ou des contacts
L'évaluation se ferait,
dans un tel système, sur la base de la cohérence
du projet, et non de normes.
En Romandie, on est très marqué par l'enseignement
frontal ; j'ai vu à l'étranger que les groupes
de travail, les ateliers, peuvent être des lieux de
discussion où " l'enseignant " doit savoir
adopter la perspective de l'étudiant. Les pays anglo-saxons
sont beaucoup plus habitués à ce type d'enseignement
que la France, par exemple. A Londres, les étudiants
interviennent même dans les cours ex cathedra, posant
directement au professeur des questions qu'ici, l'on n'oserait
guère poser qu'à mi-voix à son voisin,
et encore
L'enseignement ango-saxon est aussi marqué
par des groupes plus petits et un travail plus axé
sur le coaching individuel. Dans le cas qui nous intéresse,
il faut s'imaginer une structure accueillant un tout petit
nombre de personnes.
Comment structurer un tel enseignement
?
DR : Nous envisageons à
ce stade d'aller jusqu'à 70% de travail individuel.
C'est énorme, mais on ne peut pas faire autrement que
de lui donner une place prépondérante. Pour
les enseignants, il faudra choisir non pas simplement des
lettrés, mais vraiment des auteurs, et assurer là
aussi une pluralité, un roulement. Il faudra faire
attention à ce que les auteurs ne soient pas là
pour former des disciples. Je vous propose une comparaison
hasardeuse : le Vatican veut établir un Master d'exorcisme.
Pourquoi ? Pour discipliner les exorcistes. Sarkozy propose
une formation universitaire des imams en France. C'est bien
sûr pour discipliner les imams. Une formation subventionnée
par l'Etat réveille naturellement cette crainte : s'agit-il
de discipliner les auteurs ? Or notre projet vise à
ne pas formater les étudiants, mais à libérer
leurs potentiels individuels. Notre ambition n'est pas que
l'on reconnaisse les écrivains formés chez nous
à leur manière d'écrire, mais bien que
l'on se dise : " Tiens, en voilà un qui propose
quelque chose de tout-à-fait inattendu ! (Et il se
trouve qu'il a passé par l'ILS) "
Dans le monde de l'art, le système
est tel que quiconque sort d'une école reconnue est
"labelisé" artiste, et peut dès lors
obtenir d'être exposé bien plus facilement, indépendamment
de la qualité de son travail. Ce risque de labélisation
vous préoccupe-t-il ?
MC : On peut ici se rassurer
sur l'exemple des expériences qui ont été
faites en Grande-Bretagne, en Allemagne ou aux Etats-Unis,
où de tels instituts existent depuis 25 ans, et où
des auteurs continuent à émerger indépendamment
de ces écoles.
DR : Il faut se rappeler que
l'ILS n'est pas la voie pour devenir auteur. Il permet de
faire autre chose: aujourd'hui, un auteur dispose de fait
d'un ensemble de compétences qui ne sont pas reconnues.
Avec l'ILS, on a la possibilité d'arriver à
une certification de compétences. Ce qui contribue
donc aussi à faire reconnaître le métier
d'auteur en tant que tel.
Qu'en est-il des "débouchés"
? Pouvez-vous apporter quelque chose ?
MC : C'est une question très
complexe. Mais on peut imaginer des formules comme des masterclass
avec des éditeurs par exemple, autour de questions
très pratiques. L'ILS ne peut rien promettre, bien
évidemment. Mais on peut augmenter les chances, notamment
en faisant accéder les étudiants à un
réseau.
Vous proposerez une structure avec
Bachelor (BA) et Master (MA). Pouvez-vous nos expliquer la
différence entre ces filières ?
DR : C'est en discussion. Vraisemblablement,
la filière normale sera le MA, avec la possibilité
de s'arrêter en cours de route avec un BA - par exemple
pour évoluer vers un autre MA, dans un domaine connexe
(le management culturel par exemple). Le BA serait plus général,
avec la création de textes plus petits dans des genres
divers, le MA serait plus spécialisé, et ouvrirait
un plus grand chantier.
Quels seront les conditions d'admission
dans l'école ?
DR : La marge de manuvre
est relative, puisque il faut se conformer aux exigences de
la HES. Il faudra présenter une maturité ou
une maturité professionnelle. Mais nous voudrions réussir
à défendre une possibilité d'accès
pour des personnes ayant des compétences concrètes
dans le domaine, indépendamment de leurs certificats.
Nous imaginons actuellement une présélection
sur dossier, puis des entretiens. Il s'agit non seulement
d'évaluer le potentiel des textes présentés
par les candidats, mais aussi une attitude ouverte : il faudra
témoigner d'un désir de confrontation et de
dialogue. On ne pourra pas ici être un auteur solitaire
enfermé dans sa chambre, puisque le programme s'adressera
par essence aux gens désireux de contacts et de discussions.
En période de restrictions
budgétaires, concentration, rationalisations et autres
disparitions de chaires, la création de l'ILS acquiert
une singularité frappante. Les critiques, notamment
politiques, ne manqueront pas de surgir, mais le poids symbolique
de cette naissance n'en est que plus grand. L'écrit
et l'écriture créative seraient-ils en train
de reprendre de la vitesse, après avoir pedu au cours
du XXè siècle leur statut privilégié
face à d'autres médias ?
DR : La " belle écriture
" a été colonisée au XXè
siècle par d'autres types d'écriture : par l'écriture
scientifique par exemple, qui a même colonisé
le monde des lettres : on savait autrefois qu'un professeur
de lettres avait une belle plume ; ce n'est plus le cas. Un
écrivain ne peut plus envoyer un texte à un
journal et espérer qu'il sera publié tel quel
: il y a des normes rédactionnelles auxquelles il faudra
s'adapter. Le marketing aussi colonise l'écriture.
Quant à moi, je rêve d'une reconquête du
terrain par une écriture qui soit riche et porteuse
de sens en tant que telle. La " culture générale
", à laquelle appartenait le fait de savoir bien
écrire, n'existe plus : elle est remplacée par
une culture fonctionnelle, répondant aux besoins de
secteurs précis. L'écriture doit donc aussi
défendre son terrain, se spécialiser, défendre
son emploi, son lieu de formation
Dans la sectorisation
des savoirs, il faut redonner une place à l'écriture.
MC : En apparence, en effet,
la conjoncture peut paraître difficile ; mais en fait,
nous vivons un moment d'ébullition, très dynamique,
avec la refonte des HES, les accords de Bologne pour les universités,
etc. De grandes réflexions et des débats sont
en cours sur l'enseignement. Nous l'avons très bien
senti en discutant avec les responsables d'autres filières
de l'HEAB : en dépit du contexte économique,
le moment est propice pour tenter des choses nouvelles.
L'ILS sera unique en Suisse : aura-t-il
une vocation nationale, incluant l'italien, voire le romanche,
au-delà de sa structure bilingue ? Comptez-vous privilégier
des enseignants suisses (plutôt que des écrivains
français ou allemands par exemple) ?
DR : L'ILS n'est pas une institution
fédérale. Elle n'a pas le devoir de répondre
aux exigences des autres régions linguistiques (pour
justifiées que soient ces exigences). Le financement
est donc avant tout cantonal, mais l'adhésion d'élèves
d'autres cantons entraînera une péréquation
financière. Si les cantons des Grisons et du Tessin
se trouvent bien représentés parmi les étudiants,
ils apporteront dès lors aussi des finances, et on
pourra peut-être envisager d'intégrer leur langue.
Mais il est important de souligner que c'est un institut suisse,
et non pas " national "
Dans quelle mesure l'ILS pourra-t-il
s'inspirer des instituts analogues existant dans d'autres
pays ? Quelle seront ses singularités ?
MC : La Suisse est un pays singulier,
notamment sur la question des langues, l'ILS sera donc singulier.
Cela dit, les écoles de ce type se mettent actuellement
en réseau, avec des conférences (la dernière
a eu lieu en mars 2005 à Leipzig, il y en aura d'autres
en 2007 et 2009). (A propos de l'école de Leipzig et
de la conférence internationale :
http://www.deutschesliteraturinstitut.de/ Ces écoles
se posent des questions que nous nous posons aussi : comment
adapter les études aux " formats " BA et
MA, par exemple. Il y aura sans doute des discussions intéressantes
entre ces instituts. La Suède dispose aussi d'un tel
institut assez récent, dans lequel des questions similaires
se sont posées. Notre projet intéresse ces autres
instituts en dépit de sa petite taille en ce qu'il
est neuf et peut démarrer à partir des données
actuelles du monde de l'enseignement : d'autant que la Suisse
a été très rapide dans la mise en oeuvre
des accords de Bologne, l'ILS sera donc suivi avec beaucoup
d'attention, notamment par la France et l'Allemagne.
DR : Notre projet est celui
d'un institut certes suisse, mais à vocation internationale.
Les enseignants seront donc sans doute aussi étrangers.
D'ailleurs, les écrivains de ce pays ne se considèrent
pas avant tout comme des " écrivains suisses ",
mais comme des " écrivains (suisses) de langue
allemande " ou " de langue française "
Mais il y aura sans doute des discussions, puisque pas mal
de gens voudront probablement enseigner dans cet Institut
; des arguments pragmatiques interviendront certainement.
Sur la question de la singularité d'un institut bilingue
: il existe deux autres instituts bilingues, notamment un
en Israël (hébreu et arabe), avec la signification
politique que cela peut représenter.
L'ILS émane en bonne partie
d'initiatives des Autrices et Auteurs de Suisse (AdS) : donc
une association professionnelle, indépendante de l'Etat
et du Canton de Berne. Comment se négociera la particpation
de l'AdS à l'ILS ?
MC : De nombreux enseignants
de l'ILS seront certainement des adhérents de l'AdS.
La Haute Ecole représente la structure, le cadre avec
son potentiel interdisciplinaire. L'institut, ce sera le carrefour.
Mais il faudra en parler à la prochaine réunion
de l'AdS.
DR : Dès le début,
l'ILS a d'ailleurs été conçu comme étant
à l'intersection entre plusieurs structures (l'HEAB,
la Haute Ecole de Zurich, l'AdS, le Centre de Traduction Littéraire
de l'Université de Lausanne). Il y aura bien sûr
des tensions, il y en a déjà eu, mais elles
ont été extrêmement productives. Tous
les participants, tout en défendant leur vision, ont
cette ouverture et cette curiosité.
MC : Notre co-nomination est
un signe évident de cette ouverture. Le groupe de pilotage
est lui-même composé de personnes dont l'activité
se situe à l'intersection de plusieurs domaines.
|