L'invité du mois
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Note
L'inédit suivant
est issu de Destinations
païennes, recueil de proses brèves
en cours. La revue Europe (septembre 2000) et
la Revue de Belles-Lettres
(no. 3-4, 2000) ont donné en prépublication
quatre proses issues de ce recueil. Elles ont
fait objet de lectures publiques, dans une mise
en scène de François Marin, au Festival
de la Cité (Lausanne, 11 juillet 2000)
ainsi qu'au théâtre de L'Alambic
(Martigny, 13 novembre 2000).
Après Morts
ou vif,
texte à fondement autobiographique, ce
recueil travaille le passage à la «fiction».
Reste à savoir le sens que prend ce mot
dans mes tâtonnements actuels.
Jérôme Meizoz
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Un inédit
de Jérôme Meizoz |
Silence de midi
Ça commence d'ordinaire par un
signe ténu.
A l'heure docile des bureaux, ou à midi.
Hier, par exemple, tout était soleil et ciment devant
le stade désert. Son dos de colosse luisant. L'air
assourdi ou plombé.
Aux arbres, à peine l'effervescence des oiseaux.
Les yeux fermés, j'écoutais
un pas sur le gravier. Un vieil homme, bonnet de laine troué,
vieux manteau rouge, pantalons de poussière.
Tend une main enflée, et trébuche sur les mots
:
- Pour manger...
Je me détourne des mendiants. Ils me font honte. De
moi.
Baisser les yeux, et passer mon chemin.
Mais ce midi irréel et arrêté en a décidé
autrement.
- Vous venez d'où ?
- Portugal...
Sursaut. Justement, la rêverie
dont j'étais l'otage, c'était Lisbonne, les
terrasses, le Tage.
Splendeur du Portugal. Sel et sable.
Une carte postale comme j'en ai trop.
- Pas de travail ici...
Je fais mes poches.
Son visage. Quelque chose comme celui d'un vieil italien de
mon enfance, Giuseppe, francisé par nous en Joseph.
Papa l'avait renversé avec sa voiture. Depuis, il a
toujours boité. Souriant pourtant du matin au soir.
Je le voyais revenir le soir de l'usine à bois. Il
n'est jamais reparti pour les Pouilles.
Il a traîné ses vieux os ici, son perpétuel
et poli soliloque.
Face à moi, l'ombre au bonnet
rouge grimace, entre larmes et sourire.
Soudain le gravier crissant semble celui
d'un cimetière.
Et si les vivants, provisoires, n'étaient que la frange
émergente des êtres qui errent par ici ?
Il a pris les pièces, et remercie
de la tête.
Je ne fais donc pas la justice, juste la charité. Le
pitoyable geste.
Il tend sa main noire vers la mienne.
En le quittant, j'essuie machinalement mes doigts dans un
mouchoir.
A nouveau, midi et son
silence de tombe.
Jérôme Meizoz
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Présentation
du recueil en cours |
Pouvoir des fictions
Je ne sais rien inventer, juste me souvenir.
Or, tout souvenir est déjà
une fiction.
Il suffit de le laisser suivre sa pente.
«Je passais par là par faiblesse,
juste pour revoir les lieux du passé...» (Horvath)
Une seule photo, une seule couleur suffit à lever tous
les souvenirs d'une vie.
J'abrite, tu abrites, il abrite quantité
de voix.
D'abord les reconnaître, et peu à peu les nommer.
Puis lâcher ces parleries dans la chambre d'échos.
La fiction commence là où
le "je" se dédouble.
J'échappe, tu échappes, il échappe à
l'identité stable qu'on lui demandait d'endosser.
Le raconteur n'a plus de comptes à rendre à
personne.
Il tient les clefs des portes d'ombre
et de lumière qui claquent au fond de l'homme civil.
Il peut lancer ici ou ailleurs ses expéditions païennes.
Il peut se rendre le lointain accessible.
La fiction confère des vies à
double, à triple. Elle dépersonnalise, virtualise
la personne et le personnage.
Écrire, c'est écouter son
corps qui pense. A son rythme.
Ils appellent ça trouver leur "ton".
Être dans la tonalité, se fier au corps pensant.
Quand ça chante, qui se soucie
de la barrière des genres, du vrai ou du faux?
Capter l'énergie là où
elle se trouve.
Là où ça arrive.
J'ai été et je serai bref.
Jérôme Meizoz
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Bio-bibliographie |
Né en 1967, Dr ès lettres,
Jérôme Meizoz
est Maître-assistant à L' Université de
Lausanne. Chargé de cours suppléant à
l'université de Genève, il donne en hiver 2000-2001
un séminaire consacré à Maurice Chappaz.
Auteur de plusieurs essais
(Lovay (Zoé, 1994), Ramuz
(Zoé, 1997),
Le Droit de "mal écrire" (Zoé, 1998)),
et éditions de textes (C.F. Ramuz, Critiques littéraires,
Slatkine, 1997 ;
Jean Starobinski, La Poésie et la guerre 1940-1944,
Zoé, 1999),
il a participé à l'Histoire de la littérature
en Suisse romande
(vol. 3 et 4) de Roger Francillon (Payot, 1998-1999)
et collabore à l'édition critique des Romans
de Ramuz
dans la collection de la Pléiade (Gallimard).
En 1999, il a publié un récit de deuil, qui
obtient la mention
"Livre de la Fondation Schiller 2000" (Morts ou
vif, Zoé).
En octobre 2000, lauréat d'un
des Prix d'encouragement à
la création artistique de l'État du Valais.
A paraître
- L'Age du roman parlant 1919-1939 (Aragon,
Céline, Queneau, Giono, Ramuz, Cendrars, Poulaille),
(thèse de doctorat, Université de LAusanne,
juin 2000, 628 p.)
- Un Lieu de parole. Notes sur des écrivains
du Valais romand (XXe siècle), Saint-Maurice, Éditions
Pillet, octobre 2000, 158 p.
Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
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