Index des auteurs
Introduction
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Première partie
Spitteler
Meinrad Inglin
Robert Walser
Ludwig Hohl
Friedrich Glauser
Seconde partie
Frisch
Dürrenmatt
Eugen Gomringer
Kurt Marti
W.M. Diggelmann
Jörg Steiner
O.F. Walter
Adolph Muschg
Peter Bichsel
Hugo Loetscher
Paul Nizon
Nouvelle génération
W. Schiltknech
entretien
bibliographie
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Paul Nizon
De tous les écrivains suisses
qui commencent à publier vers la fin des années
cinquante, Paul Nizon (1929) est le plus envoûtant par
la magie et la musicalité de son style. Un premier
recueil de proses brèves dit les splendeurs de l'existence
(Die gleitenden Plätze, 1959, Suhrkamp) et manifeste
déjà d'étonnantes qualités expressives.
Le talent éclate, sans être d'emblée reconnu
comme il le mérite, dans le roman Canto (1963, Jacqueline
Chambon). Devant les splendeurs de Rome, un narrateur qui
n'atteint à la plénitude de l'être que
s'il assouvit sa passion de l'écriture, s'agrippe à
"la syllabe au vol capricieux" pour que "quelque
chose existe sur quoi il puisse tenir". Son texte se
fonde sur l'antithèse : au "je" en quête
de soi-même s'oppose le père défunt auquel
il s'adresse, aux pulsations de la Ville éternelle
l'étroitesse provinciale de Berne, son lieu d'origine.
Surabondantes, les images esquissent une dialectique du clair
et de l'obscur, de l'immobile et du mouvant, du temporel et
de l'intemporel : elles suggèrent l'affrontement entre
la vie et la mort.
L'exubérance de l'expression
pallie pour un temps l'issue fatale. Divisé en trois
mouvements comme une partition, le roman déploie une
orchestration rutilante. Il célèbre les fastes
de la ville et la beauté des femmes dans une subtile
alternance des tonalités, des rythmes et des styles
et, porté par une ferveur jubilatoire, prend une dimension
existentielle. Requérant une disponibilité toujours
nouvelle, le narrateur appelle à briser les entraves
et à se révéler à soi-même
en découvrant les richesses du monde. L'individualité
créatrice : au-delà de la moralité bourgeoise
et de la morosité helvétique, telle est l'utopie
que Canto proclame avec une luxuriance incomparable.
Ces envolées conjurent un climat
autre, paralysant pour l'artiste et propre selon Nizon à
la vie en milieu suisse. Ainsi, il prétend dans le
provocant essai polémique Diskurs in der Enge (1970,
Suhrkamp) que l'étroitesse du pays d'origine s'oppose
à l'art et à la vie même, et cite à
l'appui les destins tragiques de Soutter, Walser et Glauser.
Cette thèse est développée avec une ironie
insidieuse Dans la Maison les Histoires se défont (1971,
Actes Sud), qui "n'est pas un roman". Sept parties,
annoncées par un titre déclamatoire, suggèrent
un ordre d'une rigueur arbitraire, les personnages n'évoluent
pas, il n'y a ni progression ni déroulement temporel
: la forme parodie les rituels de l'existence bourgeoise et
figure la stagnation. L'écriture cependant réfute
ce mortel immobilisme : l'alchimie verbale, les variations
du style et le surgissement des images "renversent la
maison", l'imagination créatrice soustrait à
l'étouffement par l'entourage et instaure une réalité
intense et vivifiante.
Un matériau ingrat inspire une
prose d'une singularité fascinante. Elle accorde la
poésie et la polémique, l'évocation et
la satire, le désenchantement et l'espérance.
Le lecteur peut sans risque et avec le même plaisir
étonné commencer à n'importe quelle page
du livre et poursuivre à sa guise, l'invention ne retombe
pas. Rarement la maison suisse, objet dans la littérature
contemporaine de toutes les désillusions, a donné
lieu à une oeuvre aussi inspirée.
Mais la rupture avec l'ordre bourgeois
n'est pas aisée, elle implique un déchirement
décrit dans Immersion, 1972, Actes Sud) sous la forme
d'un "protocole" émouvant et d'une sobre
élégance. Emporté par sa passion pour
une inconnue qui l'entraîne dans Barcelone, et en même
temps lucide spectateur de lui-même, le narrateur finit
par accéder à soi. Mais ce n'est qu'en assumant
un sentiment de culpabilité à l'endroit de la
famille qu'il se sent prêt "à plonger dans
son propre travail... pour être enfin présent
au monde". La tentative de la réalisation de soi-même
cependant reste dangereuse, elle peut entraîner l'échec
et se solder par une tragédie, comme le dépeint
le roman Stolz (1975, Actes Sud). Nizon le rédige à
la troisième personne comme pour gagner de la distance,
et s'inspire pour certains motifs et pour l'écriture
du récit Lenz, de Büchner. Malgré les impulsions
qu'il sent en lui-même et les modèles offerts
par Soutine et dans la correspondance de Van Gogh, dont le
roman intègre habilement des passages, Stolz n'a pas
la force intérieure nécessaire pour créer
et inscrire sa trace dans le temps, et meurt misérablement
sous la neige, dans la forêt de Spessart:"Il n'avait
plus qu'un seul désir, ne pas être réveillé".
Chez Nizon, les rapports sont étroits
entre les événements de la biographie et la
réalité évoquée dans ses livres.
Dans les textes où il définit sa poétique
(Marcher à lEcriture, 1985, Actes Sud, Lil
du Coursier. Précédé de Mes Ateliers,
1994, Actes Sud), il dit s'exprimer dans le genre de "l'autofiction"
et se définit avec humour comme "un fictionnaire
autobiographique qui stationne en passant". Ecrivain,
il ne "débite pas des histoires", mais explore
son expérience au cours d'un "voyage par le langage"
qualifié de "recherche".
Sur ce qui est sa raison d'être,
l'activité créatrice, Nizon s'explique aussi
dans un captivant "Journal d'atelier", LEnvers
du Manteau (1995, Actes Sud). Il dit ses aspirations et ses
faiblesses, informe sur la gestation souvent difficile de
ses textes, sur sa mythologie personnelle et les personnages
auxquels elle se rattache, et met en lumière la cohérence
de son oeuvre. Affleurent dans le livre des réminiscences
de l'enfance, des portraits et des scènes de la vie
familiale et de prenantes résurgences oniriques. Et
défilent aussi les confrères qu'il admire, ses
maîtres à penser et ses modèles, et avec
le panorama de ses lectures, celui des paysages et des cités
qu'il admire.
C'est LAnnée de lAmour
(1984, Actes Sud), paru en France une année après
sa publication, qui a rendu Nizon célèbre comme
chantre de Paris et a entraîné la traduction
française de l'essentiel de son oeuvre. Le roman intègre
subtilement des thèmes et des motifs de ses livres
antérieurs, des échappées oniriques et
des éléments du conte. Quatre parties mettent
en scène un "je" écrivain fascinant
dans le miroir de ses rôles, subjugué par les
beautés des lieux, les jouissances et les jeux de l'amour
vénal, en proie à la difficulté d'exister
et d'être poète, aux affres et au bonheur de
la passion : jusqu'à ce que sous les pulsations de
la Ville lumière naisse l'écriture, "aussi
indispensable désormais que l'acte de respirer",
"terre ferme" permettant de ramener sur le rivage
"quelques parcelles du moi, ou quelques parcelle de vie".
Tantôt porté par des élans jubilatoires,
tantôt sensuel et coloré, intense et d'une élégance
musicale, c'est sur les multiples visages de l'amour et de
la capitale, sur la conquête de l'individualité
et la vocation d'artiste, un roman d'une composition raffinée
et d'une plénitude qui subjugue.
On retrouve dans les cinq "capriccios"
composant Dans le Ventre de la Baleine (1989, Actes Sud) les
moments essentiels de la quête nizonienne. C'est à
nouveau la sensibilité vibrante d'un narrateur avide
de mots qui "babillent et déboulent et dansent
en moi", assoiffé de vie et de bonheur, "en
proie à une allégresse, un désir de s'investir,
un sentiment de complicité avec le monde entier...
l'envie de lui donner la chasse... de le capturer dans la
nasse des mots, des tournures, des images...". C'est
encore, dans une prose d'une sensualité fervente, mais
finement élégante aussi et parée des
séductions de l'humour, l'errance dans Paris, la moisson
effrénée, plus intense et plus grave quand s'éveille
la conscience de l'irrévocable écoulement des
jours. Un cheminement à l'infini et sans trêve,
à l'image du Marcheur de Giacometti dont la reproduction
clôt l'édition originale du livre. Le parcours
d'un écrivain d'une intransigeance walsérienne,
au gré de l'imagination et de la mémoire, des
sentiments et des sens, pour atteindre à cet "être
obscur, fait de mots et d'images, de pauses et de mélodies,
que je subodore et pourchasse, et qui sans cesse échappe
à mes regards".
Après LAnnée de
lAmour et Dans le Ventre de la Baleine, la "trilogie
parisienne" s'achève par Chien, Confession à
midi (1998, Actes Sud). A la première personne, presque
malgré lui, un marginal, posté dans une rue
de Paris et plongé dans ses pensées jusqu'à
citer le cogito de Descartes, livre ses confidences. Comme
le chien d'autrefois qu'il se remémore, il est un "être
du présent... pris tout entier par l'instant",
et goûte aux saveurs de la réalité "jusqu'à
voir déborder la coupe intérieure". Ces
moments de participation donnent lieu à des pages exaltantes
: sur l'ivresse d'un voyage, la foule et les rumeurs d'une
médina, sur les sortilèges d'une nuit d'amour
et des moments de l'enfance. Sur les faits divers du temps
présent, les incidents du quotidien et les préoccupations
qu'ils imposent.
Et pour la délectation du lecteur,
ce clochard se croit en butte aussi à l'indiscrétion
d'un écrivain reconnu, auquel ses traits donnent une
allure nizonienne. Est-il sous surveillance pour se faire
"coller une histoire sur le dos", où se trouvent-ils
liés indépendamment l'un de l'autre ? Une suggestive
rencontre ne permet pas d'en décider, mais le marginal
finit par se mettre en quête d'autres lieux. Adieu peut-être
aux figures de la lignée du "soldat" et du
"marcheur", cette fin intrigue et fascine. C'est
grave et cela reste un jeu empreint de réminiscences
walsériennes, où la problématique existentielle
affleure avec une prenante et discrète élégance.
Solitude et liberté, condition de l'artiste et regard
sur l'époque : ces thèmes se nouent dans une
confidence presque sereine, au gré des rythmes et de
la musique d'une écriture harmonieusement parée
des raffinements de la langue et du style.
Tous les auteurs
cités ici ont su créer leur écriture
personnelle et une oeuvre que certains poursuivent encore,
et qui promet de les inscrire dans le siècle. Marqués
pour la plupart par l'influence du pays d'origine et de son
climat, ils sont largement connus au-delà de ses frontières.
Mais après leurs générations en surviennent
d'autres, qui débutent à partir des années
septante. Moins préoccupées de la Suisse, elles
ouvrent des horizons plus vastes. C'est, notamment, l'avènement
des femmes, survenues en nombre et révélées
par des écritures autres et d'une remarquable qualité.
C'est le développement du style polémique, la
métamorphose du langage théâtral et romanesque,
le bel essor de la poésie. De quoi découvrir
des auteurs connus déjà à l'étranger
par des oeuvres fortes. Complétant le panorama du siècle
ou incarnant l'avenir, ils restent à présenter.
Wilfred Schiltknecht
entretien et bibliographie de
Wilfred Schiltknecht
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