Index des auteurs
Introduction
.
Première partie
Spitteler
Meinrad Inglin
Robert Walser
Ludwig Hohl
Friedrich Glauser
Seconde partie
Frisch
Dürrenmatt
Eugen Gomringer
Kurt Marti
W.M. Diggelmann
Jörg Steiner
O.F. Walter
Adolph Muschg
Peter Bichsel
Hugo Loetscher
Paul Nizon
Nouvelle génération
W. Schiltknech
entretien
bibliographie
|
Wilfred
Schiltknecht
Un pont sur la Sarine
Depuis plus de trente ans, Wilfred
Schiltknecht contribue à faire connaître la
littérature alémanique aux Romands. Après
des études de lettres en Suisse, en Allemagne et
en Angleterre, il consacre en 1975 une thèse aux
Aspects du roman contemporain en Suisse allemande. Parallèlement
à son enseignement de l'allemand, il donne des chroniques
littéraires à la Tribune de Lausanne, à
la Feuille d'Avis de Lausanne, puis au Journal de Genève,
enfin au Temps, tâche qu'il assume encore actuellement.
Il s'est également ingénié à
faire connaître la littérature alémanique
sur les ondes de la Radio romande.
Avec notamment Jeanlouis Cornuz et
Gilbert Musy, il a aussi publié, préfacé
et commenté anthologies et ouvrages critiques, plus
quelques traductions de poèmes. Enfin, il a présenté
de très nombreux auteurs alémaniques dans
des revues littéraires, dont Ecriture, Le Magazine
littéraire, etc.
- Wilfred
Schiltknecht, vous êtes ce qu'il est convenu d'appeler
un "passeur": vous vous ingéniez à
transmettre la création littéraire de Suisse
alémanique vers la Suisse romande. Est-ce du journalisme
?
- En tant qu'information, oui. Mais
j'essaie de faire un peu plus. Je m'intéresse à
l'écriture, au style. Il y a les articles que j'ai
faits pour des revues, les préfaces... et la thèse
parue en 1974 à L'Age d'Homme : Le roman contemporain
en suisse allemande. Au début, je travaillais pour
la Tribune de Lausanne qui avait un numéro du dimanche
consacré à l'art, à la musique et à
la littérature. Maintenant, c'est le sport et le cinéma.
- Et
Freddy Buache ?
- Oui, lui a survécu. Mais ses
articles sont plus courts. Avant, c'étaient des pages
culturelles. Les articles étaient beaucoup plus longs.
La Tribune de Lausanne décernait un prix littéraire,
Dürrenmatt l'a eu pour une pièce radiophonique
: Une soirée d'automne.
- Le rôle de la critique littéraire
s'est donc estompé ?
- Oui. La Tribune me laissait par exemple
une page pour présenter une pièce de Brecht
jouée à Lausanne ou à Genève.
J'allais à Zurich faire des comptes-rendus des premières
de Frisch, d'Otto Walter... Maintenant, c'est la Neue Zürcher
Zeitung qui a repris ce rôle. Il s'agissait pour moi
de pallier le défaut de l'Université d'alors
: on ne s'intéressait qu'aux auteurs morts. Mais les
choses sont en train de changer, on prend de plus en plus
en compte les contemporains. Pour moi, ce qu'il y avait de
formidable, c'est qu'il n'y avait pas de bibliographie. Il
fallait discuter des oeuvres, se mouiller. J'ai eu la chance
de parler avec Jeanlouis Cornuz (qui avait été
traducteur aux procès de Nuremberg) et qui m'a initié
à la littérature allemande contemporaine. A
l'Université, l'auteur le plus moderne que j'ai étudié
était Hofmannsthal !
- Quels sont vos critères
de qualité ?
- Finalement, c'est très personnel.
Je crois qu'on peut montrer, sur quelques pages - c'est une
illusion, peut-être - qu'une écriture personnelle
saute aux yeux. En peinture, en musique, c'est pareil... On
reconnaît certains critères... Je reçois
beaucoup de livres : on feuillette le début, on continue...
Rétrospectivement, je suis stupéfait de la confiance
que m'accordaient les journaux d'alors : la Tribune de Lausanne,
la Feuille d'Avis. Il y avait une exigence de qualité
extraordinaire, puis on a dévié vers le scandale.
Le rédacteur en chef tenait beaucoup aux relations
avec la Suisse allemande, j'étais complètement
libre, je présentais de jeunes auteurs inconnus. Mon
critère de l'époque - peut-être discutable
- était le critère de la nouveauté. C'était
la fin des années cinquante en Allemagne, on a commencé
à interroger l'écriture en tant qu'écriture.
Il y a eu ce qu'on a appelé la poésie concrète,
soit une poésie attentive à l'association des
mots, aux combinaisons possibles des mots, où le sens
venait non pas de l'idée qu'on voulait y mettre mais
partait du mot, des associations de mots. Je présentais
ces poètes, ces romanciers, c'était le critère
de l'innovation. Je n'ai jamais aimé le genre de poésie
où il faut allumer des cierge, se recueillir... J'aime
la poésie axée sur la vie, comme Brechtbühl,
non la poésie du mot rare. C'est aussi en relation
avec une certaine conception de la culture, cette culture
où il faut se mettre en frac, au vocabulaire élitaire...
Cela a été remis en question dans les années
soixante, dans le Journal de Frisch, où il se demande
comment des fervents de la musique de Mozart peuvent être
des tortionnaires. Il y avait un véritable courant,
Frisch et Dürrenmatt déboulonnaient cette culture
traditionnelle assez effrayante. Avant eux, l'histoire littéraire
n'est faites que de jugements de valeur, il n'y a jamais d'analyse
du texte. On a encore l'idée que c'est une forme exprimées
à l'intérieur d'un contenu, alors que l'art
est d'abord une forme qui exprime quelque chose. Les critiques
sont attentifs à la morale, aux personnages, mais pas
du tout à la mise en oeuvre.
- Ce
qui nous amène à constater qu'il y a plusieurs
sortes de critiques. La critique coup de coeur...
- J'aime beaucoup la critique coup
de coeur. Je ne l'ai jamais pratiquée, parce qu'il
faut être écrivain. Le seul bon critique est
l'écrivain. C'est toujours formidable, même si,
parfois, c'est une démolition. Quel plaisir de découvrir
les qualités d'écriture d'un critique écrivain
! C'est Frisch quand il parle de Dürrenmatt, Dürrenmatt
quand il parle de Frisch. C'est fou, c'est l'essentiel, quel
style !
- Si
le seul bon critique est l'écrivain, pourquoi faites-vous
ce métier ?
- Parce qu'il n'y a pas beaucoup d'écrivains
qui le font. C'est la même chose pour les traducteurs
: le seul bon traducteur est un écrivain. Seulement,
quel écrivain a la générosité
de payer de sa personne et de donner son temps à un
confrère ? A 90%, les traducteurs sont des maîtres
d'école, souvent à la retraite. Ils ont intériorisé
des anthologies scolaires, ce français moyen, cet allemand
moyen... Ils sont scrupuleux, cela donne des traductions souvent
très exactes mais où il n'y a pas beaucoup d'écriture.
Pour les critiques, c'est la même chose. Seulement,
il y a peu d'écrivains qui font de la critique. Bon,
il y a eu Les Saintes Ecritures de Chessex. Personne dans
les journaux n'est capable d'écrire Les Saintes Ecritures.
Donc il faut bien des gens comme moi qui essaient d'informer
sur ce qui se passe et, modestement, de décrire les
formes . Voilà une de mes motivations. L'autre motivation
a trait aux préjugés vécus entre Suisses
romands et Suisses allemands, dans les deux sens. Plutôt
que de juger trop vite, il vaut mieux faire connaître.
J'ai toujours tenté d'éviter qu'il y ait des
clichés qui s'enracinent. La littérature suisse
allemande a été découverte en Suisse
romande par l'étranger, à travers Frisch et
Dürrenmatt. Ceux qu'on a découverts "en direct",
par exemple Diggelmann, sont ceux de l'engagement social.
Dès lors, ce fut l'étiquette de tous les Suisses
allemands : "engagement social". Ou encore : "non
conformisme". J'ai essayé de montrer que ce n'était
pas tout. D'autres efforts se faisaient en Suisse romande,
par exemple aux Editions Rencontre pour lesquelles j'ai travaillé
pendant deux ans. Il y avait un climat de grande ouverture
à la Suisse allemande, notamment chez des gens comme
Michel Dentan, qui écrivait la Gazette sur la littérature
alémanique, ou la revue Rencontre.
- Vous
n'avez jamais été tenté par la traduction
?
- J'ai traduit quelques pages, des
"bonnes feuilles", ou par exemple Husten de Walter
Vogt ; le livre n'a jamais paru. Je le répète,
la traduction doit être faite par un écrivain.
Mais de nombreux traducteurs sont venus me poser des questions.
Mon utilité a donc été indirecte. Il
faudrait en somme deux personnes : quelqu'un qui "met
en écriture", et quelqu'un d'autre qui vérifie
si "le sens y est".
- Par
la création non plus ?
- Non. Quand on fréquente la
littérature, on voit bien ses propres limites. Je me
contente de l'information. J'ai d'ailleurs aussi travaillé
pour la radio, avec Valbert, Yvette Z'Graggen, Eliane Vernay,
Isabelle Rüf... toujours sur la littérature suisse
allemande contemporaine. Peu des auteurs que je présentais
étaient traduits. Maintenant ça se fait autrement,
et c'est tant mieux : il vaut mieux faire venir les auteurs
plutôt que les critiques !
- Mais
la part de la littérature dans les médias diminue...
- Oui, mais pas à la Neue Zürcher
Zeitung. Il y a là une qualité d'information
inégalée, pas même par Le Monde. Aucune
comparaison, la NZZ a des moyens financiers colossaux. On
n'arrive pas à tout lire, des écrivains sont
présentés presque tous les jours, des spécialistes
s'expriment... Ailleurs, il faut toujours tenir compte du
marketing, qui ne va pas forcément de pair avec la
qualité. Sans parler du hasard, ou des écrivains
que j'ai de la peine à lire : Prenez Muschg : il est
tellement subtil que je n'arrive pas toujours à suivre,
on passe son temps à décrypter des métaphores.
Mais les gens n'y comprennent souvent rien. Les seuls critiques
qui aient compris le dernier Muschg sont justement ceux de
la NZZ. Il est donc très difficile de parler de ce
genre de livres dans un journal, il faudrait beaucoup plus
de temps, de place...
- Encore
une fois, se sent-on vraiment utile en tant que critique ?
- Le métier de critique peut
être tellement extraordinaire quand il permet de faire
connaître des créateurs et des oeuvres nouvelles.
La Revue des Belles-Lettres m'a demandé deux numéros
sur la littérature alémanique, un sur la poésie,
un sur la prose, il y a donc beaucoup s'ouverture, ils sont
extraordinairement accueillants. Mais le contraire existe
: je pense à un roman de Hildesheimer dans lequel on
voit évoluer un personnage du temps de Goethe. Le critique
du Journal de Genève a cru qu'il s'agissait d'un personnage
historique, il n'a rien vu à l'ironie omniprésente
!
- Comment
qualifieriez-vous l'état de la littérature alémanique
aujourd'hui ?
- On peut difficilement parler de tendances.
On est dans l'état de post-histoire. toute les structures
se défont. Prenez Tim Krohn : il a fait l'an dernier
un gros roman composé entièrement de personnages
empruntés à d'autres, de citations... C'est
le roman de l'intertextualité, il donne une image de
notre temps, de la déstructuration de tout, y compris
celle de l'individu ; donc il n'y a plus de personnages structurés,
uniquement des personnage qui changent, qui échangent
leur rôles... C'est complètement morcelé,
ce sont des reflets dans un miroir. Cette année, Krohn
sort un roman qui se passe dans les Alpes glaronaises. Il
raconte une centaines de mythes et de légendes suisses,
dans un style infiltré de vocabulaire dialectal, de
tournures alémaniques, une langue hautement artificielle,
un style fascinant mais qui nécessite un lexique. Krohn
a donc plusieurs styles, à l'image de notre monde pluridimensionnel.
Il y a une foule de jeunes auteurs, dont certains très
prometteurs : par exemple Ruth Schweikert, Zoe Jenny, Cavelty,
Uetz, Weber...
Propos recueillis par François
Conod
Revue littéraire du
Service de Presse Suisse - numéro 1
Bibliographie
Etudes sur des écrivains contemporains
de Suisse allemande parues dans diverses revues, notamment
Etudes de Lettres, Ecriture, Intervalles, Europe, Quarto,
Jahrbuch für Internationale Germanistik, Magazine littéraire,
Carrefour des Littératures européennes. Collaboration
au Lexikon der Schweiz et au Nouveau Dictionnaire des Auteurs
et des Oeuvres (1994) Laffont & Bompiani.
Préfaces et postfaces pour divers
ouvrages parus chez Rencontre, l'Aire, Zoé.
Livres et recueils
- Aspects du roman contemporain en Suisse
allemande entre 1959 et 1973,
L'Age d'Homme, 1975.
- Deutsche Texte von Hofmanstahl bis
Handke
(en collaboration avec W. Doessegger et G. Pucher), Payot,
1974.
- Ecrire aujourd'hui en Suisse allemande,
textes choisis en collaboration
avec Jeanlouis Cornuz, L'Age d'Homme, 1978.
- Poètes de Suisse allemande.
Poème et traductions, choix et présentation,
La Revue de Belles-Lettres, 1985, cahier spécial.
- Romanciers, romancières de
Suisse alémanique. Textes choisis en collaboration
avec Gilbert Musy, La Revue de Belles-Lettres, 1993.
- Edition et présentation, chez
Zoé (1994, collection Biface), de Le Chien, Le Tunnel,
La Panne, de Dürrenmatt, et de L'Homme de Sable, d'E.T.A.
Hoffmann.
|