La rédaction de Culturactif.ch étant trop proche de celle d'Hétérographe, nous ne souhaitions pas écrire de critique du premier numéro. Considérant que le projet étiat trop singulier pour que nous n'en parlions pas, nous avons alors demandé à quelques-uns des auteurs qui y ont signé des textes, mais sont extérieurs à la rédaction, un commentaire sur le projet de la revue. Non pas une critique ni une impression sur le numéro paru, mais plutôt quelques phrases pour nous dire pourquoi ils ont donné un texte à cette revue; ce que cela signifiait pour eux, a priori, une "revue des homolittératures ou pas:". Une "homolittérature" peut-elle exister? En quoi ces auteurs s'identifient-ils, ou adhèrent-ils, au projet d'Héréographe?
Olivier Sillig
N'étant pas un penseur, je me contente de répondre à la première question. Dans ma besace, j'ai pas mal de textes LGBT (lesbiens, gay, bi, trans, n.d.l.r. ). L'occasion faisant le larron, quand j'ai appris la naissance de la revue, j'en ai envoyés quelques uns. J'aime bien être au début des trucs qui commencent (je continue volontiers).
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Fabio Pusterla
J'aime le projet d'Hétérographe, qui me semble en mesure de résumer et de rassembler beaucoup d'ouvertures possibles, divers champs de recherche et d'écriture qui n'adhèrent pas à la réalité officielle et totalisante. J'ai en revanche passablement de doutes quant à l'hypothèse d'une « homolittérature » : ce sont les mêmes doutes que j'ai toujours nourris à l'encontre de toutes les littératures qui voudraient se définir d'après des paramètres non-littéraires, en partant d'un concept d'exclusion, d'une idéologie, ou de choses de ce genre. La littérature, si elle a de la valeur, est seulement de la littérature, et peut donner une voix à toutes les formes de l'être, ou du moins elle peut s'y essayer ; et c'est justement là qu'elle cesse d'être « seulement » de la littérature, pour devenir territoire extrême, exploration, découverte, survie, métamorphose, geste.
*** Philippe Rahmy
A la question de savoir pourquoi j'ai participé au premier numéro de la Revue Hétérographe, j'ai d'abord envie de répondre, dans l'évidence, de la même manière que j'ai dit « oui ! » : « parce qu'on m'a invité, parce que l'invitation m'a fait plaisir, parce que le plaisir est beau, parce que la beauté est rare, parce que ce qui est rare, est précieux. »
Mais cette réponse, donnée pour spontanée, cache mal la gêne que cette question m'inspire, dont je ne saisis pas, ou trop bien, les motivations, prises entre légitime, mais aussi discutable, curiosités. La réception, trop frileuse encore, de la revue, oscille, d'ailleurs, entre ces deux mêmes tenseurs : d'une part, la reconnaissance d'un ancrage stylistique fort, d'une volonté d'explorer les formes, et de produire, selon le mot de Kafka, cet « assaut contre les frontières » dont se nourrit la littérature – d'autre part, la suspicion qu'éveille la ligne thématique de la revue, dont la critique se demande, à tort, ce qu'elle cherche, en s'affichant comme « homolittéraire ou pas », et ce qu'une telle annonce peut bien apporter au strict projet littéraire. Affreux déni de légitimité, affreuse voix du nombre. Demande-t-on à telle ou telle autre revue, pourquoi elle revendique son chapeau de « littérature contemporaine », de « littérature numérique », ou « d'encyclopédie par le livre » ? Une pareille réticence, expression normative du sens commun, dont je sais, pour la vivre, ce qu'elle recèle de violence, vaut, à elle seule pour réponse : écrire, c'est se découvrir une corne à la place du cerveau, une corne d'amour, pour éventrer les gens.
Ainsi, la question du « pour qui » on écrit (pour soi, une revue, un éditeur, souvent une poubelle), se ramène à celle, générique, du « pourquoi ». Interrogation récurrente, absolue, dont on ne sait quelle instance supérieure est investie d'une autorité suffisante pour la poser. Je ne me risquerais pas à demander à cet ouvrier, dans sa tranchée, pourquoi il se tue au marteau-piqueur.
Le corps est un piston qui défonce le sol à la recherche d'une alternative au mouvement binaire de l'élévation et de la chute. Il est pris dans un temps simultané à celui de l'écriture, dans un lieu suffisamment lointain pour suggérer le voyage. Nous ne décidons ni du départ, ni du but, ni de la composition de l'équipage, ni du nombre, ni de l'identité, ni du comportement, des autres voyageurs. Tout juste peut-on choisir, selon des affinités spontanées, à côté de qui dormir à fond de cale, et avec qui se promener le long des coursives. Lorsque le voyage se prolonge, on se met à parler de ses nouveaux amis aux rencontres de hasard, sur les nombreux ponts du navire, comme à celles qu'on provoque intentionnellement, autour du poste de commandement, où s'attribuent places et subventions, selon les talents de chacun, car la Revue Hétérographe est, pour l'instant, alors qu'on y parle mille langues, et qu'on s'y embrasse mieux qu'ailleurs, tenue de subsister par ses propres moyens.
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Hétérographe sur le web: http://www.heterographe.com
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