Du 3 mars 1999 au 6 mars 1999
TRAITÉ I
TRAITÉ SUR LE MENSONGE
Etude du mensonge, le propre de l'homme
Il y a des circonstances
où le Mensonge est le plus saint Des devoirs.
Eugène Labiche
Pourquoi mentir ?
" Pourquoi mentir ? "
est bien la question la plus idiote que l'on puisse
se poser. Tout le monde a saisi l'intérêt
du mensonge. Et tout le monde peut comprendre combien
le fait de transmettre volontairement une fausse information
peut s'avérer rentable pour ses intérêts
personnels. Dans une société désespérément
matérialiste comme la nôtre où
le seul idéal visé est la recherche
de l'argent, du confort, du pouvoir, bref, la recherche
de toutes ces choses plus ou moins intéressantes
à posséder qui flattent notre vanité
et pour l'obtention desquelles nous sommes prêts
à sacrifier notre temps, notre honneur et notre
santé, dans une société comme
la nôtre, disais-je, il serait tout à
fait inconcevable qu'on ne comprenne pas les évidents
avantages que peut nous procurer la pratique de ce
noble art, de la plus belle conquête de l'Homme,
jai cité : le mensonge.
Le fait de considérer
le mensonge comme la plus belle conquête de
lHomme va en exaspérer plus d'un, je
le sais. Je pense notamment à toute la clique
des idéalistes, des hommes de foi, des preux
chevaliers des temps modernes et autres personnes
estimant que la Vérité avec un grand
V et l'Honneur avec deux n sont les plus belles des
vertus. Ces gens-là, je les admire, car ils
sont capables de sacrifier des dizaines de vies humaines
pour le respect de ces deux qualités.
Je pense également à
tous ces groupes sectaires ou pseudo-écologistes
qui estiment que la manière la plus intelligente
de vivre est de vivre en marge de la société.
Ceux-là vont probablement trouver dans ces
lignes un prétexte de plus pour critiquer le
monde industriel, base de la corruption et de la perte
des valeurs morales. Je les entends déjà.
" La société actuelle est basée
sur le mensonge, vous l'avez tous entendu. Cela signifie
que les fondations elles-mêmes sont corrompues,
avilies par le plus horrible défaut qui soit
et dont le monde est porteur depuis la nuit des temps
". Stop, aurais-je envie de répliquer.
Rien n'est plus subjectif que de considérer
le mensonge comme un défaut, voire un péché.
Ce traité est là pour vous prouver que
raisonnablement utilisé, le mensonge peut s'avérer
n'être qu'un outil de plus que tout être
intelligent devrait être capable de maîtriser.
Il faut en effet posséder un minimum d'intelligence
pour être capable de mentir convenablement,
en accord avec les règles millénaires
qui président à l'application de cet
art.
De plus, je signale à
tous ceux qui resteraient sceptiques que s'il n'y
avait pas de mensonges, on ne saurait pas non plus
apprécier à leur juste valeur la franchise
et l'honnêteté. Et toc !
Le
mensonge, le chaînon manquant
Le mensonge est non seulement
primordial et irremplaçable dans la vie d'un
homme, mais il est en plus très probable qu'il
ait présidé à la naissance même
de cet être bipède et mal formé
que nous avons l'habitude de qualifier d'humain. Je
vais même jusqu'à soutenir fermement
qu'il a été le chaînon manquant,
c'est-à-dire l'étape intermédiaire
(jusqu'alors) indéterminée entre l'homme
et le singe. Cette analyse à la va-vite a probablement
de quoi effrayer darwinistes, lamarckistes et autres
spécialistes de l'évolution bornés,
enfermés dans des concepts abstraits vieux
de plusieurs dizaines d'années et quelques
heures et incapables par-dessus tout de s'ouvrir aux
nouvelles théories proposées par des
hommes géniaux et modestes tels que moi. Il
faudra donc, comme d'habitude, que je défende
mon opinion en susurrant des phrases convaincantes
au possible et ne s'éloignant pas (si possible)
outre mesure de la réalité. Je commence,
ou plutôt non, je commencerai quand les deux,
là au fond, auront fini de s'agiter et prêteront
une paire d'oreilles attentives (chacun) au beau discours
pour lequel je me réjouis déjà
d'utiliser ma salive (subtilité : je n'utilise
en fait aucunement ma salive puisque je tape le texte
à l'ordinateur). Prêt ? Allons-y ! (Remarquez
au passage l'incroyable banalité de cette expression
trop couramment utilisée par des pseudo-écrivains
rien que pour gaspiller de l'encre et faire en sorte
d'avoir leur poids de papier à la fin du mois,
après quoi ils courront chez leur éditeur
pour présenter un texte ridicule à en
mourir mais qui leur fera gagner plus de fric en une
semaine qu'un honnête travailleur en un mois
et cest honteux, car je viens de laisser échapper
un mot dargot, ce qui nest pas mon habitude
puisque je nutilise habituellement que des mots
issus dun langage aussi châtié
que recherché, mais je suis sûr que vous
me pardonnerez).
Le mensonge est donc, selon
moi, à la base de la conception de l'être
humain. En effet, qui a déjà vu un animal
mentir ? On pourra juste citer quelques crocodiles
larmoyants, une poignée de plantes carnivores
aux couleurs imitant les ailes des papillons et le
chat de mon professeur de français qui fait
semblant de dormir paisiblement au salon pour ne pas
être enfermé à la cuisine pour
la nuit. Il aurait même poussé la tromperie
jusquà ouvrir lentement ses paupières
à lappel de celui-ci pour les refermer
ensuite lourdement, en signe dimmense fatigue.
Lorsquon sait que linstant davant,
il était extrêmement affairé à
se lustrer les poils sans présenter le moindre
signe dépuisement, il y a en effet de
quoi avoir des doutes.
Mais revenons à nos
moutons. Tiens, en voilà un qui ne sait pas
mentir. C'est fort dommage pour lui d'ailleurs. S'il
savait mentir, il serait peut-être à
même d'éviter, le jour J, de se faire
massacrer par des ignobles industriels aux mains rouges
du sang de ses confrères. J'imagine très
bien la scène ; le mouton s'adressant au chef
de secteur en lui disant : " Vous vous êtes
trompé, monsieur le chef de secteur, je suis
une vache. " Bien sûr, il est probable
que ça ne marche pas à tous les coups.
Mais revenons à nos
moutons. Je signale juste au passage que j'ai déjà
bêtement tapé deux mille cinq cent nonante-sept
caractères, espaces non compris, depuis le
début du chapitre sans toucher le vif du sujet,
c'est à dire le mensonge, chaînon manquant
entre l'homme et le singe. Je vous le signale juste
à titre informatif. J'aurais pu aussi vous
indiquer le nombre de lignes, mais, celui-ci pouvant
varier selon la taille de la page, j'ai préféré
m'en tenir aux caractères, espaces non compris.
Accessoirement, cest aussi parce que mon logiciel
de traitement de texte ne compte que les caractères
et pas les lignes.
Mais revenons à nos
moutons. Après avoir bêtement gaspillé
votre temps et le mien, je vais vous expliquer pourquoi
tout me donne lieu de penser que le mensonge est le
chaînon manquant entre l'homme et le singe.
Tenez-vous bien. Comment ça à quoi ?
Cessez donc de poser des questions saugrenues.
Au début, l'être
humain (qui n'était pas encore un être
humain) s'avérait n'être qu'une petite
créature, négligeable parmi les autres.
Les communications étaient pauvres au possible,
faute de sous-entendus, d'insinuations et de phrases
à double sens. C'est alors qu'un de ces hominidés
primitifs eut l'idée géniale de transmettre
une fausse information à son voisin. Au départ,
cela semblait surtout utile pour sauver sa peau. Exemple
: admettons que le primate en question se soit goulûment
empiffré du régime de banane que le
chef de la horde avait précisément conservé
pour le jour où le groupe atteindrait enfin
les rives du Jiji-kan-staou. Le despote sanguinaire,
constatant le désastre, se tourne vers celui
qu'il estime être le coupable et lui demande
d'avouer. S'est-il, oui ou non, goulûment empiffré
du régime de banane qu'il avait précisément
conservé pour le jour où le groupe atteindrait
enfin les rives du Jiji-kan-staou ? N'importe quel
contemporain de ce primate menteur, que nous appellerons
Hmpf par convenance, aurait stupidement avoué
la vérité et se serait retrouvé
à l'hôpital, ce qui pose un problème
étant donné que le plus petit tas de
vermine grouillant de sottise compressée sait
(ou a du moins ouï-dire) qu'il n'existait pas
encore d'hôpital en 3'500'000 avant Jésus-Christ-béni-
soit-son-nom. N'importe quel contemporain de Hmpf,
mais pas Hmpf, qui, comme son nom l'indique, était
plus rusé que la moyenne. Celui-ci répondit
au chef hargneux quelque chose comme :"C'est
pas moi, m'sieur, c'est l'autre, m'sieur, j'vous jure,
m'sieur." Pas idiot, lui, contrairement à
Maurice, mais lodieuse insulte nengage
que moi.
Et voilà, le premier
mensonge de l'histoire était né (que
dis-je de l'histoire ? De l'Histoire !). Dès
lors, l'homme se mit à évoluer.
Auparavant, personne ne pouvant
rien cacher à personne, il n'existait qu'un
univers, qu'une réalité. Après
l'invention du mensonge, ça allait changer.
Les premiers menteurs (expression employée
pour dire : les premiers hommes) se rendirent vite
compte qu'il existait au moins deux réalités
: la réalité collective, c'est-à-dire
ce qui était communément admis par l'ensemble
de la communauté, et la réalité
individuelle, c'est-à-dire ce que eux savaient,
et les autres pas, lalalèreu. Les esprits les
plus brillants de l'époque comprirent également
que, à force de mentir à tout-va, il
commençait à naître par-ci par-là
des milliers de petites réalités individuelles.
Le monde commençait à se faire plus
compliqué.
Et pourtant ce nétait
pas fini. Le mensonge entraîna la naissance
de l'amitié. Un ami, c'est quelqu'un avec qui
on partage une chose qu'on ne partage pas avec les
autres, pas vrai ? Si, cest vrai (et je nai
dailleurs nul besoin de votre pitoyable avis
pour laffirmer. Soit dit en passant, je men
fiche littéralement. Je connais mon métier,
tout de même). C'est ainsi quen plus des
univers collectifs et individuels, apparurent les
univers semi-collectifs, des univers où seul
un nombre de personnes limité, c'est-à-dire
des amis, avaient accès. Dès lors laffaire
se complique.
A ce stade de l'évolution
humaine, longue course de la recherche de l'intelligence,
de la pureté et de la sagesse, qui aboutit
aujourd'hui à un univers complexe où,
summum du summum, nous sommes arrivés à
nous poser des questions telles que : qu'est-ce qu'on
mange ce soir, est-ce que l'équipe du Boulatéragoti
va gagner contre celle du Jedeshmen, qu'est-ce que
je vais mettre demain pour aller travailler, est-ce
qu'il va y avoir des embouteillages sur la A16, quelles
sont les prévisions météo pour
aujourd'hui, de toutes manières ils se trompent
tout le temps, qui est-ce qui a été
élu aux dernières votations, de toutes
manières ce sont tous des incapables, et cætera,
à ce stade de l'évolution humaine, disais-je,
s'est produit un darwinisme particulier : seuls ont
survécu ceux qui étaient assez rusés,
malins et astucieux pour savoir jongler entre les
différentes réalités tout en
uvrant pour leur confort personnel. Seuls ceux-ci
ont pu s'y retrouver dans ce monde devenu si complexe
sans se mélanger les pinceaux et ont donné
naissance à de petits menteurs tout mignons
qui allaient devenir la Relève de l'Humanité.
En bref, à une certaine époque, il y
a eu sur Terre un grand balayage et seuls les intelligents
(les premiers hommes, car c'est connu, seuls les hommes
sont intelligents) ont survécu.
Bon, d'accord, ont aussi survécu
des gens idiots comme ce n'est pas permis, qui ne
s'y retrouvaient pas du tout dans leur univers mais
qui s'en fichaient. Ceux-là se sont accouplés
entre eux et ont donné naissance aux petits
imbéciles que l'humanité compte à
présent dans ses rangs, et sont maintenant
bien plus nombreux sur Terre que les intelligents.
Ici, je me permets une petite
parenthèse. De récentes recherches en
génétique prouvent que, dans certains
cas, des intelligents peuvent être croisés
avec des imbéciles. On pourrait de prime abord
croire à une incompatibilité. Et pourtant,
le couple semble viable. Du moins jusquà
un certain point. Le cas le plus célèbre
est celui dHillary et de Bill Clinton. Le cas
le moins célèbre est celui de Ghislaine
et de Robert Duparc. Même moi, je ne les connais
pas ; cest pour dire.
L'art de mentir
Le mensonge est plus qu'un
outil destiné à accroître sa fortune
et son influence et, le cas échéant,
à sauver sa vie. Le mensonge est tout un art.
Personne parmi vous ne peut se vanter de n'avoir jamais
menti, ou alors il ment.
Pour transmettre une fausse
information, il faut prendre en compte trois éléments
très importants. Un, la manière de la
transmettre, cette fameuse fausse information. Il
faut que vous ayez l'air très naturel et décontracté,
mais pas trop, sinon ça semblera louche. Il
ne faut pas oublier que dans notre société
où l'on est régulièrement, sinon
à longueur de journée, pressés,
compressés et tourmentés, un minimum
de stress est essentiel, du moins poli. Deux, il faut
que le mensonge ait un minimum de réalisme.
Si vous affirmez, par exemple, que vous avez vu un
kangourou se promener sur les toits par un beau mardi
matin ensoleillé, personne ne vous croira.
Si vous affirmez que c'était un lundi, vous
aurez déjà plus de crédibilité,
car le lundi est le jour par excellence où
l'on fait des choses stupides, retourner au bureau
par exemple. Trois, il faut que vous soyez capable
de protéger votre mensonge des mauvaises influences
extérieures. Je m'explique. Au cas où
vous auriez affaire à un sceptique qui commettrait
l'impolitesse de ne pas croire en la véracité
d'une information sous prétexte que c'est un
mensonge, vous devrez savoir défendre votre
point de vue (faux, naturellement) en inventant une
jolie petite histoire par derrière. Il faut
savoir enchâsser vos mensonges les uns dans
les autres pour pouvoir constituer la toile hypercomplexe
et super-embrouillée de la fausse information
à transmettre.
Le mensonge dans notre société
Un des plus importants piliers
de notre société est le mensonge. Sans
lui, plus rien ne pourrait tourner et ce serait l'anarchie.
Pour vous rendre compte à quel point la société
vous ment, prenez connaissance des exemples suivants
:
Premier exemple. Quand vous
achetez un flan à la crème au supermarché,
il s'agit en fait d'un produit alimentaire fait à
base d'eau, de paracétamol, de vanille, d'édulcorant,
de E412, de E414, de E=MC2, de conservant, de colorant
et de pas un milligramme de crème.
Troisième exemple. Lorsque
vous votez pour tel ou tel candidat au suffrage universel,
vous pensez naturellement que votre voix sera tenue
en compte alors qu'en fait, les élections sont
truquées.
Je vous épargne le deuxième
exemple car il est si horrible que sa prise de connaissance
pourrait être la cause d'une éventuelle
dépression nerveuse.
Pour s'assurer que nos descendants
auront beaucoup de facilité à maîtriser
le noble art qu'est le mensonge, nous procédons
dès leur plus tendre enfance à leur
éducation dans ce domaine-là. Ainsi,
nous leur donnons du lait contenu dans un biberon
dont l'embouchure en hydrocarbure raffiné (en
plastique, quoi) imite la tétine de leur génitrice.
Plus tard, nous les convainquons de l'existence du
Père Noël. Plus tard encore, de celle
de Dieu. Et ces mille petits mensonges vont, au fil
des âges, procéder à l'éducation
de nos chers petits.
Moralité : le mensonge
est un vil défaut, une horrible tare, un affreux
vice, un péché destructeur, mais puisque
l'homme est menteur par nature, autant considérer
ce mal comme un art et l'utiliser à bon escient.
Ceci dit, je me retire dans
toute la dignité qui me convient et j'espère
sincèrement, cher lecteur, chère lectrice,
que vous avez passé un bon moment en parcourant
mon traité, qui, personnellement, me semble
tout à fait convenable. C'est mon avis personnel
et je le partage d'autant plus volontiers. Sans mentir.
Maël Donoso