retour à la rubrique
retour page d'accueil


COGITO EGO SUM
Traités


Présentation de l'auteur par Patricia Zurcher
Avant propos de l'auteur
Traité I Traité sur le mensonge
Traité II Traité sur la débatologie
Traité III Traité sur les gens
Traité IV Traité sur l'Homme
Traité V Traité sur l'Egothéisme

Du 21 mars 1999 au 5 avril 1999

TRAITÉ V

TRAITÉ SUR L'EGOTHEISME
Introduction à l'égothéisme

Oh ! vanité ! Le voilà, sans doute,
Le levier à l’aide duquel Archimède
Voulait soulever la terre…

Michaïl Lermontov

Egoquoi ?

Le polythéiste croit en l'existence de plusieurs dieux. Le monothéiste croit en celle d'un seul Dieu. L'égothéiste, lui, croit qu'il est un Dieu. L'égothéisme est donc le stade supérieur de l'égocentrisme. C'est un sujet extrêmement intéressant à traiter, car l'homme est par nature quelque peu vaniteux et a une très légère tendance à tout rattacher à lui.

Nous sommes tous égocentriques. Sauf moi, qui ne peux pas être égocentrique, parce que je suis parfait, et que l'égocentrisme est un défaut qui mettrait en doute cette incontestable perfection. Mais à part moi et Jean-Paul, tout le monde porte ne serait-ce qu'une once de vanité en lui. De plus, chacun d'entre nous pense, je dis bien pense, être modeste alors que les autres sont selon nous vaniteux. Moi comme les autres. Sauf que moi, j'ai raison.

L'égocentrisme n'est habituellement pas une maladie mortelle. Cependant, si on dépasse les bornes, il peut le devenir. C'est pourquoi le docteur Sébastien Gramevik a conçu l'appareil qui porte son nom : le vanitomètre.

Le vanitomètre a pour fonction de mesurer de manière précise l'étendue de notre vanité. Pratiquement, il est composé d'un cercle métallique entourant notre tête et directement relié à un minuscule appareil de mesure. Le mode de fonctionnement est très simple. Lorsque son propriétaire commence à attraper la grosse tête, l'appareil sent immédiatement un étirement du cercle métallique. En fonction de l'augmentation de son diamètre, calculé antérieurement, le dispositif peut en déduire le taux probable de vanité de son possesseur.

La vanité dégagée par une personne donnée est mesurée en pour-cent. Les chiffres apparaissant sur l'écran du vanitomètre nous indiquent le pourcentage de ses neurones dont la seule occupation consiste à flatter son égocentrisme. En moyenne, un être humain normal en possède 10%. Soit dit en passant, de nos jours, les personnes normales sont devenues exceptionnelles.

A partir de 14%, le sujet est en proie à une crise d'égocentrisme de type mineur. Le vanitomètre réagit en émettant un bip sonore. A partir de 18%, le sujet entre dans la phase de perturbation avancée. A ce stade-là, il vaut mieux arrêter de se flatter. Le vanitomètre émet un signal plus prononcé.

A partir de 24%, la personne entre dans la phase de super-crise égocentrique. L'appareil envoie un signal directement à l'hôpital le plus proche. Il est considéré qu'à partir de 26%, un humain normal est en danger de mort. Mais, comme vous le savez, de nos jours, les personnes normales…

Pour être considéré comme un égothéiste hautement gradé et con sidéré, on doit pouvoir atteindre une moyenne de 28%. Personnellement, mon vanitomètre oscille toujours autour des 36%. C'est quelque peu embêtant, car lorsque l'on en arrive là, le vanitomètre lance un signal de 140 décibels avant d'avertir la police, la guardia civil, les services secrets, l'armée, les sous-marins nucléaires, Superman et autres. Je ne vous explique pas la crise qu'il m'a fait lorsque, l'hiver dernier, j'ai atteint 64%.

Le vanitomètre est un médicament. Demandez conseil à votre pharmacien ou à votre médecin et lisez la notice d’emballage.

Les bases de l'égothéisme

L'Eglise a mis longtemps avant d'admettre que l'égothéisme est plus qu'une petite secte de passage. En fait, l'égothéisme est au contraire une super-religion présente dans le monde entier et comptant des milliards de fidèles (au fait, combien y a-t-il d'hommes sur Terre ?). Le secret de l'égothéisme, c'est de tout rattacher au Moi profond, à l'Ego de chaque être, et non plus à un ou plusieurs dieux si éloignés qu'on peut à juste titre douter de leur existence. Les égothéistes ont compris que la vanité et l'égocentrisme comptaient beaucoup plus pour les hommes que des valeurs abstraites telles que la bonté, l'intelligence, la morale, et autres. De plus, on ne peut pas douter de l'omniprésence de la vanité dans le monde, pour peu qu'on ait des yeux. Et j'irais plus loin que Descartes avec son célèbre " Cogito ergo sum " en affirmant haut et fort : " Cogito EGO sum ".

C'est beau, tout de même. Je suis fier de moi. Cette phrase est non seulement porteuse d'un puissant message philosophique mais elle est de plus composée de syllabes bien équilibrées. Je ne serais pas étonné si je la mettais en exergue de mon livre.

Mais passons. L'égothéisme est donc un dogme s'appuyant sur la vanité humaine, mais encore ? On ne peut pas comprendre cette admirable doctrine si on ne tient pas en compte les rites et les coutumes qui lui sont propres. Il y a certains points importants dont il convient d'avoir pris connaissance.

Les rites : l'égothéiste pratiquant se place chaque matin devant son miroir et parle à son reflet d'une manière très comique. Il lui débite de longues phrases telles que : " Vive moi. Je suis le meilleur. Je suis inégalable. Je suis le plus intelligent. Le plus beau. Le plus fort. Je suis supérieur à tous mes contemporains. Et pourtant je reste modeste ". Comme si le reflet était intéressé par cet excessif étalage de vanité pure et dure.

Pendant la journée, au bureau par exemple, l'égothéiste entretient de longs monologues où il se fait à lui-même des remarques telles que : " J'ai confiance en moi. Je vais réussir, de toutes manières. Je ne peux que réussir. Je suis trop bon pour laisser passer cette occasion. Je vais enfin faire valoir mon mérite, qui est immense. Allons, courage. N'oublions pas que je suis le meilleur et que je l'ai prouvé à maintes occasions ". On appelle ça de l'autosuggestion (autre nom donné à la flatterie et à ne pas confondre avec les conseils de votre vendeur d’automobiles).

Dans ses dialogues, l'égothéiste fait maints usages de " je " et de " moi ", à tel point que c'est souvent la cause d'une dépression nerveuse de la part de ses interlocuteurs. Le nombre de décès indirectement causés par la pratique de l'égothéisme n'a rien à envier à ceux générés par les croisades et guerres de religion.

Les objets de culte : les objets de culte de l'égothéiste comprennent essentiellement des miroirs, indispensables pour pouvoir s'admirer chaque fois que l'on en ressent le besoin. Cravates et autres vêtements élégants abondent également dans les armoires des égothéistes. Il est en effet important d'être bien habillé si l'on veut être bien remarqué. Or l'égothéiste ressent un besoin vital de se faire remarquer par son entourage.

Les lieux de culte : si vous en avez un jour l'occasion, visitez un temple égothéiste, vous ne le regretterez pas. Les temples égothéistes sont des lieux de cultes tenus par des maîtres spirituels distingués du nom de Curégos.

L'intérieur d'un temple égothéiste est vraiment pittoresque. Des dizaines de portraits du Curégo ornent les murs. Des inscriptions sacrées (" Vive moi ", " Je suis le meilleur ", par exemple) agrémentent le plafond doré. Des messages d'amour (" I love Moi ") décorent les vitraux. On y trouve de plus quantité de miroirs.

Le sol est tapissé de velours rouge, ce qui a pour effet évident de flatter l'inépuisable vanité des membres de la parégoisse. Les fidèles ont en outre la possibilité, moyennant finance, d'inscrire leur nom sur les hautes colonnes du temple.

Les murs vides deviennent vite riches en couleurs, car le Curégo a la vivacité d'esprit de les transformer en espaces publicitaires que s'arrachent les plus éminents chefs d'entreprises. Les membres de la parégoisse peuvent toujours se rafraîchir au bar de temple, où ne manquent jamais les meilleures boissons, gazeuses ou non. N'oublions pas que les parégoisses sont sponsorisées entre autres par Coca-Cola. Le Curégo le rappelle d'ailleurs toujours à la fin de ses sermois.

Mais autant que les temples, il convient d'admirer les cathédrales égothéistes. Les cathédrales égothéistes sont des monuments immenses et très jolis. Elles sont tenues par un Evego, dont le nom écrit en lettres de néon scintille immanquablement au sommet de l'édifice.

Les cathédrales égothéistes s'étendent sur plusieurs étages, communicant entre eux par de vastes ascenseurs généreusement fournis par Mc Donald. Dernièrement, l'une d'elle s'est pourvu d'un centre boursier afin d'attirer plus de fidèles. Ceux-ci peuvent désormais boursicoter à tout va. L’ambiance musicale est garantie par la chorale " l’Ego du Jorat ".

Temples et cathédrales égothéistes sont soutenus par le Vanitant, cercle religieux égothéiste et centre spirituel situé en pleine ville de Romoi. N'hésitez pas à y faire un tour : les prix sont réellement avantageux, cet été. Vous avez entre autres la possibilité du voyage à forfait. Le repas est fourni, grâce à l'aimable participation de Lego.

Tous egos !

" Tous egos ! " est déjà un cri de ralliement tout autour de la Terre. C’est un slogan qui nous fait croire en de meilleurs lendemains qui mettront en valeur l’égocentrisme, qui est indéniablement le moteur de toute vie. Le seul fait de vivre est déjà un acte d'égocentrisme pur. Mais encore faut-il savoir bien vivre. Lorsque nous vivons, nous consommons en effet des milliers de litres d'air, d'eau ainsi que des tonnes de nourriture et les transformons en déchets putrides inutilisables. Nous sommes régulièrement la cause du décès de nombre d'animaux ou de plantes et nous n'avons aucune excuse valable pour le justifier. De plus, nous avons peur de mourir. Nous nous accrochons stupidement à cette existence même si nous savons que tôt ou tard, il nous faudra la quitter. Nous nous battons de toutes nos forces pour quelques jours de plus de vie, effort vain et inconsidéré qui ne fera qu'accélérer notre inévitable destruction. En bref, nous accordons à notre vie une importance démesurée sans qu'elle le mérite forcément. Quel acte imbécile et vain ! Quand nous rendrons-nous compte que notre existence n'a pas plus d'importance que celle du papillon, gracieux, qui vole de fleur en fleur pour butiner allègrement leur nectar divin ? Que celle de l'élégante limace qui répand sa bave généreuse le long de son chemin ? Que celle du charmant scarabée qui roule son sphérique compost d'excrément jusqu'à son habitat ? Que celle du subtil moustique qui puise tendrement en nos veines le plasma sanguin dont il nourrira ses petits avec une attention toute maternelle ? Que celle de la brave ortie qui pousse discrètement à l'ombre de la haie jusqu'au jour où la main de l'imprudent viendra la caresser ? Que celle de l'honnête pigeon des villes se gavant avec délicatesse des exquises graines de maïs qu'il transformera en majestueuses déjections souillant les toits de l'église la plus proche ? Si nous ne sommes pas capables de comprendre cela, nous ne sommes pas dignes de vivre.

Plus une forme de vie est évoluée, plus elle est égocentrique. Notez que, quand on y pense bien, ce n'est pas forcément une tare. Peut-être est-ce cela la finalité de l'évolution : une course vers l'égocentrisme. Si tel est le cas, les hommes ont décidément une longueur d'avance sur tous les êtres vivants. L'avènement de l'égothéisme prouve la véracité de cette vision des choses. Nous sommes sur le point d'atteindre le Grâal sacré, le but suprême de l'évolution du vivant : nous sommes sur le point d'entrer dans un âge où l'égocentrisme deviendra la valeur la plus recherchée. Dans un âge où toute vie n'aura pour base et pour but que la vanité. Entre les mains de cette dernière, nous y abandonnerons en toute quiétude nos sentiments et nos états d'âmes, stupides fardeaux qui entravent notre course vers l'égocentrisme pur et étincelant. Quelle belle vision d'avenir ! Déjà les anciennes valeurs morales et religieuses succombent pour laisser la place à l'égothéisme, preuve de notre incontestable réussite. Mes amis, réjouissez-vous : bientôt, la vanité et l'égocentrisme seront reconnus comme les seules vraies philosophies dignes de déterminer la vie humaine. Mes amis, réjouissez-vous : bientôt, le monde entier sera égocentrique. Vanitas, vanitatum, et en homme n’y a que vanité.

Moralité

La moralité, c'est qu'il n'y a pas de moralité. Et pour une fois je suis sérieux. On n'empêchera jamais personne de s'adonner ouvertement à l'égocentrisme et à la flatterie inconsidérée. Mais il est cependant du devoir de tous de l'empêcher de dominer notre monde qui, sans être paradisiaque, est tout de même assez joli à voir, surtout sous une lumière de coucher de soleil (les couchers de soleil sur la montagne, c'est tout de même quelque chose). L'homme est égocentrique, et peut-être même égothéiste par nature, mais il est aussi assez intelligent pour se débarrasser de ses mauvais penchants naturels. Je vous fait peut-être trop la morale, mais c'est mon droit ; vous avez payé pour. C'est pourquoi je vous conseille sincèrement de consacrer de temps en temps une ou deux journées à la modestie. Mais oui, essayez : tenez une journée entière sans vous vanter. Ce sera très difficile, mais vous verrez quel bien ça vous fera. Essayez, ne serait-ce qu'une fois. Et ne serait-ce que pour ne pas oublier que la vanité n'est pas tout. Il y a aussi… les congés payés, les livres, les fleurs et les petits oiseaux.

Maël Donoso

 

Maël Donoso

Maël Donoso, c’est moi. Mais à part le fait que je suis né le 28 janvier 1985 (à Lausanne, si ça peut vous intéresser, ce dont je doute), que je fais actuellement des études en division scientifique et que je suis l’auteur de ce livre, il n’y a rien de spécial à dire à mon sujet.

Kierkegaard : Søren Kierkegaard est né en 1813. Il fut l’un des plus grands philosophes de son temps. Il publia de nombreux ouvrages par lesquels il s’opposa à la doctrine hégélienne qui régnait alors sur l’Allemagne. Il n’est absolument pour rien dans la conception de ce livre.

Ce livre est une production DONOSO

 

Page créée le 23.03.00
Dernière mise à jour le 23.03.00

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"