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COGITO EGO SUM
Traités


Présentation de l'auteur par Patricia Zurcher
Avant propos de l'auteur
Traité I Traité sur le mensonge
Traité II Traité sur la débatologie
Traité III Traité sur les gens
Traité IV Traité sur l'Homme
Traité V Traité sur l'Egothéisme

Du 7 mars 1999 au 14 mars 1999

TRAITÉ III

TRAITÉ SUR LES GENS
Portrait psychologique

Ce sont toujours les cons
Qui l’emportent. Question
De surnombre.

Frédéric Dard

Qui sont les gens ?

Pour ce troisième traité (le trois est un nombre exceptionnel : j'en veux pour preuve que c'est le seul à être compris exactement entre deux et quatre), j'ai décidé d'aborder un vaste et inintéressant sujet : les gens. Mais d'abord, LA question fondamentale : qui sont les gens ? (Ici un petit moment de suspens insoutenable, une petite cruauté que je peux bien me permettre à votre égard). Mais oui, posez-vous la question : qui sont les gens ? Mon voisin est-il un gens ? Le boulanger est-il un gens ? Le charcutier est-il un Jacques ? Ma cousine est-elle une gensesse ? (Je ne suis pas sûr de l'orthographe). Et vous-même… Et si vous étiez un gens ? J'aimerais mieux que vous ne vous posiez pas trop cette dernière question, d'ailleurs, ou alors sautez carrément le chapitre trois, la réponse y est toute faite, pesée, empaquetée et prête à emporter.

En fait, il serait peut-être intéressant de creuser un peu cette grande question : qui sont les gens ?

Les gens, c'est assez difficile à définir. Comment dirais-je ? Ça ressemble un peu à un macrophage rhomboïde au tuyau intestinal gorgé de phénolphtaléine et de biocarbure de potassium sulfuré avec un pictogramme d'Einsteinium 85… Non, attendez, je vois plutôt ça comme un ectoplasme insectivore cul-de-jatte souffrant d'une tendinite carabinée auquel on aurait récemment inoculé un dérivé d'hydrocarbure oxygéné et qui aurait une couleur bleue tirant sur l'orange, le vert et le noir tout à la fois… Non, sans rire, les gens… Les gens, ce n’est vraiment pas une mince affaire que de les décrire.

Généralement, les spécialistes sont tous approximativement d'un avis qui ne diffère pas trop. Enfin la plupart du temps. D'ordinaire, la majorité d'entre eux ont habituellement le quasiment même avis. Enfin, pas tous. Mais ceux qui l'ont s'accordent ordinairement pour décrire les gens comme : " un petit groupuscule de l’Etre humain pris dans sa globalité. Un ensemble de personnes au mode de vie et à la pensée radicalement différents qui partagent les mêmes sentiments et suivent des règles sociales et morales identiques. Un immense troupeau régit par un esprit commun ayant exactement les mêmes opinions au même moment et le même jugement pour un même événement particulier. Une foule puérile et primitive manipulée régulièrement par les personnes qu'elle acclame et capable de spasmes euphoriques généralisés lors d'une occasion particulière. Une masse populaire dont le nombre réduit la subtilité et écrase la pensée individuelle de chacun de ses composants ne réagissant plus que par un pseudo-instinct animal et se laissant guider par les tendances admises communément sans jugement ni prise de position excessive, vraisemblable-
ment à cause de l'exaltation stimulante générée par les moins schizophrènes du troupeau ". Heureusement que vous n'y comprenez rien, sinon vous digéreriez mal cet écrit du Docteur Marcel Xavier, dont je tairai le nom pour qu'il n'ait pas à subir de commentaires disgracieux. En clair, ça veut dire que les gens, c'est quand il y a beaucoup d'hommes et de femmes entassés ; que les gens, ils ne sont pas capables de réfléchir par eux-mêmes et qu'ils suivent stupidement celui qui parle le plus fort ; et que si les gens, pris un à un, sont plutôt sympathiques, ils deviennent fous dangereux lorsqu'ils sont cent ou mille, comme lors d'un match de football par exemple. C'est là que le rassemblement de gens est le plus spectaculaire et que l'esprit d'imbécillité qui s'en dégage est le plus évident.

Pour votre culture générale, je signale qu’il a existé des gens célèbres. Gens sans Terre, par exemple, à qui personne n'a jamais reproché d'être un gros propriétaire exploiteur campagnard. Gens sans Peur, décédé il y a peu de temps d'une crise cardiaque. Gens de Luxembourg, qui, comme son nom l'indique, était végétarien. Gens I, fils de sa mère et, pour une moindre partie, de son père. Gens-tsen-kiang, dont les affaires n'ont pas fini de couler. Gens, c'est Bastien, bachelier de profession. Gens Tedammes, à la main hydratée par des générations entières de gagas lents. Il y a aussi eu des saisonniers : les gens d'automnes, par exemple. Il y a aussi eu Robert Pfeiffer. Mais comme ce n'est pas un gens, nous n'en parlerons pas.

Comme vous le voyez, les exemples ne manquent pas.

Les gens sont-ils tous idiots ?

Oui. Enfin, non, je ne dois rien affirmer sans avoir de preuves concrètes et cohérentes. Notez que, franchement, lorsque c'est l'évidence même, on pourrait bien admettre un petit axiome de temps en temps. Non, non, non, il faut rester objectif. Les gens sont tous des idiots, mais on ne peut pas l'affirmer sans une bonne justification. Ce qui ne sera pas trop difficile : des justifications, on peut en trouver à la pelle.

Prenons un exemple au hasard : le percepteur. Le percepteur est un gens. Et c'est aussi un idiot. Mieux que ça, c'est un lâche, un rustre, un ignoble exploiteur s'enrichissant mesquinement sur le dos des travailleurs. Un autre exemple : le travailleur. Le travailleur est un gens. Et c'est aussi un idiot. Mieux que ça, c'est un paresseux, un fainéant, un bon à rien qui rechigne même à payer ses impôts au percepteur qui ne fait pourtant que son devoir.

Les aristocrates et les politiciens sont des gens. Et ce sont aussi des idiots. Pire que ça, ce sont des méprisables profiteurs, d'horribles sangsues ayant bâti leur fortune sur la tête du petit peuple. Un autre exemple : le petit peuple. Le petit peuple, ce sont des gens. Et ce sont aussi des idiots. Pire que ça, ce sont des barbares, des illettrés, des incultes ne comprenant rien à la politique et aux intérêts économiques nationaux et dont le seul idéal est de vivre oisivement tout au long de leur existence sans un mot de remerciement pour les aristocrates et les politiciens qui veillent sur eux.

Les stars du cinéma et de la télévision sont des gens. Et ce sont aussi des idiots. Mais la meilleure, c'est que ce sont aussi des petits abrutis ne devant leur réussite qu'à un physique avantageux et gagnant trente fois plus qu'ils ne méritent sur les omoplates des téléspectateurs. Un autre exemple : les téléspectateurs. Les téléspectateurs sont des gens. Et ce sont aussi des idiots. Mais la meilleure, c'est que ce sont aussi une bande de fanatiques du petit écran bleu, ne sachant pas faire autre chose que de zapper entre deux feuilletons télévisés à l'H2O de plante épineuse de la famille des Rosalidés qu'ils se tapent par dizaines chaque jour dans l'indifférence la plus totale et pour la création desquels les stars du cinéma et de la télévision sacrifient pourtant corps et âme (avec un plus grand pourcentage de corps que d’âme, d’ailleurs).

Autant de preuves incontestables que les gens sont tous des idiots.

Fais-je partie des gens ?

Non. Bien sûr que non. C'est incontestable, mais, comme il me reste quelques pages à remplir, autant vous expliquer en détail pourquoi.

Nous et notre entourage direct ne faisons pas partie des gens. Les gens, ce sont les zautres, c'est-à-dire, comme je l'ai expliqué au premier chapitre, si vous avez suivi, l'immense troupeau d'hommes et de femmes aussi entassés qu'idiots. Ce sont les zautres qui font des bêtises, et nous, qui ne sommes pas des gens, nous les critiquons, car c'est incontestable, nous ferions mieux qu'eux à leur place. Nous, nous ne serons jamais des gens. Le fait d'être un gens est une maladie héréditaire qui se transmet de père en fils et qui fait qu'il y aura toujours sur Terre une quantité incroyable d'imbéciles, et nous, les non-gens. Par non-gens, on entend soi-même, sa famille, ses amis, Robert, Marcel (mais à moindre titre) et ses compatriotes. Car c'est connu, les étrangers sont beaucoup plus idiots que nous. " Y en a point comme nous ", comme disent les Vaudois avec autant d’objectivité que d’accent.

Dès qu'un gens se met à nous ressembler, c'est un bon point, car ça signifie qu'il devient tout doucement intelligent et abandonne donc son ancienne condition de gens. Les gens ne peuvent pas être intelligents, car ils ne nous ressemblent pas, et, c'est connu, le modèle type de l'intelligence et de la subtilité, c'est bien sûr nous. Nous représentons la manière d'être et de se conduire idéale, nous incarnons tout ce vers quoi tout être sensé devrait tendre. Le fait d'être dans notre entourage ou de s'intéresser aux mêmes choses que nous élève les personnes au rang d’" être supérieur approchant de la perfection ". Il n'y a vraiment que les gens qui sont assez bêtes pour ne pas chercher à nous ressembler, ou, tout du moins, à nous côtoyer.

Je me suis livré à un petit calcul. Sur la totalité de la population mondiale, il y a un peu plus de 99,99999% de gens. C'est-à-dire autant d'incapables et d'abrutis. Triste époque ! Il n'en a pas toujours été ainsi. A l'époque de l'homme de Neandertal, on n'en comptait que 99,995% et à celle d'Adam et Eve, 50%. Avant la naissance de leurs enfants, évidemment.

Ah, les gens !

On ne le répétera jamais assez. Les gens sont tous des idiots. Il comprennent tout à l'envers. Il ne font jamais ce qu'il aurait convenu de faire dans une situation donnée. C'est pourquoi je lance haut et fort cette phrase provocatrice, belliqueuse et polémique trois en un : ah, les gens !

Vous me direz que je ne suis pas le premier à faire cette judicieuse remarque. Mais on ne peut pas considérer que tous ceux qui ont un jour prononcé cette phrase méritent qu'on leur ôte le titre de gens, car alors le nombre de gens en rapport à la population planétaire totale tomberait à 0,000574 %. Il ne faut pas oublier que les non-gens forment une classe d'élite en tous points supérieure à la majorité des humains. Si tout le monde arrêtait d'être gens, la vie serait impossible pour nous autres, les non-gens, car alors plus rien ne nous distinguerait de la masse populaire. Ce serait le cauchemar ! Où serait notre légendaire suprématie, d'où pourrions-nous tirer notre orgueil ? C'est pourquoi, même s'ils sont souvent complètement sots et stupides, il faut des gens. Leur présence est nécessaire à la bonne marche de l'organisme géant qu'est l'humanité, car ils sont essentiels pour synthétiser le sentiment de supériorité émanant de la classe d'élite. Il est vital pour elle d'avoir des gens à critiquer. Il en va de son équilibre psychologique. Moralité : remercions les gens d'être si bêtes, car cela nous permet, à nous, surhommes de la plus haute lignée, de les critiquer à notre guise, de les considérer comme des débris de l'humanité, de les comparer à de petites vermines se traînant lamenta-
blement dans la boue nauséabonde de leur sottise, de les identifier à de méprisables pourceaux trempant leur ignoble groin dans les immondices et de faire d’eux bien d'autres descriptions tout aussi flatteuses.

N'oubliez jamais, cependant, que ceux que vous critiquez se font exactement la même idée de vous. Quelques fois, en vous regardant, je me demande s’ils n’auraient pas raison…

Maël Donoso

 

Page créée le 23.03.00
Dernière mise à jour le 23.03.00

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