Du 20 février 1999 au
27 février 1999
TRAITÉ II
TRAITÉ SUR LA DÉBATOLOGIE
Introduction à la débatologie, science
du débat
Peuple, des bâtons !
Cri révolutionnaire
Introduction à la
débatologie
Dans la vie courante, on doit
toujours être en mesure de défendre ses
idées personnelles. Et il n'est pas rare qu'on
soit confronté à un débat. Ceux-ci
se font de préférence avec une personne
dont le point de vue diffère du nôtre
(subtilité : c’est précisément
ça qui fait qu’il y a un débat).
Dans une telle situation, il est impératif
de défendre son opinion en usant des meilleurs
arguments possibles. La débatologie, science
du débat, est là pour nous fournir les
armes nécessaires à l’occasion
d’une confrontation verbale. Elle nous prouve
que c'est tout un art que de débattre. Chez
les anciens vieux Grecs de l’Antiquité
antique, la rhétorique (l'art de parler et
de convaincre les foules) était enseignée
aux élèves par les plus grands maîtres
(chez les étudiants de 1930 aussi, mais c’est
une autre histoire). En effet, lorsque l'on cherche
à convaincre quelqu'un, il faut tenir compte
d'une multitude de facteurs tels que l'intonation
de la voix, l'adaptation du discours à la classe
sociale de l'antagoniste, la manière d'étoffer
ses idées, l'âge de la personne qu'on
a en face de soi, son signe astrologique, la couleur
de ses cheveux et autant de points aussi importants
les uns que les autres. De plus, si vous avez une
longue expérience dans le noble art de forcer
les gens à se rallier à vos idées
par des discours pompeux, en bref si vous êtes
un Expert en Débats, vous vous rendrez vite
compte que, aussi bien vos idées que la manière
de les défendre s'adaptent à la personne
qui est en face de vous. La manière de dialoguer
sera tout à fait différente si vous
vous adressez à un ouvrier ou à un chef
d'entreprise, à un paysan ou à un citadin,
à un littéraire ou à un scientifique,
à un clochard ou à l'émir Hasched
Ben Ganaed qui possède la moitié de
la richesse de son pays. Vos paroles s'adaptent naturellement
pour vous placer dans le contexte social et moral
de votre antagoniste. Mais trêve de bêtises,
passons maintenant à la débatologie
proprement dite.
Avoir
le dessus
Si vous vous aventurez dans
un débat, vous devez être en mesure :
un, de connaître à fond le sujet traité
; deux, de savoir exprimer vos idées et faire
connaître votre opinion. A éviter : un,
faire semblant de savoir alors que vous êtes
un parfait ignorant en la matière ; deux, vous
embrouiller dans vos paroles et sortir des phrases
incohérentes.
Si vous voulez absolument avoir
le dessus lors d'un débat et impressionner
un adversaire, débitez des phrases aussi longues
que possibles où vous étalerez toutes
vos connaissances relatives ou absolues dans le domaine
traité. La plupart du temps, le fait d'enchaîner
de longues phrases avec beaucoup de subordonnées
et de parenthèses suffit à intimider
l'adversaire. Veillez aussi à utiliser un langage
des plus délicats et recherchés. Montrer
que vous maîtrisez le noble dialecte des gens
distingués vous placera au rang de grand lettré
super-cultivé et fantastiquement intelligent.
Il sera alors difficile pour votre adversaire de remonter
au créneau.
N'oubliez jamais que la manière
de formuler les phrases a autant d'importance, sinon
plus, que les connaissances que vous avez dans le
domaine traité. Il faut par ailleurs que vous
vous habituiez à jauger l'adversaire rapidement,
afin de saisir ses centres d'intérêts
mais aussi ses faiblesses. Lors d'un débat
entre Experts, la plus raffinée de toutes les
perfidies consiste à pousser l'adversaire dans
un domaine que vous connaissez à fond. Cela
vous permettra de débiter de longues et incompréhensibles
phrases en utilisant, si possible, des termes spécifiques
que votre adversaire n'a pas la chance de maîtriser.
Celui-ci en restera coi. Si vous parvenez à
aligner plusieurs de ces coups de maître lors
d'un débat, vous avez la victoire garantie.
Car la débatologie,
c'est aussi la science des apparences, faite de tromperies,
de mensonges, de coups bas, de traîtrises, de
tortures morales et de sadisme en tous genres. Elle
n'en reste pas moins un noble art (comme la boxe,
autre sport où le but est également
de se taper sur la tête).
La meilleure manière
de gagner un débat est de réussir à
ridiculiser l'adversaire, ou, mieux encore, à
faire en sorte qu'il se ridiculise lui-même.
Au fur et à mesure que vous débattrez,
vous vous familiariserez mieux avec toutes les subtiles
perfidies et tous les coups machiavéliques
que vous pourrez infliger à votre adversaire.
Pour finir, en vrac, tout ce
qu'il ne faut pas faire lors d'un débat que
vous voulez absolument gagner : ne pas insulter l'adversaire
; ne pas frapper l'adversaire ; ne pas tuer l'adversaire
; ne pas laisser à un adversaire l'opportunité
de se ressaisir après une belle attaque de
votre part et ne pas oublier d’emporter une arme
à feu au cas où l’un de vos propos
aurait été mal reçu. Si vous
respectez toutes ces indications et contre-indications,
vous pouvez être sûr d'obtenir la victoire.
Toutefois, n'oubliez pas que
les règles énoncées précédemment,
si elles sont très utiles pour avoir le dessus
lors d'un débat où le seul but est de
se cogner sur la tête (c'est une image), elles
s'avèrent tout à fait inadaptées
pour un débat de type amical qui vise le simple
échange d'informations.
Un débat amical
Eh oui, les débats ne
sont pas forcément féroces, violents
et impitoyables et le seul but visé n'est pas
forcément d'écraser son adversaire.
Il existe aussi, et heureusement, des débats
amicaux où l'on peut procéder à
des échanges d'informations intéressants.
Si vous êtes un jour confronté à
un débat de ce type, il vous faudra oublier
votre soif de suprématie et de domination pour
n'avoir qu'un mot d'ordre : écouter avec attention
l'Expert en Débats qui est en face de vous
(ou si ce n'est pas encore un Expert en Débats,
écouter le petit bonhomme qui s'agite en face
de vous en prenant des airs hautains) et répondre
suivant vos sentiments et vos convictions personnelles
en faisant preuve d'intelligence, de sensibilité
et de perspicacité. Vous remarquerez au passage
que ça représente un sacré pâté
avec très exactement deux cent septante-neuf
caractères, espaces non compris ; il ne fait
donc pas partie, et tant mieux pour vous, de la catégorie
des mots d'ordre à apprendre par cœur
et à ensuite avaler avec un petit verre de
blanc. Quoi qu'il en soit, ce sont des règles
qu'il vous faudra respecter lors d'un débat
amical. En clair et sans sous-entendus, elles signifient
que vous devez savoir écouter votre partenaire
et parler franchement afin de procéder à
un bon échange d'informations.
Un débat de type amical
représente de nombreux avantages pour chacun
des débattants. Il perfectionne votre culture,
développe votre intelligence, fait évoluer
votre raisonnement, vous apprend à écouter,
vous aide à trouver un travail, à gagner
au loto, à réussir vos examens, et cætera
, et cætera…
Le fait de débattre,
même amicalement, va de surcroît entraîner
votre rhétorique. Si vous savez bien vous débrouiller
lors d'un débat amical, vous écraserez
plus facilement vos adversaires lors d'un débat
hostile.
Je n'irai pas jusqu'à
dire que la débatologie est l'arme absolue
qui vous garantira sans nul doute une suprématie
morale et psychologique sur vos contemporains et vous
entourera d'une aura charismatique à faire
pâlir d’envie les grands maîtres
spirituels de ce monde, mais elle s'avérera
sans conteste une alliée de taille lorsque
vous aurez à défendre votre opinion
ou à assimiler celle des autres. C'est pour
ces raisons, et pour bien d'autres encore, que je
crie haut et fort à qui voudra l'entendre ce
slogan politique qui sera sans doute repris en cœur
par des milliers de poitrines de par le monde : "
Peuple, débats-toi !".
Quelques lignes pour conclure
Pour conclure ce traité
dont vous avez (je n'en doute pas) savouré
chaque syllabe, je vous rappellerai les points les
plus importants de la débatologie. Point numéro
un : il existe deux sortes de débats, le débat
hostile et le débat amical. Si, pour le premier,
vous pouvez vous permettre tous les coups bas possibles
et imaginables, vous vous devez, pour le second, de
respecter toutes les règles de la courtoisie
et d'être franc avec votre partenaire dans vos
paroles. Point numéro deux : lors d'un débat
hostile, gardez cependant à l'esprit que la
manière de formuler vos phrases est aussi importante
que leur contenu. Vous devez impressionner votre adversaire.
Point numéro trois : quand vous acquerrez de
l'expérience dans les débats hostiles,
vous vous rendrez compte que l'erreur à ne
pas commettre consiste à devenir trop prévisible.
Si votre adversaire arrive à percer votre logique
et à s'en servir, vous avez perdu, Game Over
(pour les anglicistes). Point numéro quatre
: faites en sorte de ne jamais, au grand jamais en
venir à la brutalité au cours d'un débat.
La débatologie est une science de l'esprit
dont le but est précisément de vous
apprendre à vous contrôler et à
maîtriser au mieux vos capacités verbales,
si toutefois vous en avez. Si vous tenez absolument
à vous taper dessus, désolé mais
votre place n'est pas dans une salle de débat.
Il existe des endroits plus appropriés, tels
que les terrains de football américain ou les
meetings politiques.
Tout en espérant ne
pas avoir été trop rasoir, veuillez
agréer, cher lecteur, chère lectrice,
l'expression de mes sentiments débatologiques
distingués.
Maël Donoso
