Monique Laederach
POESIE COMPLETE
(NB. en cliquant sur le
symbole T , vous pouvez lire des extraits du texte)
Monique Laederach appartient à
cette espèce rare de poètes qui - après
avoir attendu, pour différents motifs, la publication
de leur premier livre jusqu'à l'âge de trente
ans - s'adonnent à l'écriture avec la cohérence
d'un voix qui semble connaître dès le début
son ton exact et presque définitif.
Cela ne signifie pas qu'une évolution
ne se dessine pas, dans le parcours de cette écriture,
mais plutôt qu'une empreinte originelle, un besoin
premier, est à l'origine d'une poétique de
la nécessité et du devoir éthique.
C'est pour cela aussi que cette uvre se présente
à nos yeux, après trente ans de poésie
et huit recueils parus à un rythme inégal
(surtout depuis le début d'une écriture narrative
en 1978), comme un vaste fleuve - avec ses entrelacs et
son eau tantôt trouble, ou plus claire - ne cédant
jamais à l'appel du fragment et du "poème
court".
Le rythme qui lie non seulement les
différents recueil mais aussi, livres après
livres, l'uvre poétique entière de Monique
Laederach est l'image exacte de ce que cette poésie
veut être: un chant, une voix, la déclaration
continuelle d'une nécessité de parler, de
dire, de contrecarrer le pouvoir masculin, l'écriture
des hommes qui a façonné la civilisation occidentale.
C'est la lecture d'un parcours cohérent et presque
acharné que cette Poésie
complète nous
offre.
Jamais cette recherche d'une voix
nouvelle, de cette identité perdue (enfouie, ensevelie
par la domination du logos
masculin) ne pourrait être si forte, si intense, sans
face à face. Ce face à face avec l'autre,
qui est la source même d'une sorte de rage poétique,
d'une douleur qui rend souvent brûlants les vers de
Laederach.
En 1970 paraît L'étain
la source qui s'ouvre
sur le paysage symbolique de la nuit, dans l'effroi du chemin
à frayer: "Trop
d'ombres à qui nous refusons le sel".
La poésie, en soi, est le mouvement de recherche
("en marche / vers
les cavernes où s'étaient dénoués
/ les fils de sa naissance
"), d'interrogation, dans une quête d'authenticité
qui a la psychanalyse (quoique jamais nommée) comme
levier: " Ah! s'il
suffisait, pour épuiser la nuit /de remonter l'autre
versant du songe".
Si le dialogue est toujours présent, c'est au niveau
de l'identité personnelle que s'opère la plongée
vers une identité "entière
mais non réduite mais non séduite"
(c'est un vers d'un des derniers recueils, Si
vivre est tel, paru en
1998). Dès lors la solitude sera la condition du
poète (T1).
Dans ce premier livre déjà,
le thème de l'enfance apparaît, qui scelle
la différence, la cassure, la blessure (T2).
Et la reconnaissance de la blessure de l'autre ouvre un
espace de rencontre, une possibilité : " Je
n'ai pas peur de ta blessure / le jour où ta tête
/ touche aux racines du ciel
".
Dès son deuxième recueil,
Pénélope
(1971), Monique Laederach utilise poétiquement les
mythes. Pénélope, la femme qui attend toujours,
s'identifiant à cette attente et à l'homme
qui la cause, est "racontée" avec un mélange
de prose poétique et de vers libres. La confrontation
avec l'histoire (l'histoire des femmes, à travers
les siècles, à tel point récurrente
qu'elle finit cimentée dans l'empreinte du mythe)
oblige l'écriture à se partager entre définition
du monde et définition du soi. Le livre s'ouvre,
en tout cas, en continuité avec le précédent
(T3).
La femme est à nouveau seule,
c'est Pénélope abandonnée: elle reprend
la marche, devenue sa propre terre, son propre destin, parce
qu'"attendre est / comme
une île et tout autour la nuit".
Elle cherche à nommer cette douleur que l'auteur
puise au fond de soi-même, comme le révèle
cette page de Journal
intime 1
qui accompagne l'écriture du recueil: " Il
faut vraiment être acculé tout au fond le plus
bas de soi-même pour que le désir de remonter
prenne forme. Ainsi, l'impuissance du langage. La force
de Pénélope est de croire et d'attendre. Son
désir, malgré certains éclats, certaines
ruptures inévitables, est orienté, constant,
plus que possible: nécessaire. Mon attente est brisée.
Elle est impossible - et cependant nécessaire. -
De cette tension-là sont nés les premiers
poèmes de cette Pénélope
" (27 avril 1968). Ce deuxième recueil lui non
plus ne cache l'envergure du défi, et ne renonce
pas à creuser à même la défaite
et à essayer, douloureusement, le dialogue (T4).
Le recueil suivant marque une pause
dans ce parcours de nomination, de distinction entre soi
et l'autre, entre masculin et féminin. La
Balade des faméliques baladins de la Grande Tanière
(1972) - une dédicace en vers nous prévient
- est un hommage aux "visages
venus sur de longues fumées odorantes, / amicaux
et sournois, tirés par l'insomnie; cachant / sous
leurs paupières à demi fermées / d'innombrables
coulisses incendiées et solitaires".
Portrait empreint d'amour d'un groupe de marginaux, ce beau
livre aux allures de ballade s'ouvre à la richesse
de l'aventure humaine; et son auteur trouve une tonalité
plus chaude, plus chorale, qui ne manquera pas de se réfleter
sur les livres suivants. La citation des vers d'Octavio
Paz est la marque de cette recherche de " rassemblement
" à travers l'écriture poétique
(T5).
Le parcours peut alors reprendre
avec une tonalité plus politique: l'identité
à reconquérir, épelant les couches
de falsification intérieure et sociale, se fait à
travers la nomination. J'habiterai
mon nom (1978) est, en
ce sens, un titre parlant. Dans ce livre, en outre, la dimension
graphique devient plus importante:
TOI DÉJÀ TOI PAS ENCORE ET POURTANT
comme le germe d'une voix      qu'une
autre voix
soudain
réclame.
Mais là encore, il s'agit
d'un double mouvement: la nouvelle présence à
soi ne peut se faire qu'à travers les âges
revisités, biographiquement autant qu'historiquement
(T6).
Le recueil suivant (Jusqu'à
ce que l'été devienne une chambre...,
1978) réoriente cette poésie, qui risquerait
de ce concentrer sur les profondeurs de l'âme, vers
l'altérité amoureuse. Il s'agit d'un chant
d'amour qui ne nie pas la difficulté de la rencontre,
mais la laisse agir à travers le corps et sa présence.
L'interrogation se fait, alors, avec une douceur nouvelle
(T7).
Il ne faut pas oublier que - considérant
la simple statistique - le mot "corps" est l'un
des plus présents dans la poésie de Monique
Laederach (100 occurrences), après "eau"
(qui apparaît 193 fois) et "air" (112),
bien plus présent que "femme(s)" (70) et
"homme(s)" (41).
La nouvelle rencontre avec l'altérité
masculine n'est pas exempte de colères et d'impasses
mais se solde, cette fois, par une réelle possibilité
de dialogue, où la différence ne s'abolit
qu'au seuil de la cruauté nécessaire à
l'étreinte, qui libère le chant d'une façon
presque brutale (T8).
La partition
(1982) est un livre de rage et de partage de cette rage.
Dans une forme inédite, qui pousse un peu plus loin
le travail graphique amorcé avec Jusqu'à
ce que l'été
: les textes sont
accompagnés de collages, qui, selon l'auteure "n'ont
aucune intention esthétique. (
) Ils ont servi,
en cours d'écriture, à vérifier certaines
images véhiculées par les médias, et
(
) certains poèmes leur sont encore plus ou
moins organiquement liés". Ces images
ajoutent une plus-value politique à un texte plus
féroce que d'habitude. La simple évocation
de quelques-unes des légendes de ces photos, tirées
de coupures de presse, suffirait: "Une
jeune femme de 31 ans au bord du suicide: sa poitrine est
un véritable handicap
. Son nez de profil ajoute
encore à sa disgrâce. 2 interventions simultanées:
une nouvelle femme est née, souriante à la
vie". Encore un fois, à ces miroirs tendus
tour à tour par un être aimé, par la
société ou par l'histoire ("N'être
jamais que / ce fragment d'éclat rencontré
d'il à oeil / de vitrine en vitrine"),
répond le chant, emporté, enflammé
par l'accumulation de la négation (T9).
Ce recueil paraît en 1982,
après quatre ans de silence poétique et juste
avant la publication de La femme
séparée,
le premier roman de Monique Laederach (qui en 1978 a déjà
édité le récit Stéphanie):
les thèmes creusés et criés dans cette
poésie semblent désormais trouver dans l'histoire
de ces personnages féminins leurs nouvelle patrie.
Il faudra attendre 16 ans, jusqu'en 1998, pour que Monique
Laederach publie à nouveau un recueil poétique.
Cette longue attente semble pourtant offrir au poète
une distillation sécrète qui la conduit à
un verbe totalement libéré. Si
vivre est tel (1998)
jaillit comme de la lave des profondeurs plus brûlantes
et est, à notre avis, un vrai chef-d'uvre.
Bâti en deux grands chapitres, on y retrouve les thèmes
de jadis, avec une puissance qui pour la première
fois fait clairement entrevoir une attitude presque mystique.
Comme si, à force de creuser, la voix avait touché
à un degré d'universalité tel, qu'elle
peut désormais "se laisser jaillir". La
première partie est tournée vers l'intérieur,
où l'enfant qui à subi dès le début
le sceau et la déchirure d'être femme revendique
son horreur face à la ségrégation féminine
(T10).
La deuxième partie, par contre, s'ouvre à
la communauté des femmes, où le devoir d'un
"nous" de résistance fait chavirer le poème
vers une dimension plus épique (T11).
Et le chant commun - bien que levé par celle qui
a osé parcourir le chemin de la parole - devient
force communautaire, parole nouvelle (T12).
"Il
semble / que je reviens à ma langue à tâtons
comme à / une langue étrangère":
de là reprend ensuite le chemin, dans le dernier
recueil (Ce chant mon
amour, 2001). Où
l'on retrouve la mythologie - les figures d'Eurydice et
de Psyché - parce que encore, chaque jour, dans l'histoire,
il faut renouveler ce cris, cette voix, cette quête
avec ténacité. Comme si l'on n'avait qu'une
chose à dire, et que cette chose se résumait,
en fait, à la possibilité de dire. Dans une
poésie totalement immanente et totalement humaine.
La trace profonde et riche de cette voix est, pour Monique
Laederach, inscrite au plus profond de l'acte poétique.
1 Nous remercions Mme Laederach de nous
avoir permis l'utilisation de ce passage de son Journal
intime, inédit.
2. Si vivre est tel va bientôt paraître à
Milan, chez l'éditeur Marcos y Marcos (Voci sparse
d'ombra, traduction italienne de Pierre Lepori)
Pierre Lepori
© Le Culturactif Suisse
Entretien
avec Monique Laederach
Page
auteur de Monique Laederach
Page créée le: 30.04.03
Dernière mise à jour le 30.04.03
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