Petite chronique d'automne
(4)
Une
fois de plus, le soir est tombé, et le soir
a passé, il est minuit et pire encore et cest
linstant dune chronique de nuit. Cette
habitude des longs soirs dété
na pas été perdue : impossible
daller dormir tôt. Sacha Guitry disait
détester deux choses : se coucher le soir et
se lever le matin :-) Se lever tôt demain sera
bien difficile. Tant pis : ce soir, la nuit est si
belle, même sans lune, car cest une nuit
sans lune, et cest un tel plaisir décrire
dans cette nuit, le silence de cette nuit, tout en
buvant du thé noir de Chine, cette fois, comme
du thé vert parfumé aux fleurs de lotus,
dautres fois. Seulement existe le bruit moelleux
feutré des touches du clavier dans ce silence
et la paix de cette nuit. Et cest une nuit dété.
On nous a dit : cest lautomne. On sest
un peu trompé : cette soirée fut dété,
autrement on naurait pu boire un pot sur une
terrasse à dix heures et demie du soir après
une virée en trottinette entre Val-Vert et
Fauconnières dans les hauts de la ville (on
fit cela ce soir :-) Et puis : les anges veillent.
A ce propos, il faudra voir le film de Wim Wenders
" Der Himmel über Berlin " (en français
: " Les ailes du désir ") où
Bruno Ganz interprète le rôle d'un ange
et descend visiter les humains dont certains, dans
une grande bibliothèque, recherchent peut-être
le comment des choses dans lespoir den
trouver le pourquoi (on peut peut-être écrire
cela). Et lange rencontre lamour, Marion,
la trapéziste, et décide de rester sur
terre, de nêtre plus ange, mais humain.
Cest un beau film, en noir et blanc et en couleurs,
monochrome côté vision des anges, polychrome
côté vision des humains, qui date de
1987. On se demande encore comment lon a pu
passer à côté alors même
que lon navait pas été insensible
au charme de Solveig Dommartin sur son trapèze
avec ses ailes, limage que lon avait conservée.
Le cinéma, cest
de la littérature, rien dautre. Cest
de la littérature au départ, ça
sincarne en un film au lieu de sincarner
dans un livre, cest tout. Le mieux, pour la
littérature, cest de sincarner
partout : en livre, au théâtre ou en
film, en revue, en journaux, en chanson, en images,
sur Internet, sans oublier les lettres que lon
adresse à des amies proches ou lointaines auxquelles
on écrit parfois.
Il est encore un film, de noir
de blanc toujours, qui approche les secrets du monde
: PI , un thriller incroyable de Darren
Aronofsky (1998). Un beau site Internet y est tout
entier consacré. On sen est repassé
tout lété cent fois la bande annonce.
Ça se passe à New York. Ça parle
de bien des choses auxquelles on sétait
quelque part déjà un peu intéressé
: Kabbale, théorie du chaos, spirale dor,
jeu de Go. Et dautres choses auxquelles on sintéressait
moins : la finance, le New York Stock Exchange. Et
puis délectronique et datroces
migraines, et puis du nombre pi. Que jaime
à faire apprendre un nombre utile aux sages
! / Immortel Archimède, artiste, ingénieur,
/ Qui de ton jugement peut priser la valeur ? / Pour
moi, ton problème eut de pareils avantages
" écrivait lauteur resté
inconnu de ce quatrain mnémonique où
le nombre de lettres dans chaque mot indique le chiffre
de chacune des 31 premières décimales
de pi. Manque de chance : la trente-deuxième
décimale est un zéro quil aurait
fallu figurer par un mot sans aucune lettre. ça
nexiste pas, un mot sans lettres, autrement
le poème aurait continué. Un jour, une
fois, on inventera un mot sans lettre, et lunivers
en sera changé : voilà qui ouvre bien
des possibles ; aux cris silencieux de lamour
surtout.
Mais lon ségare.
Tant mieux. Ces lignes sont faites pour ségarer.
Ainsi, dune petite chronique née dune
nuit où lon glissait en trottinette sous
laile protectrice des anges, on glisse vers
une chronique autour de pi, daleph et dautres
nombres mystérieux. Laleph, cest
un nombre impossible à croire, un nombre plus
grand que linfini, celui peut-être qui
rendit fou Cantor, le génial mathématicien
dont Louis Pauwels et Jacques Bergier évoquent
les théories sur le Transfini dans " Le
matin des magiciens ", un livre fou lui aussi.
De celui-ci jusquà comprendre les secrets
des anges, il est peu de distance, même que
cest celle dun aleph seulement. Ensuite
on reviendra sur terre ; les anges y descendent, parfois.
Un soir de trop grande tristesse, lun posera
sa main sur votre épaule, comme dans le film
de Wenders. Vous ne laurez pas vu, sauf si vous
êtes un enfant ou si, par un très grand
miracle, vous avez conservé un rien de votre
âme denfant. Vous aurez en tout cas senti
sa présence. Vous vous serez senti requinqué.
Cest ainsi que cela arrive, aussi parfois par
le biais dun message reçu de quelquun
que lon aime et qui rend le soir fou heureux.
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
me 27/09/2000