Petite
chronique d'extrême automne
Et
voilà, cest le noir de lhiver qui
vous tombe dessus, déjà, même
si ce nest pas lhiver, si cest encore
lautomne, lextrême automne, celui
tout noir qui descend à cinq heures du soir
et ne se refait jour quon ne sait plus bien
quand, huit heures du mat, on pense, voilà
donc lextrême automne noir qui tombe et
le moral peut-être avec, vous auriez envie de
pleurer ? dites
qui vous consolerait
vous
aimeriez vous faire consoler, par elle, vous aimeriez
quelle vous console ? celle que vous aimez,
si follement, mais savez-vous seulement si elle vous
aime, elle, la-t-elle dit ? Et si elle ne vous
aime pas, alors cest vraiment encore plus noir
que noir, votre désespoir, vous avez bien raison
de pleurer, ça vous fera du bien, elle aussi
pleure parfois, pensez-vous. Et vous pleurez dimaginer
quelle pleure, et de cette impuissance dans
laquelle vous êtes, cette impuissance à
la consoler. Mais ce nest pas si bête,
pleurer. Dans ce noir de lhiver, lextrême
arrière-automne qui vous tombe dessus, pleurer
détend, soulage. Peut-être quensuite
rirez-vous ?
Elle pleurerait : que feriez-vous
?
Vous lui prendriez la main.
Elle vous dirait : " Ce
nest pas possible, cet amour. Je ne dois pas.
Je ne peux pas. On ne doit pas. Toi non plus, tu ne
devrais pas
"
Et vous diriez : " Ce
nest pas un amour, cest une amitié
folle, simplement, immense, très folle mais
amitié seulement. "
Elle vous dirait : " Mais
lamitié, entre un homme et une femme,
nest-ce pas un peu de lamour ? "
On nest pas sûr
dempêcher lamour.
Et vous diriez : " Mais
simplement se voir, se parler, les deux seuls, pouvoir
se dire des choses quon noserait pas autrement,
quon ne peut dire à personne dautre,
de petits secrets innocents, innocents mais si importants,
on ne sait pas, on pourrait
"
Ce serait certaines fois en
fin daprès-midi, entre cinq et six ou
sept heures du soir, siroter un whisky, une bière
au whisky, quelque chose pour se sentir bien, quelque
chose quon aime.
Du thé même simplement.
Sans sucre ; bien sûr
Ce serait comme une petite
île, petit îlot de liberté, parler
de toutes sortes de rêves mais aussi de réalités,
sans que ça fasse du mal à personne,
votre petit jardin secret. Vous prendriez du temps
pour ça, vous voleriez du temps ailleurs, si
vous ne volez pas du temps ailleurs, une fois pour
ça, vous le regretterez toujours, ce temps
perdu. Vous volerez du temps pour ne pas en perdre.
Mais vous vous aimeriez ?
Vous aimeriez damitié
seulement. Même si lamour et lamitié
cest souvent la même chose. Mais ce nest
pas la même chose. Cest innocent, lamitié,
cest clair et ça regarde les yeux des
autres en face même quand les autres ne comprennent
pas.
Oui, dans ce bar boisé,
côte à côte, face à face,
et les yeux dans les yeux, et regardant ensemble du
même côté où sont les anges
et le soleil quils allument dans la nuit, et
vous tenant la main, peut-être, ce nest
jamais faire de mal que se tenir la main, comme deux
enfants qui saiment ainsi
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
di 01/12/2000